Le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), né en janvier 1966 dans la clandestinité, connaît sa première dissidence spectaculaire en janvier 1992. Dans ce même mois de janvier, le souvenir de ces deux événements alimentera peut-être le débat sur le parcours de ce parti d’obédience communiste.
La naissance du PAGS
La naissance du PAGS en janvier 1966 intervient après le coup d’Etat du 19 juin 1965. Le premier gouvernement du président Ben Bella avait interdit le Parti communiste algérien (PCA) en novembre 1962. Mais le soutien apporté par les communistes au choix de l’orientation socialiste du gouvernement Ben Bella a permis la conclusion d’un accord pour l’intégration des militants du PCA au sein du FLN.
Expression forte de cette alliance organique, les journaux Alger Républicain, communiste, et le journal Le Peuple, du FLN, devaient fusionner pour donner naissance au quotidien El Moudjahid. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 interrompit ce processus et ses auteurs qui interdirent Alger Républicain s’approprièrent ce nouveau quotidien.
Les communistes algériens avaient condamné le coup d’Etat et formèrent avec les éléments de gauche du FLN, comme Mohamed Harbi (conseiller du président Ben Bella) et Hocine Zahouane (membre du Bureau politique du FLN sous Ben Bella), l’Organisation de la résistance populaire (ORP). Dès septembre 1965, la direction de l’ORP fut décapitée et ses membres emprisonnés, mais la direction du PCA qui disposait d’un appareil clandestin procéda à la création du PAGS en janvier 1966.
Ce nouveau parti regroupa, aux côtés d’anciens militants du PCA une partie des militants de gauche du FLN hostiles au coup d’Etat, mais sa direction demeurait essentiellement communiste.
Bachir Hadj Ali, figure historique du PCA, subissait à ce moment-là les affres de l’emprisonnement et de la torture. Ce sont donc trois éminentes personnalités communistes, Sadek Hadjerès, Boualem Khalfa et Abdelhamid Benzine, qui vont constituer l’ossature de la direction clandestine du PAGS. Ils s’entoureront de jeunes cadres issus du Comité exécutif de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA), de la Jeunesse du Front de libération nationale (JFLN) et des syndicats des travailleurs (UGTA).
Dans sa volonté de favoriser l’alliance avec la gauche du FLN, le PAGS proclame qu’«il n’est pas communiste mais qu’il n’est pas anticommuniste». Formule ambiguë qui sera abandonnée par la suite.
Une brochure, La Révolution socialiste triomphera en Algérie, appelée familièrement la «RSTA», illustre les approximations dans les premières analyses du PAGS. En effet, le pouvoir est perçu comme la coexistence en son sein de deux clans opposés.
D’un côté, le «clan de l’Est» aux sensibilités socialistes, dont la personnalité la plus en vue est le commandant de la 1re Région militaire, Said Abid, de l’autre, le «clan d’Oujda» du président Boumedienne dont les membres sont soupçonnés de sympathies libérales et pro-occidentales.
C’est la tentative avortée de coup d’Etat menée en décembre 1967 par le Colonel Tahar Zbiri, chef d’état-major de l’ANP et un des leaders du «clan de l’Est», qui va amener le PAGS à revoir ses analyses et orientations.
C’est donc en 1968 que le PAGS adopte les concepts de «transition vers le socialisme», de «révolution nationale démocratique», de «voie non capitaliste de développement» comme soutien théorique à sa «politique d’alliance avec la petite bourgeoisie révolutionnaire». Cette «petite bourgeoisie révolutionnaire» est regroupée autour du président Boumediene et tient ses potentialités principalement de l’Armée.
Le PAGS intègre ainsi dans son capital doctrinal les travaux des chercheurs soviétiques spécialistes des «pays nouvellement indépendants». Sur le plan programmatique et doctrinal, c’est donc un parti communiste en cohérence avec la théorie marxiste-léniniste qui prend place et qui va s’affirmer sur la scène politique nationale.
La phase ascendante du PAGS
La politique «d’unité d’action avec les forces patriotiques du pouvoir» amorcée donc en 1968 traîne un boulet. La condamnation du coup d’Etat du 19 juin 1965 par le PAGS, c’est par une résolution d’une «conférence nationale» tenue en 1972 que le PAGS fait son autocritique.
La condamnation du coup d’Etat relevait «d’une attitude subjective». La nature du pouvoir issu du coup d’Etat «n’avait pas fondamentalement changé». Comme sous la présidence Ben Bella, c’est «la petite bourgeoisie révolutionnaire» qui reste aux commandes du pouvoir.
Un éditorial de l’organe central Saout Echaab explicitait cette renonciation. L’alliance stratégique ainsi scellée intervient pourtant après la dissolution de l’UNEA en janvier 1971 et la répression contre ses cadres. Ce syndicat estudiantin, dominé par les communistes, avait résisté depuis 1965 à toutes les «tentatives de caporalisation» entreprises par le FLN.
Mais le pouvoir en place confirme le choix de «l’orientation socialiste». Après avoir procédé aux nationalisations dans le secteur des hydrocarbures, il entreprend l’application de la «révolution agraire». C’est autour de cette «tâche d’intérêt national et de progrès social» que «l’unité d’action» va connaître de nouveaux développements.
