Des exportateurs approchés jugent utile d’apporter des clarifications aux dernières mesures. Il est vrai, selon eux, que la conjoncture internationale pousse à la prudence pour sécuriser l’approvisionnement régulier du marché national. Mais des solutions auraient été les bienvenues pour permettre aux producteurs d’exploiter totalement les capacités installées en laissant une certaine brèche ouverte à l’exportation, tout en leur posant des conditions.
Après le tour de vis à l’égard des importateurs, à travers l’obligation de fournir de nouveaux documents dans les dossiers pour l’importation de matières premières et de marchandises destinées à la revente en l’état, de nouvelles mesures sont annoncées en matière d’exportation. Lors du dernier Conseil des ministres, le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, a décidé l’interdiction de l’exportation des produits de large consommation importés par l’Algérie.
C’est ce qu’indique un communiqué rendu public à l’issue de cette réunion. Ledit document précise que Abdelmadjid Tebboune «a ordonné au gouvernement d’interdire l’exportation de tous les produits de large consommation importés par l’Algérie, à l’instar du sucre, des pâtes, de l’huile, de la semoule et tous les dérivés du blé». Des produits déjà touchés, pour rappel, en 2020 par la suspension d’exportation lors de la première vague de la Covid-19. Mais, cette fois, c’est carrément l’interdiction. Une décision différemment appréciée.
Des exportateurs approchés à ce sujet jugent utile d’apporter des clarifications aux dernières mesures. Il est vrai, selon eux, que la conjoncture internationale pousse à la prudence. Ce qui justifie cette crainte sur l’approvisionnement de l’Algérie en matières premières. «Mais on aurait pu suspendre au lieu de passer directement à l’interdiction», nous dit un exportateur. Pour notre interlocuteur, si pour l’huile, cela est justifiable avec des capacités qui ne dépassent pas beaucoup les besoins du marché national, pour les pâtes alimentaires, la filière est en surproduction.
«Nous sommes en surcapacité», nous dit-il, rappelant que l’Algérie a exporté, en 2021, via quatre ou cinq opérateurs 40 000 tonnes de pâtes alimentaires, soit l’équivalent de 25 millions de dollars. «L’idéal aurait été de voir comment utiliser les capacités excédentaires installées et permettre aux opérateurs d’apporter un plus à l’économie nationale. Nous avons des capacités installées dormantes qui peuvent créer des emplois et apporter des devises au pays. Il fallait laisser faire en posant certaines conditions», suggère-t-il. «Mais maintenant que c’est décidé, il faudrait clarifier en attendant de voir comment cela va se traduire sur le terrain, surtout que la décision tombe en pleine dynamique», ajoute notre exportateur.
C’est en effet à l’approche du Ramadhan, une période durant laquelle l’exportation de certains produits fortement prisés par la communauté algérienne à l’étranger est plus importante, que l’interdiction est annoncée alors que certaines marchandises sont déjà dans les ports dans l’attente du feu vert pour être expédiées. «Certains ont mis des années pour avoir des clients à l’étranger et ont investi en fonction de cette demande, et maintenant ils vont tout perdre», regrette encore notre interlocuteur, pour qui il aurait fallu s’asseoir autour d’une table avec les concernés pour prendre des décisions en concertation dans l’intérêt de l’économie nationale.
Mohamed Amokrane Nouad, consultant dans le secteur de l’agroalimentaire, abonde dans le même sens. Jugeant la décision «sage», il estime toutefois nécessaire de laisser une certaine marge de manœuvre aux entreprises dont les capacités installées leur permettent d’assurer un excédent de production et de l’exporter.
«Quand les produits sont fabriqués à base de matière première subventionnée, on n’a pas à les exporter. Là, c’est clair, on tranche puisque c’est une perte pour l’économie nationale. Mais, interdire l’exportation pour les producteurs, qui importent totalement leurs matières premières et exportent des produits finis en réalisant des bénéfices, est exagéré. Ils apportent de la devise au pays. Ce sont des opérateurs qui sont spécialisés. On aurait pu les laisser travailler et laisser place à la compétitivité. C’est un peu précipité comme décision», nous dit M. Nouad. Et de s’interroger : «Pourquoi les briser ?»
Faible impact sur les exportations hors hydrocarbures
Annoncée en pleine période de fortes tensions sur certaines matières premières alimentaires, comme le blé et les oléagineux, cette décision – accompagnée d’un appel aux agriculteurs à approvisionner le stock stratégique de l’Etat en blé dur et tendre et en légumineuses – vise, selon Brahim Guendouzi, spécialiste en commerce extérieur, à assurer les quantités nécessaires pour l’approvisionnement du marché national.
«C’est une mesure protectionniste et conjoncturelle. Il s’agit pour les pouvoirs publics d’éviter d’éventuelles pénuries avec cette forte tension sur le marché mondial des céréales et les huiles alimentaires», nous dit M. Guendouzi, qui s’attend à la levée de cette décision une fois les contraintes liées au conflit russo-ukrainien dissipées.
S’agissant de l’impact de cette interdiction sur les exportations hors hydrocarbures (HH), il sera minime, selon les personnes que nous avons approchées. «C’est epsilon», selon Nouad Mohamed Amokrane. Pour d’autres, ce sont près de 10% de la valeur des exportations HH, sachant que pour le sucre, le montant enregistré l’année dernière était de 400 millions de dollars, avec deux opérateurs qui interviennent dans ce créneau. Pour les huiles, les exportations ont atteint, au cours de cette même période, 40 millions de dollars par le biais de trois entreprises.
Concernant la criminalisation de l’exportation de produits non produits localement, considérée comme un «acte de sabotage pour l’économie nationale», les exportateurs estiment que l’interdiction signifie tout de go que l’opérateur n’aura ni domiciliation bancaire ni autorisation des services douaniers. Cela pour dire que les opérations d’expédition de ces produits vers l’étranger ne pourront émaner que des circuits informels contre lesquels la lutte devrait être intensifiée. «Là aussi, ce n’est pas clair», estime-t-on.