Par Daho Djerbal
Maître de conférences HDR à la retraite. Directeur de la revue NAQD
I. LES PRÉALABLES DU FLN
L'établissement de rapports interétatiques entre l'Algérie et la France est le principal but de guerre du FLN. Dès le 1er Novembre 1954, sa proclamation dite «Proclamation de Novembre» définissait en formulant ses conditions de paix :
Trois exigences préalables :
«1° L'ouverture de négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible».
«2° la création d'un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d'exception et l'arrêt des poursuites contre les forces combattantes».
«3° la reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l'Algérie une terre française au déni de l'histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des mœurs du peuple algérien».
Et trois contreparties :
«1° Les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles».
«2° Tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d'origine et seront de ce fait considérés comme des étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs».
«3° les liens entre la France et l'Algérie seront définis et feront l'objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l'égalité et du respect de chacun.»
Ces conditions ne furent pas prises au sérieux par les dirigeants français d'alors. C'est pourtant sur ces mêmes bases que leurs successeurs négocièrent les Accords d'Evian, au terme d'une longue évolution.
II. LE «TRIPTYQUE» DE GUY MOLLET (président du Conseil des ministres)
Formulé en septembre 1955 par son émissaire Gilles Martinet, il propose :
Cessez-le-feu - élections libres - négociations entre les élus algériens et le gouvernement français pour élaborer un nouveau statut conciliant la personnalité algérienne et le maintien de liens étroits avec la France.
Ce triptyque implique une victoire militaire sur le FLN indispensable à toute solution. Les chefs de la délégation extérieure du FLN demandent aux émissaires du secrétaire général de la SFIO (Guy Mollet) des garanties sur la liberté des élections et le droit de l'Algérie à l’indépendance. Ceux de l'intérieur, réunis au congrès de la Soummam en août 1956, durcissent leurs exigences en faisant de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie un préalable absolu et en y ajoutant celle du FLN comme seul représentant du peuple algérien
Dans ces conditions, la paix était loin d'être acquise. L'interception de l'avion transportant la délégation du FLN à la conférence de Tunis le 22 octobre 1956 va rompre les contacts que les gouvernements successifs de la IVe République (Guy Mollet, Bourgès-Maunoury, Felix Gaillard) avaient en vain tenté de renouer.
Provoqué par la révolte des Français d’Algérie et des chefs militaires contre les intentions de négociation du gouvernement Pflimlin (14-28 mai 1958), le retour du général de Gaulle semblait indiquer le retour au principe de l’intégration.
III. LES TROIS OPTIONS DU GÉNÉRAL DE GAULLE
En fait, dès ses premiers discours en Algérie, de Gaulle reprend le «triptyque» en prônant la réconciliation et la «paix des braves» et des élections au collège unique pour «faire le reste», c'est-à-dire préparer avec les élus un avenir fondé sur la personnalité de l’Algérie et sur une «solidarité étroite» avec la métropole.
Dans sa conférence diffusée dans le cadre du journal télévisé de 20 heures, devant la presse française et étrangère, le 23 octobre 1958 à Matignon, il offre au FLN une reddition honorable : «la paix des braves».
En outre, il invite les Algériens à voter «oui» au référendum du 28 septembre 1958 pour faire évoluer leur pays «dans le cadre français», c'est-à-dire dans celui de la Communauté, où une «place de choix» lui était réservée. Il n'était pas question d'admettre les prétentions du «gouvernement provisoire de la République algérienne» (le GPRA) fondé au Caire le 19 septembre 1958 qui proposait des négociations sans préalable dans l'espoir d'amener le gouvernement français à le reconnaître implicitement.
Embarrassé par la tendance trop intégrationniste des députés élus en Algérie, de Gaulle décide le 23 novembre 1958 de recourir de nouveau au référendum pour réaliser l'autodétermination des Algériens.
Dans son discours du 16 septembre 1959, il leur propose de choisir, après le rétablissement de la paix, entre trois options :
1. La sécession entraînant le refus de toute aide française, comme à la Guinée un an plus tôt.
2. La francisation, c'est-à-dire l'intégration définitive à la France.
3. «Le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures». Dans ce cas, le régime intérieur serait fédéral pour garantir l’autonomie de toutes les communautés.
De Gaulle réitère son offre de paix des braves et invite les nationalistes à défendre leurs idées par la voie démocratique (les élections). Mais il récuse de nouveau la prétention d'un «groupe de meneurs ambitieux» à être le Gouvernement provisoire algérien (le GPRA).