Tout au long de la présidence Boumedienne, le PAGS va étendre son influence politique et idéologique. A travers de nombreuses publications, il apporte une justification théorique et des explications cohérentes aux mesures «progressistes» du régime. L’activité de ses militants dans les «organisations de masse du FLN» et dans les institutions de l’Etat est appréciée.
Le pouvoir en place souffre de la défaillance du FLN. Ce parti unique conçu pour l’encadrement administratif des citoyens reste attaché aux méthodes autoritaires. Pendant toute cette période d’unité d’action, la répression contre le PAGS va sérieusement diminuer. Des mesures d’intimidation sont de temps à autre initiées pour rappeler au PAGS la fragilité de son statut de parti clandestin toléré.
Mais dans l’ensemble, le PAGS accroît son influence dans les organisations syndicales, de la jeunesse et des femmes. A partir de l’adoption en 1976 de la «Charte nationale», la perspective socialiste s’affirme et l’alliance avec le pouvoir de Boumedienne se consolide.
Certains prêtent au président Boumedienne l’intention de formaliser l’existence des tendances politiques qui le soutiennent dans un «FLN rénové». Le PAGS, pour sa part, proposait «un front unique» à la place du parti unique. Ce front unique serait ouvert aux «forces patriotiques». Il exclurait les forces réactionnaires et pro-impérialistes. C’est donc une démocratie restrictive que propose le PAGS.
Il est en cela cohérent avec la doctrine marxiste-léniniste qui constitue sa matrice idéologique. Le socialisme n’est pas un régime démocratique respectueux des libertés individuelles. Mais ces projets d’alliance ou de fusion vont s’effondrer avec le décès du Président Boumedienne en décembre 1978.
Le déclin
Ainsi donc, tout au long de la période du socialisme algérien, particulièrement à partir de 1971, le PAGS déploie ses activités, en appui sur une théorie de la transition vers le socialisme, la «révolution nationale démocratique à perspective socialiste», et au travers d’une politique d’alliance avec la «petite bourgeoisie» révolutionnaire.
Un rôle particulier est reconnu à l’Armée qui, selon les chercheurs soviétiques, concentrent le potentiel révolutionnaire de cette «petite bourgeoisie». Mais le décès du président Boumedienne en décembre 1978 va favoriser une révision de la politique économique du pouvoir à la tête duquel vient d’accéder le président Chadli Bendjedid.
Tout au long de la décennie 80, l’Algérie connaît deux processus qui vont modifier son environnement interne. Ce sont ces deux processus qui vont mettre à mal le PAGS. Ils confrontent sa ligne politico-idéologique à une réalité nouvelle qu’il a du mal à évaluer
L’abandon du socialisme
Le socialisme était à l’ordre du jour depuis le Congrès de la Soummam. L’Indépendance acquise, c’est le socialisme qui s’impose comme «voie de développement». Le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), organe de direction du FLN, fait ce choix en juin 1962. La «Charte d’Alger» de 1964 et la «Charte nationale» de 1976 le confirment.
A l’échelle internationale, l’existence du Camp socialiste sous le leadership de l’Union soviétique est un puissant soutien aux pays qui s’engagent dans la voie socialiste. Le PAGS est né et a grandi dans cet environnement. Les bouleversements que connaît l’Algérie le déstabilisent. L’abandon du socialisme constitue le premier processus que va affronter le PAGS.
Le bilan de cette option est officiellement déclaré négatif. Ce n’est plus la perspective du pays. Progressivement, l’étatisme toujours en vigueur va s’ouvrir à la privatisation de certaines industries et à l’introduction de mécanismes de marché. La planification centralisée perd de plus en plus de prérogatives dans l’économie.
Le pouvoir politique reste cependant très centralisé, ce qui limite grandement la décentralisation économique. La révolution agraire va par la suite être totalement remise en cause. L’agriculture collectiviste n’a pas produit les résultats escomptés. Dans les années 90, l’Algérie se verra contrainte de se soumettre à un plan d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI).
L’économie subventionnée à partir des recettes pétrolières subit les conséquences des chutes du prix du baril de pétrole. Le service de la dette atteindra des niveaux insupportables. Ce sont de nouvelles privatisations qui s’imposent accompagnées de réductions des dépenses publiques et une limitation des importations. Ce premier processus contraint le PAGS au recul et à la défensive.
Il ne dispose plus des outils théoriques pour appréhender cette nouvelle réalité. Il est d’autre part handicapé par les limites du marxisme en matière économique. Il se retranche derrière la défense des acquis de l’Indépendance. Formule vague qui justifie un pilotage à vue de sa politique. Un manque de vision stratégique apparaît à partir de cette période. Au sein du PAGS, le malaise est perceptible.
Le soutien au Gouvernement Hamrouche qui a engagé les réformes économiques en vue d’ouvrir le secteur d’Etat aux mécanismes du marché ne fait pas l’unanimité. Le PAGS n’est plus le parti qui explique et propose dans le cadre de l’orientation socialiste. Il devient le parti de la protestation contre les solutions néolibérales et de la défense des mécontents. Sans perspective stratégique.
Saïd Aït Ali Slimane