Une expérience pédagogique unique pour notre région s’est déroulée durant le présent semestre à Constantine avec les élèves des lycées El Houria et Youghourta. Il s’agissait pour eux d’analyser des expériences réelles à la frontière des connaissances actuelles en physique des hautes énergies et en médecine nucléaire. Ceci s’est fait dans le cadre des Masterclasses internationales du CERN à Genève et trois autres laboratoires aux États unis et en Argentine.
Cette série de programmes étalés sur plusieurs mois a permis à des dizaines de lycéens d’analyser des données brutes et extraire les résultats comme le font les physiciens dans ces hauts lieux de la science, après avoir «ingurgité» une bonne dose de physique moderne. Ces résultats furent ensuite présentés devant des chercheurs de ces institutions au cours de séances live ou leurs résultats sont discutés en détail. L’Unité de Recherche en Médiation scientifique du CERIST à Constantine a supervisé cette formation, et transformé ces élèves en «spécialistes» en herbe, capables de disserter sur la physique derrière les données de ces expériences, leurs protocoles expérimentaux et leurs éventuelles limites, et même proposer comment les améliorer.
Qu’est-ce que les International Masterclasses
Ce sont des programmes d’excellence mis en place par des grandes institutions scientifiques destinés à des lycéens, mais impliquant souvent des étudiants de physique au stade universitaire au vu de leur haute valeur formative. Malgré leur nom, ces programmes n’ont rien à voir avec le Master, mais tout à voir avec «Mastering», c’est-à-dire maitriser et exceller dans un domaine de pointe, le plus souvent en physique. Elles impliquent la participation d’élèves motivés et une équipe d’encadreurs dans les domaines concernés. Une reconnaissance bien méritée est due au professeur de physique A.Khemakhmia pour le lycée d’El Houria qui a été le fer de lance du programme pour cet établissement et aussi les trois chercheurs du CERIST de Constantine.
Les élèves doivent-ils être particulièrement doués? Pas nécessairement, mais avant tout ils doivent avoir une forte volonté d’apprendre et une très bonne maitrise de l’anglais. Ces formations leur donnent une vue de la pratique de la recherche à l’université. Il faut noter également que cette Masterclass qui utilisa les données du détecteur CMS du LHC a impliqué les 36 meilleurs élèves du lycée El Houria. Elle fut organisée en coordination avec l’équipe des Masterclasses du Fermilab (Fermi National Accelerator Laboratory) dans l’Illinois aux États-Unis. Le Higgs, une particule fondamentale dont la quête a duré quelque 50 ans, fut redécouvert par nos élèves en réanalysant les données réelles fournies par le CERN et en utilisant des programmes dédiés comme ceux utilisés par leurs chercheurs, mais largement simplifiés. Néanmoins, ceci est une performance remarquable quand on pense à tous les concepts physiques et les propriétés du monde microscopique qu’ils ont dû maîtriser pour effectuer l’analyse.
Découvrir les particules «fantômes»
Une seconde Masterclass a été effectuée avec les données recueillies auprès de la gigantesque expérience MINERvA pour étudier les neutrinos. Ces derniers sont des particules extrêmement fugaces, d’où le qualificatif de particules fantômes, car capables de muter en d’autres espèces, ce qui est une propriété unique dans le monde des particules élémentaires. Après une période d’analyse des données par les élèves et la déduction statistique de certaines de leurs caractéristiques, s’en est suivie une vidéoconférence avec l’équipe de scientifiques de Minerva à Fermilab sur la signification des données qu’ils ont traitées.
Utiliser les accélérateurs de particules en thérapie médicale
Cette belle manipulation en physique médicale utilisant le détecteur à ions lourds de l’accélérateur LHC démontre l’impact direct de la recherche fondamentale sur la médicale. Cette Masterclass permet aux participants de se familiariser avec la technique d’opération réelle utilisée pour le traitement du cancer utilisant des rayons X, des protons ou des ions carbone comme un couteau physique guidé à l’aide de logiciels.
À la Pampa Amarilla en Argentine
C’est à l’Unité de médiation scientifique du CERIST, de la nouvelle Technopole de Constantine que les lycéens d’El Houria ont finalisé l’analyse des données et tracé les trajectoires à travers l’atmosphère des rayons cosmiques d’ultra haute énergie (UHEC) provenant de phénomènes violents dans l’Univers et dont la nature constitue un des grands mystères de l’astrophysique moderne. Les données provenaient de l’Observatoire international Pierre Auger en Argentine, le plus grand laboratoire de rayons cosmiques du monde. Il est intéressant de noter que nos élèves ont eu cette fois-ci à rivaliser avec quatre autres groupes d’Italie inscrits au programme, la plupart d’entre eux étant des étudiants universitaires. Bien préparés, ces élèves ont eu un net avantage dans la gestion de la discussion animée des résultats lors de la vidéoconférence avec l’équipe de scientifiques de l’observatoire. En plus des ateliers, les élèves ont eu droit à des visites guidées à la «Maison des Sciences» de l’Unité de Recherche du CERIST avec ses expositions permanentes et son atelier de réalité virtuelle.
Tirer vers le haut notre système éducatif
Cette expérience pionnière pour l’Algérie, où des lycéens ont pu manipuler des méga-données allant de l’étude des plus petits constituants de la matière aux rayonnements cosmiques en passant par les rayonnements pour le traitement médical des tumeurs malignes, montre l’incroyable capacité de ces jeunes esprits motivés lorsqu’ils sont correctement préparés à se surpasser. Si la logistique suit, nous comptons généraliser au niveau régional, voire national, cette expérience pédagogique unique à même de tirer vers le haut notre système éducatif et être une source d’émulation pour les élèves et leurs enseignants. Notre équipe de recherche en médiation scientifique est prête à coopérer avec tous les établissements scolaires qui en feront la demande pour les inclure dans le prochain cycle de Masterclasses l’année prochaine en commençant par organiser des séminaires de formation pour les enseignants.
Par Jamal Mimouni
Département de physique, Université de Constantine1 & CERIST