Malgré ce camouflet, le GPRA salue comme une première victoire l'abandon du dogme de l'Algérie française et propose de négocier sur les garanties de l'autodétermination, en désignant pour cela les cinq «chefs historiques» détenus à la prison de la Santé.
De Gaulle refuse publiquement, mais, en décembre 1959, il fait savoir secrètement qu'il acceptait d'associer Ben Bella aux pourparlers et qu'il était favorable à la création d'une République algérienne dans le cadre d'un «Commonwealth français» (la Communauté rénovée, à la demande du Mali, permettant l'indépendance sans rupture).
IV. DES POURPARLERS AUX NÉGOCIATIONS
1. UNE AFFAIRE DE VIRGULE
Du 25 au 29 juin 1960, c'est Melun. Les «Services» avaient dit au général de Gaulle que les Algériens ne répondraient pas à son invitation. Aussi, rien n'était prêt, d'autant plus que se menaient parallèlement les contacts avec Si Salah (colonel Mohamed Zaamoum, chef de la willaya IV).
Des subterfuges furent trouvés pour que la négociation n'ait pas à s'engager. La délégation algérienne avait le texte de la proposition du général de Gaulle, telle que l'avait publiée le bureau de l'Agence France-Presse à Tunis. II s'agissait de trouver «une fin honorable aux combats, régler la destination des armes, assurer le sort des combattants».
Le colonel français Mathon trouve alors une astuce et modifie la ponctuation, avec l'accord de l'Elysée. Non plus une virgule, mais deux points, réduisant la fin des combats, et donc les discussions, au seul problème des armes et des combattants. «Une fin honorable aux combats : régler la destination des armes, assurer le sort des combattants».
Rien d'autre, pas de murmure dans les rangs, circulez, il n'y a rien à voir !
Pour la première fois, le 4 novembre 1960, de Gaulle affirme que l’Algérie constituera une entité indépendante, une «République algérienne», «avec son gouvernement, ses institutions, ses lois».
Les entretiens de Lucerne n'auront donc pas été entièrement négatifs. Ils ont commencé à poser les problèmes. Ils ont eu le mérite de faire apparaître clairement les points de désaccord.
2. LES TERMES DU DÉSACCORD
A. UNE QUESTION DE RECONNAISSANCE DE SOUVERAINETÉ
Dans le passage des simples rencontres aux pourparlers et de ces derniers aux négociations d’égal à égal exigées par le FLN, ce qui apparaît, c’est l’importance des questions d’ordre du jour et de protocole. Ces questions sont elles-mêmes liées et déterminent le statut diplomatique de la négociation. On passe de contacts «officieux» et de discussions «privées» à de véritables négociations entre deux gouvernements. Celles-ci doivent être politiques et non militaires seulement. Elles doivent déboucher sur l’avenir de l’Algérie et la reconnaissance du GPRA comme seul «dépositaire» et «garant» de la souveraineté algérienne.
B. LE SAHARA AU CŒUR DES DISCUSSIONS
Les délégués des deux parties se retrouvent de nouveau en Suisse début mars 1961. Georges Pompidou admet que de Gaulle entreprendra des «négociations» avec le FLN et des «conversations» avec les autres. Il revient sur la «trêve» qui, dit-il, sera suivie de la libération des «Cinq».
Pour le Sahara, il refuse toute discussion sur le fond, n'acceptant d'aborder que des points techniques : cadres, techniciens, capitaux, consultations. Il propose la formule suivante : «Proclamation publique du désaccord quant à la souveraineté populaire du Sahara et renvoi de la négociation sur ce problème après l'autodétermination.»
C'était là un gros risque pour le futur Etat algérien, une nouvelle guerre en perspective pour son remembrement avec l’éventualité de manœuvres par la puissance occupante auprès des Etats riverains (OCRS). Déjà, à l'époque, le Maroc faisait pression sur le GPRA avec des revendications territoriales : Mohamed V, puis plus tard Hassan II, réclament Tindouf et sa région, et Bourguiba la «borne 233». (Zone pétrolifère située à Garet El-Hamel à l'ouest de Ghadamès, d'environ 30 000 km2).
Ainsi apparaît la conception gaulliste de «l'Association» : une Algérie, amputée de son Sahara, avec une présence militaire française gardienne des privilèges économiques de la France et de ceux de la minorité française.
