Des sommes à donner le vertige, celles qu’avaient engrangées les oligarques durant les trois décennies écoulées de l’ancien régime, probablement autour de 20 milliards de dollars, chiffre mis en avant par les autorités officielles. Au fur et à mesure des investigations judiciaires, la somme grossit mais ne sera probablement jamais véritablement cernée tant ont été judicieuses les ficelles utilisées par les corrupteurs. Si celles-ci ont été plus ou moins dénouées par les juges à l’intérieur du pays, elles le furent moins à l’étranger, notamment dans les paradis fiscaux et les pays traditionnellement refuges des grosses fortunes, la France, la Belgique, l’Espagne etc. Il faut, pour la justice algérienne, de la ténacité, du temps et des dossiers solides pour convaincre ces pays de restituer les avoirs détournés. Certains oligarques ont pris nombre de précautions pour passer inaperçus, d’autre non, laissant des failles et des traces. Il y avait aussi d’ex-ministres et généraux en fuite parfois des membres de leurs familles. Depuis trois années, le dossier a révélé toute sa complexité et en même temps l’ampleur du phénomène de la corruption, notamment depuis les années 1980. Mais elle a existé bien avant, quoiqu’à moindre échelle. Aux premières années, elle n’avait pas beaucoup occupé l’espace public. Le système économique et social centralisé et socialisant ne le permettait pas, mais le pouvoir politique a eu quand même la tentation d’y recourir pour neutraliser les diverses oppositions politiques ou conforter son assise sociale. Mais la corruption a véritablement explosé durant la décennie 80 lorsque, par souci de tourner la page politique de son prédécesseur et de desserrer l’étau du quotidien de la population, le régime Chadli Bendjedid avait «libéré» le commerce extérieur. Ce fut le temps des autorisations générales d’importation (AGI), des programmes dit anti-pénuries et du démantèlement des grands groupes industriels, brèches dans lesquelles s’engouffrèrent les spéculateurs de tous acabits mettant à profit la complicité ou la faiblesse des administrations publiques. Le Premier ministre de l’époque, Abdelhamid Brahimi, avait lancé le chiffre de 26 milliards de dollars de scandales de corruption, un pavé dans la mare jamais abordé depuis par la justice. La décennie du terrorisme qui a vu l’effondrement des finances publiques et l’aggravation de l’endettement publics alimenta la corruption mais tout explosa avec le régime de Bouteflika avec l’argent qui coulait à flots. Il lui servit à s’entourer d’une sorte de cour fidèle et puissante. Les oligarques qui s’affichèrent publiquement eurent un accès facile aux marchés publics et commerciaux et à des investissements publics de grande importance dont la grande autoroute Est-Ouest. Cela dura une vingtaine d’années et il fallut l’effondrement du système après la chute de Bouteflika pour que, devant la justice, surgit l’ampleur de la corruption. Elle n’a épargné aucun secteur, y compris public dont l’emblématique Sonatrach saignée par ses propres dirigeants et ministres de tutelle. Des milliards de dollars s’évaporèrent dans le commerce extérieur par le biais de la surfacturation qui permit un transfert massif d’argent d’Algérie vers des Etats étrangers et des paradis fiscaux auxquels ont recouru même des personnalités politiques de premier plan gagnés par la corrompus. Depuis 2019, toute cette faune est traînée devant les tribunaux. Les autorités actuelles tentent de juguler la corruption en multipliant les dispositifs juridiques. Ils vont certainement la réduire, mais pas l’annihiler totalement car il y aura toujours des leçons à tirer du passé, notamment le volet politique. Parallèlement, un autre phénomène préoccupe les pouvoirs publics, celui du poids pris par l’informel dans le pays. Il est une courroie d’alimentation de la corruption mais ses mécanismes ne sont pas suffisamment connus. L’Etat pense agir en l’asséchant, c’est-à-dire bancariser les énormes sommes en liquide circulant en son sein. Le président de la République vient de lancer un appel menaçant en ce sens. Cela suffira-t-il ? Le poids de l’informel est énorme, estimé à 50 milliards de dollars. Pour la Banque mondiale, dans un de ses rapports, il représente 30% de l’économie algérienne et cela entre 2010 et 2020. Par rapport aux 145,2 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB) de l’année 2020, les revenus générés par les pratiques économiques et commerciales informelles avaient atteint pas moins de 43,6 milliards de dollars en 2020, précise l’institution internationale .
On peut dire que l’argent du marché noir alimente fortement les seigneurs aussi bien de l’import que des gros monopoles des marchés de la distribution des biens de consommation de toutes sortes, comme il alimente le trafic de drogues et la traite des migrants. Même l’accès à des postes politiques ou de pouvoir passe parfois par l’argent de l’informel. Pour le CNES, qui a tenté de cerner la problématique, l’informel, historiquement, est né à la faveur de l’émergence, en puissance du secteur privé, du démantèlement des monopoles publics, de l’accès libre à la devise, de l’assouplissement des formalités douanières et de la liberté d importation... Le CNES estime que l’informel, comme il s’inscrit hors des cadres juridico-réglementaires et des valeurs sociétales, porte les germes de déformations sociales, menace la production nationale structurée existante et projetée, dévalorise la notion travail et tend à s’imposer comme partenaire invisible et nuisible dans la vie politique et économique.