Depuis son arrivée à la tête du secteur de la Poste et des Télécommunications en 2021, Karim Bibi Triki a réussi à faire avancer de nombreux chantiers clés. C’est le cas, par exemple, du nouveau programme du «service universel» pour la couverture des réseaux de téléphonie mobile et internet mobile, qui est à même d’assurer une prestation de qualité dans les zones à faible population. Dans cet entretien, il a bien voulu faire le point pour El Watan sur tous les grands objectifs tracés par son secteur.
- Pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous dresser un bilan global de votre secteur avec des indicateurs chiffrés, et de la politique sectorielle menée jusqu'à aujourd'hui ?
Il y a de cela trois ans, nous nous sommes engagés, à travers le plan d’action tracé pour la concrétisation des engagements de Monsieur le président de la République, sur un certain nombre de points qui constituent de vrais leviers de développement de notre secteur. Nous avions concentré nos efforts sur des aspects concrets capables d’impacter directement le quotidien des Algériens, en leur offrant des services de qualité accessibles par leur disponibilité sur le territoire national, et par leurs coûts abordables.
Grâce au travail acharné des femmes et des hommes de notre secteur, nous avons réalisé des améliorations appréciables dans le domaine des télécommunications. En renforçant et en modernisant l’infrastructure des communications électroniques, qu’il s’agisse des capacités de la bande passante internationale, ou bien de celles du backbone national et du réseau d’accès, nous sommes parvenus à augmenter le débit minimal de connexion internet de 5 fois, passant de 2 à 10 Mbps, sans impact sur les tarifs d’abonnement. Alors que les abonnés avec des débits supérieurs ont bénéficié d’importantes réductions.
Un autre indicateur important, qui figure lui aussi dans le plan d’action, concerne le nombre de foyers connectés à l’internet fixe. Au moment où ils n’étaient que 3,5 millions, nous nous sommes engagés à connecter les deux tiers des familles algériennes à l’internet fixe haut débit. Cela représente 6 millions de ménages, ce qui devrait couvrir la demande existante à fin 2024.
A l’heure où je vous parle, nous avons déjà atteint les 5,4 millions, nous avons donc toutes les raisons d’être optimistes quant à l’atteinte de notre objectif fixé pour fin 2024. Je tiens ici à saluer la performance d’Algérie Télécom qui, au passage, a réussi à connecter, parmi les 5,4 millions d’abonnés à l’internet fixe, 1 million de foyers à travers la technologie FTTH.
Dans le segment mobile, les performances sont également en évolution. Une nette croissance est constatée concernant le nombre d’abonnements à l’internet mobile (3G/4G). Ils étaient 37 millions au début de l’année 2020, ils sont 45 millions aujourd’hui. 85% de la population est couverte par la technologie 4G.
Le volet postal a aussi réalisé des avancées importantes. Le nombre de bureaux de poste est passé de 3999 en début 2020 à 4245 bureaux actuellement, auxquels s’ajoutent 89 bureaux de poste itinérants sillonnant les localités reculées et enclavées. Alors que le nombre de détenteurs de la carte de paiement électronique Edahabia a plus que doublé durant cette période, passant de 6 millions au début 2020 à plus de 12 millions de détenteurs actuellement.
Je cite ces indicateurs positifs, étant fier et reconnaissant envers toutes les personnes qui se sont dévouées pour en faire une réalité. Cependant, nous devons rester mobilisés afin de combler toutes les insuffisances et surtout pour rester dans la course, car notre domaine ne connaît jamais de répit ; à peine un objectif atteint que l’évolution technologique nous en impose d’autres.
- Algérie Télécom a enregistré un saut qualitatif et quantitatif en termes de raccordement à l’internet fixe très haut débit, en priorisant la technologie de la fibre optique jusqu’au domicile (FTTH). Quel commentaire vous inspire cette progression ?
Le choix de cette technologie est avant tout stratégique. Les investissements engagés par l’Algérie doivent répondre aux besoins actuels et à la demande tout à fait légitime et compréhensible de nos concitoyens.
Mais nous ne devons pas perdre de vue les besoins et donc la demande de demain. A court et moyen termes, nous aurions pu continuer à raccorder les foyers au réseau ADSL, qui permet aujourd’hui d’atteindre jusqu’à 20 Mbps de débit. Cela aurait été plus facile et moins onéreux. Mais c’est une technologie qui ne nous permettra jamais de faire face aux enjeux de demain, et qui nous auraient certainement obligés dans quelques années à lancer les chantiers sur lesquels nous travaillons actuellement. Il nous faut avancer rapidement mais sûrement !
