Le village martyr d’Ath Oussalah, dans la commune de Toudja, s’est avéré trop exigu pour contenir les milliers de personnes qui sont venues des quatre coins de la wilaya, et parfois de régions lointaines du pays, pour assister à l’enterrement des victimes des incendies du 24 juillet dernier.
Beaucoup de ceux qui sont venus pour présenter leurs condoléances aux familles des victimes, témoigner de leur solidarité et sympathie envers les habitants du village ne sont pas venus les mains vides.
D’ailleurs, les caravanes d’aides continuent toujours d’affluer au fur et à mesure que l’opinion publique prend conscience de l’ampleur des pertes et dégâts subis.
Ce matin du vendredi 28 juillet, neuf tombes fraîches alignées les unes à côté des autres au sommet d’une montagne calcinée attendaient de recevoir les cercueils des deux familles, Chibane et Zenoud, qui avaient péri dans les flammes. Les 7 autres victimes des Ath Oussalah seront enterrées à Alger.
Venu pour quelques jours de vacances dans son village d’origine, Mohamed Zenoud a trouvé la mort en compagnie de sa femme, de ses deux parents et de ses trois enfants dont le plus âgé n’avait que 10 ans.
Au moment où l’incendie est arrivé au village, comme beaucoup d’autres, ces deux familles avaient pris la fuite à bord de leurs voitures pour tenter pour échapper aux flammes mais l’implacable rideau de feu a fini par les rattraper en chemin et sceller leur destin.
Les malheureuses victimes seront enterrées à l’ombre du seul chêne miraculeusement épargné par le feu, seul arbre debout à des kilomètres à la ronde.
Des kilomètres carrés de forêts calcinées
Sur la route, en sortant d’El Kseur par Bourbatache, le noir du charbon et le gris des cendres donnent déjà une idée du drame qui s’est joué dans cette région connue pour la beauté de ses paysages et la luxuriance de sa végétation.
Partout où les yeux se posent, le vert flamboyant de la montagne des Ath Garret s’est mué en ces deux couleurs de mort, de deuil, de tristesse et de désolation. Sur des kilomètres carrés de forêts calcinées, la vie s’est arrêtée.
Elle s’est volatilisée comme ces nuages de cendres légères que soulève la moindre brise de vent pour faire tournoyer dans un ciel déserté par les oiseaux.
La route étroite et sinueuse donne à voir ici et là, des crêtes qui abritent des villages nus, recouverts d’un linceul de cendre après avoir perdu leurs écrins de verdure. L’angoisse étreint le voyageur de passage à la seule vue de cette succession infinie de montagnes calcinées, carbonisées, réduites à néant.
On devine aisément la nuit de terreur de des habitants de tous ces villages éparpillés en montagnes quand les flammes dévoraient leurs bergeries, leurs poulaillers, leurs vergers.
Quand, dans la nuit, les langues géantes du feu léchaient les murs de leurs maisons faisant hurler de terreur femmes et enfants.
Dans ce paysage de mort et de silence, il suffit de tendre l’oreille pour entendre les cris de terreur des hommes, des femmes, des bébés et des animaux suppliciés.
C’est dans la nuit du 23 au 24 juillet que la mort est arrivée sous forme d’un implacable rideau de feu qui avale tout sur son passage, faisant fondre même la roche qui s’effrite après son passage.
«Le feu est arrivé chez nous à 3 heures du matin. Nous avons juste eu le temps de mettre nos familles dans nos véhicules et de prendre la fuite sans rien prendre, pas même nos papier», raconte Ahcene Kezzouh, habitant de Tala Oumalou.
Ce paysan de 72 ans, né ici comme son père et son grand-père et ses aïeux avant lui, ne se rappelle avoir un jour vu des incendies de cette ampleur, de cette puissance.
Il nous raconte sa fuite éperdue dans la nuit, avec sa famille, avançant sur une route de montagne étroite et sinueuse en même temps que le front d’incendie : « Quand je suis arrivé à ce branchement de route, le feu avait déjà dévoré le villages des Ath Oussalah. Arrivé à Souq El Djemaa, le feu était aux premières maisons. Arrivé à Oued Das, le feu était déjà là », dit-il.
