Deux morts, 3 disparus et 11 personnes secourues. C’est le triste bilan du naufrage d’une embarcation de fortune la semaine passée au large de la Méditerranée. La nouvelle a choqué tout Bordj Menaiel (Boumerdès), la localité d’origine des victimes de cette énième tragédie. Partis de Cap Djinet, ces migrants ont vécu un véritable cauchemar. «Notre embarcation a chaviré à l’aube à cause du mauvais temps et la remontée des vagues.
J’ai vu couler au moins trois jeunes. Les autres ont survécu par miracle, car il était très difficile de résister au froid et aux vagues», relate, sur les réseaux sociaux, un rescapé de cette périlleuse mésaventure. Réputé pour ses publications sur le phénomène de la harga, Francisco José Clémente Martin, membre du Centre international pour l’identification des migrants disparus (Cipimd), souligne que les survivants ont été secourus par les gardes-côtes près de l’île Ibiza. Ce drame coïncide avec la Journée internationale des migrants, célébrée chaque année le 18 décembre pour «mettre en lumière les contributions inestimables de millions de migrants dans le monde». «Cette journée nous permet également de mettre l’accent sur l’environnement de plus en plus complexe dans lequel s’inscrivent les migrations.
Les conflits, les catastrophes climatiques et les pressions économiques continuent en effet de pousser des millions de personnes à quitter leur foyer en quête de sécurité ou simplement d’opportunités», indique l’organisation internationale pour les migrations (OIM), rappelant que les migrants jouent un rôle essentiel sur les marchés du travail, en comblant les déficits de compétences à travers leur participation à relever les défis démographiques dans les sociétés vieillissantes.
Les malheureux harraga de Bordj Menaiel ne sont pas les premiers à braver les risques en cette saison hivernale pour rallier l’autre rive sud du Vieux Continent. Francisco José Clémente fait état de plusieurs vagues de harraga algériens qui ont rejoint les côtes espagnoles ces derniers jours. Avant-hier, il a annoncé que 13 jeunes et un mineur sont arrivés à Palma de Majorque après 48 heures de navigation risquée, précisant que ces migrants ont pris le large à partir de Aïn Benian, à l’ouest d’Alger.
Trois jours auparavant, la Garde civile a secouru à Almeria 12 personnes, dont 3 femmes et 2 mineurs, partis des côtes de Mostaganem, a-t-il écrit sur sa page. Peu avant, deux autres groupes, parmi lesquels se trouvaient une femme enceinte ayant démarré de Tipasa, sont arrivés à Alicante et Formentera, près des îles Baléares, a-t-il ajouté. Dans la nuit du 14 décembre, les services locaux de la Garde civile avaient secouru, selon lui, deux embarcations avec respectivement 18 et 26 Subsahariens à bord.
Une moyenne de 33 morts par jour
La même source parle aussi de plusieurs opérations de sauvetage de groupes de migrants qui avaient pris le large au début du mois à partir des côtes de Tlemcen, Aïn Témouchent, Béjaïa, etc. Si certains prennent le risque de traverser à bord de petites barques, d’autres n’hésitent pas à mettre le paquet pour rejoindre leur destination. «Il y a des gens qui ont cotisé plus de 600 millions pour partir. Ils ont acheté des embarcations et des moteurs très puissants. Cela leur a permis d’atteindre les côtes espagnoles en trois ou quatre heures», relate un jeune de Timezrit, localité rurale située à l’extrême sud-est de Boumerdès.
En septembre dernier, 4 jeunes de cette région ont perdu la vie au large de Dellys, alors que 13 autres sont toujours portés disparus. Touchant plusieurs pays, notamment ceux de la rive sud de la Méditerranée, ces tragédies répétitives sont révélatrices des désillusions d’une jeunesse prête à tout pour un avenir meilleur. Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, 5054 personnes sont mortes à la frontière occidentale euro-africaine au cours des 5 premiers mois de 2024, dont 154 femmes et 50 enfants. Soit une moyenne de 33 personnes par jour. Ces chiffres sont, selon elle, bien plus élevés que ceux enregistrés l’année dernière à la même époque.
L’ONG affirme que «7 bateaux ont disparu avec toutes les personnes à bord, soulignant que les routes méditerranéennes ont fait 246 victimes, la route algérienne de la Méditerranée occidentale étant la deuxième la plus meurtrière après la route Atlantique». «Cette augmentation alarmante de la létalité des frontières montre clairement les effets d’une politique plus préoccupée par le contrôle des migrations que par la défense du droit à la vie», estime la même source.
Parmi les causes de cette augmentation, elle cite «les accords bilatéraux qui se concentrent sur le contrôle des migrations, mais qui n’établissent pas de protocoles de collaboration pour renforcer les ressources de recherche et de sauvetage lorsque des alertes sont émises concernant des bateaux en danger».
A cela s’ajoute «la faiblesse des services de sauvetage», «l’utilisation d’embarcations très précaires par les migrants et le fait que les routes restent actives même dans de mauvaises conditions météorologiques». Lors de sa participation à la réunion des ministres de l’Intérieur du G7, tenue en octobre dernier en Italie, Brahim Merad a déclaré que «le traitement du phénomène de la migration clandestine était inconcevable dans le cadre de mesures conjoncturelles, car exigeant une vision globale visant principalement à traiter ses causes profondes».