Au début 2020, nous ne comptions que 53 000 abonnés FTTH, sur tout le territoire national. Aujourd’hui, nous avons dépassé le million. Nous avons donc multiplié le chiffre initial par près de 20 fois ! Vous imaginez bien que pour rendre cela possible, il a fallu opérer de grands virages managériaux, opérationnels et culturels. C’est ce qui me rend très fier des employés du secteur et c’est ce qui me permet, là aussi, d’être à la fois exigeant et optimiste pour le futur.
- Une grande responsabilité pèse sur les épaules d’Algérie Télécom concernant la réussite de la numérisation dans notre pays et la garantie d’un service public intégré de haute qualité. Quelles sont les principales mesures prises dans ce sens ?
Vous avez parfaitement raison d’évoquer notre responsabilité dans la réussite de la numérisation dans notre pays. Il nous incombe en effet de la rendre possible à tous les acteurs et les organisations qui sont prêts à relever ce défi important.
Car comme vous le savez sûrement, la numérisation s’appuie sur un management moderne, une culture interne propice au changement et une infrastructure performante. Les organisations possédant les deux premiers piliers ne peuvent rien réaliser si nous, en tant que fournisseurs de services technologiques, n’assurons pas une infrastructure solide et fiable. C’est le fondement des choix stratégiques que nous avons évoqués en réponse à votre première question.
- La nette amélioration des débits internet avec un volume de données consommées estimé à 140% durant la période 2020-2022 peut-elle être interprétée comme un des indices de l’appropriation des TIC par les Algériens ?
Nous n’avons jamais douté de l’appropriation des TIC par les Algériens et surtout par nos jeunes. Je dirai même que la demande en performance ne cesse de croître et c’est ce qui rend notre domaine très dynamique. Notre engagement concerne tous les Algériens où qu’ils soient. C’est pour cela que l’Etat algérien a toujours privilégié une approche inclusive, qui profite à toutes les catégories et qui consacre le principe d’égalité entre les citoyens.
- Quelles sont les mesures à prendre en urgence pour promouvoir l’économie numérique et le paiement électronique d’autant plus que c’est une des recommandations du président de la République ?
L’action du gouvernement décrite dans son plan d’action, qui conjugue les engagements et les orientations de Monsieur le président de la République, privilégie un travail de fond capable d’impacter la vie des citoyens efficacement et surtout durablement.
En tant que secteur, nous avons la responsabilité d’offrir l’infrastructure indispensable au paiement électronique. Elle inclut les réseaux internet fixe et mobile que nous continuerons à améliorer. Elle comprend aussi le système d’information du paiement électronique et le nombre de détenteurs de cartes de paiement électronique qu’Algérie Poste a réussi à doubler en quelques années.
Sans oublier les guichets automatiques, qui permettent également la réalisation d’opérations de paiement électronique et dont le nombre a augmenté de 40% pour le parc d'Algérie Poste seulement. Nous essayons par ailleurs de jouer un rôle institutionnel afin de favoriser une approche intersectorielle. Ainsi, plusieurs conventions ont été signées entre nos opérateurs et des acteurs relevant d’autres secteurs.
Par exemple, un accord a été signé avec l’Education nationale concernant le paiement électronique via la carte Edahabia, et en ligne sans déplacements aux bureaux de poste, des droits d’inscription aux examens scolaires.
Une autre convention à citer comme exemple, celle concrétisée avec le secteur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, permettant aux étudiants de s’acquitter des droits d’inscription universitaire, en ligne également. Initiative qui s’est soldée par un franc succès, la plateforme monétique d’Algérie Poste a traité, dans ce cadre, plus de 2,4 millions d’opérations pour la rentrée universitaire 2023-2024.
- Algérie Poste a procédé au lancement de plusieurs services innovants et augmenté le nombre de détenteurs de cartes Edahabia. L’objectif est-il atteint ou reste-t-il encore une marge de progression ?
La large diffusion de la carte Edahabia a suscité une dynamique d'entraînement appréciable du nombre d’opérations de paiement électronique, passées de 5 millions en 2020, à près de 60 millions d’opérations l’année en cours, dont 60% traitées à travers l’application BaridiMob, traduisant, ainsi, l’un des objectifs stratégiques assignés à notre secteur dans l’approche gouvernementale de promotion de l’inclusion financière et du paiement électronique. Le réseau postal dispose, par ailleurs, de près de 2000 guichets automatiques de billets, et 62 espaces de libre-service.