Lui et sa famille sont arrivés aux premières lueurs de l’aube à Béjaïa. Après avoir mis sa famille à l’abri, il repart aussitôt au village pour s’enquérir des dégâts et prendre quelques biens précieux dont son fusil.
L’incendie est parti de la décharge de Bourbatache
«C’est du jamais vu. J’ai perdu plus de 500 oliviers et beaucoup de gens ont perdu leurs maisons, leurs champs et leur bétail, mais tant qu’on n’a pas eu de pertes humaines, on peut s’estimer heureux. Je connais personnellement tous ceux qui sont morts ici et on aurait pu connaître le même sort qu’eux cette nuit-là », dit-il.
Il précise aussi que c’est le cinquième grand incendie que la région connaît depuis 1994. En août 2021, toute la région a été ravagée par le feu et des villages ont dû être évacués. Au moins 05 civils et 07 militaires ont péri dans les flammes.
Pour Ahcene Kezzouh, le feu est monté à Bourbatache avant de se scinder en deux et partir dans deux directions différentes.
«À 16 heures, il est arrivé est arrivé à Ait Garret. Chez nous, Tala Oumalou, l’incendie est arrivé à 2 heures 30 du matin et à Ait Oussalah (la montagne opposée) vers 4 heures du matin», précise-t-il. Son témoignage est important car il confirme que les décharges publiques sont bien à l’origine de beaucoup d’incendies.
Un autre habitant rencontré aux funérailles des victimes confirme également que l’incendie est bien parti de la décharge de Bourbatache. Corroboré par d’autres, son témoignage est aussi précis qu’accablant.
«Le feu est parti de la décharge de Bourbatache en milieu de matinée, vers 10 ou 11 heures du matin. C’est aux alentours de 17 heures qu’il a atteint la forêt pour devenir hors de contrôle. On avait une demi-journée pour contrôler ce feu et le mettre hors d’état de nuire. Des habitants de la région, sur place, ont appelé la protection civile pour leur signaler ce début d’incendie mais personne n’est venu. Ensuite, le feu est devenu incontrôlable et personne ne pouvait l’approcher», dit-il.
L’explication de cet habitant est que beaucoup de camions à ordures déchargent les contenus de leurs bennes en dehors du centre d’enfouissement technique de la région pour ne pas avoir à payer leurs redevances.
Pour se débarrasser des ordures accumulées, ils y mettent simplement le feu. Un feu qui finit déborder et atteindre des zones boisées et devenir incontrôlable.
C’est aux alentours de 16 heures que les dépouilles des neuf victimes sont arrivées au village en provenance du CHU Khellil Amrane de Bejaia.
Escorté par les gendarmes, le long cortège d’ambulances et véhicules des officiels civils et militaires a eu beaucoup de mal à se frayer un passage jusqu’à l’entrée du village.
Recouverts de l’emblème national, les cercueils ont été portés par des nuées de bénévoles jusqu’à leur destination pour la mise en terre dans une atmosphère de grande émotion des membres de la famille, des villageois et milliers de citoyens anonymes venus aux obsèques.
Sur le chemin du retour par la route qui mène à Oued Das et le littoral, ce sont les mêmes images de désastre total. Pas un souffle de vie ne subsiste après l’ouragan de feu jusqu’à Tighremt.
Le feu a calciné les arbres jusqu’aux racines sous terre formant des petits tunnels sous terre.
Les magnifiques cours d’eau de la région sont désormais nus et n’offrent que le spectacle de leurs galets.
Jadis paradisiaque, la côte ouest de Bejaia vient de recevoir un dernier coup fatal. Après avoir été ensevelie sous le béton, elle est recouverte d’un linceul de cendres.
Quant à la région de Toudja, elle commence à peine à panser ses blessures et ses brûlures.
Reportage réalisé par
Djamel Alilat