Pour répondre à votre question sur la marge de progression, Algérie Poste continue à doter ses clients qui le souhaitent de la carte Edahabia. Des campagnes de sensibilisation sur les nombreux bénéfices de cette carte sont régulièrement lancées dans ce cadre. En parallèle, il y a un enjeu qui concerne le nombre d’opérations de paiement électronique effectuées pour chaque détenteur de la carte de paiement électronique.
Il faudra donc que les entreprises et commerçants algériens adhérent de plus en plus à la numérisation, car plus il y aura de services et de produits qu’on peut payer électroniquement, plus le nombre de transactions augmentera. Algérie Poste, pour sa part, continue à développer de nouvelles solutions en vue de diversifier les moyens et méthodes de paiement électronique et fournir ainsi aussi bien aux consommateurs qu’aux commerçants des choix adaptés à leurs besoins et préférences.
- En dépit des efforts déployés, vous avez reconnu à maintes reprise l’existence d’insuffisances. Peut-on savoir leur nature et comment y remédier ?
L’Algérie a réalisé ces dernières années un saut qualitatif et quantitatif dans la modernisation et le développement de son infrastructure TIC. Les résultats intermédiaires positifs enregistrés sont très encourageants mais ne doivent pas nous pousser au relâchement. C’est d’abord pour cette raison que j’évoque tout le temps l’existence d’insuffisances.
Nous aspirons à permettre à chacun de nos concitoyens, à chacune de nos entreprises et à chacune de nos administrations d’être des acteurs à l’ère du numérique, en mettant à leur disposition une infrastructure moderne et performante et en leur offrant des services de qualité.
Tant qu’il y aura une demande de raccordement d’un citoyen que nous n’avons pas encore honorée, tant qu’il y aura une zone blanche que nous n’avons pas encore couverte, je considère que c’est une insuffisance, et c’est ce qui nous motive pour rester mobilisés et continuer le travail afin de répondre aux aspirations de nos concitoyens et aux ambitions de notre pays.
- Quels seront les principaux futurs chantiers qui seront lancés par le secteur ?
Au volet mobile, et afin de garantir un déploiement équitable de la couverture réseau sur le territoire national, le secteur supervise la mise en œuvre, dans le cadre du mécanisme du service universel, d’un important projet lancé par procédure d’adjudication pour la couverture en services de communication électronique de 1400 localités enclavées (moins de 2000 habitants).
A titre de rappel, les opérateurs sont tenus, à travers les obligations contenues dans les cahiers des charges relatifs à leurs licences, d’assurer la couverture selon le calendrier préétabli des localités avec une densité de 2000 habitants et plus.
Le Service universel permet à l’Etat algérien d’assurer une couverture aux mêmes conditions de coût à la population des localités ayant moins de 2000 habitants. Nous continuons également à renforcer les capacités et la résilience de nos réseaux de transport de données, national et international, par le lancement de nouveaux projets.
- La bande passante a atteint actuellement les 7,8 térabits/s avec trois câbles interconnectés à l’international. Au regard de ces potentialités, peut-on dire que l’Algérie est définitivement sécurisée et à l’abri de toute panne générale du réseau internet ?
Comme vous venez de le souligner, les capacités de la bande passante internationale ont été substantiellement renforcées, d’ailleurs multipliées par 6. Nonobstant l’augmentation des capacités de la bande passante internationale, et afin de parer à toute éventualité, notre pays a entrepris une stratégie de diversification des câbles sous-marins en fibre optique et des points d’atterrissement, adossée à une optimisation des performances des câbles sous-marins en activité (au nombre de 4), et a initié un processus d’adhésion à de nouveaux projets de câbles, afin de satisfaire de façon prospective aux besoins futurs, et renforcer la sécurité et la résilience de notre réseau de transport de données à l’international.
- Dernière question Monsieur le ministre. Peut-on espérer le lancement de la 5G en Algérie au cours de l’année 2024 ?
Nous restons engagés afin de fournir une infrastructure TIC capable d’accompagner les besoins et les aspirations de notre société et de notre économie.
Pour l’année 2024, notre priorité étant d’atteindre les objectifs fixés dans le cadre du plan d’action du secteur et du gouvernement, qui en matière de réseaux de télécommunication mobile, consiste à parachever la généralisation de la couverture par la 4G, l’amélioration de la capacité des réseaux mobiles par le déploiement des fréquences additionnelles allouées récemment par les pouvoirs publics, notamment dans la bande 2300 MHz, en plus de l’entame du programme du Service universel pour les 1400 localités à faible densité de population.
Concernant les préparatifs pour la 5G, nous avons notamment avancé sur la partie spectre des fréquences et nous continuons à travailler sur les différents aspects pour réunir les conditions idoines afin d’accompagner, le moment venu, nos opérateurs dans son lancement commercial.