V. LE TEMPS DES NÉGOCIATIONS
Extraits du témoignage de S.L. Bentobbal (1) :
LA PARTIE FRANÇAISE S’ENGAGE DANS LA VOIE D’UN ACCORD
(…) Les Français avaient désigné Bruno de Leusse pour poursuivre les contacts secrets avec M.S. Benyahia. Et, pour la première fois depuis que ces contacts avaient eu lieu, la partie française avait fait connaître par écrit sa position sur certains points. Jusque-là, cela ne s’était jamais passé. C’était le premier document officiel que nous recevions de l’autre partie. En clair, cela signifiait que les Français s’engageaient maintenant sérieusement dans la voie de la négociation. (…)
Les contacts engagés entre Benyahya et de Leusse débouchaient de leur côté sur un premier accord. On s’était entendu sur la date et le lieu de la première négociation officielle qui devait se dérouler entre le GPRA et le gouvernement français.(…)
Avant d’en venir aux faits qui ont marqué cette première rencontre officielle, il me semble important de restituer à l’événement son importance.
FINIR LA GUERRE EST-CE AUSSI FACILE QUE DE LA DÉCLENCHER ?
Un grand frisson s’était emparé de nous lorsque, pour la première fois, nous prîmes la décision de déclencher la lutte armée. (…)
Au début, nous avions pris la décision de déclencher la révolution alors que le parti (le PPA-MTLD, ndlr) traversait une très grave crise. Nous l’avions maintenue parce que nous étions convaincus que l’unité se ferait dans l’action. L’histoire, par la suite, nous a donné raison. Tout le monde avait fini par rejoindre les rangs de la révolution parce que c’était la voie la plus juste mais aussi parce qu’aucune place n’avait été laissée à la neutralité. La France non plus, depuis qu’elle s’était engagée dans la politique de la responsabilité collective, n’avait laissé aucune place à la neutralité.
Maintenant, les dés étaient jetés. Les événements avaient suivi leur cours et les premiers signes de la fin des hostilités commençaient à apparaître. Il devenait de plus en plus certain que la France cherchait à s’engager sérieusement dans la négociation. A ce moment-là pourtant, la peur qui nous envahit fut encore plus grande que celle qui s’était emparée de nous à la veille du déclenchement. (…)
Au début, nous avions décidé du destin d’un peuple sans le consulter. Il fallait maintenant compter avec un peuple qui était partie prenante au conflit. Nous n’étions plus seuls comme au début. A l’époque, en cas d’échec, nous savions que nous serions considérés, aux yeux de l’histoire, ou bien comme des criminels ou bien comme des héros ; c’était l’un ou l’autre, mais peu nous importait au fond le jugement qu’on allait rendre de nos actes.
Décider de la fin de la guerre n’était pas chose aussi facile pour un responsable. Avions-nous suffisamment tenu compte des aspirations du peuple ? Avions-nous rempli tous les engagements contenus dans le programme du 1er Novembre ? N’y avions-nous pas omis quelque point ? C’était autant de doutes qui nous assaillaient. Et puis, il y avait le conflit qui nous opposait à l’état-major. A travers lui, ce n’était pas seulement des individus qui étaient en cause, mais des forces, des forces dont nous aurions eu grand besoin pour affronter les négociations, en rangs serrés. (…)
Nous avions le sentiment d’être les dépositaires d’une mission sacrée. Le mot n’est pas exagéré, puisque nous qui avions conduit la guerre depuis son déclenchement, nous avions pris encore une fois sur nous seuls l’entière responsabilité de la mener à son terme. Nous avons accepté de contacter les Français et de négocier sur tout ce que nous avions revendiqué, non pas seulement depuis novembre 1954, mais depuis notre plus jeune âge.
La dernière réunion du gouvernement avant les Rousses ne baignait donc pas dans l’euphorie ; c’est le moins qu’on puisse dire. La délégation que nous avions constituée ne donnait pas l’impression d’aller triomphalement cueillir la victoire tant attendue.
Jusque-là, nous n’avions jamais vraiment négocié. Nous n’étions pas des professionnels de la politique. C’était au contraire la première expérience, depuis des lustres que le peuple algérien et ses représentants allaient vivre dans ce domaine. C’était la première fois que l’occupant reconnaissait l’existence du peuple algérien, de son droit à vivre libre et à se constituer en Etat indépendant.
C’étaient là les propres termes de la déclaration faite publiquement par le chef de l’Etat français. Il nous restait cependant à concrétiser les termes de la victoire et négocier dans le détail l’accession à l’indépendance.
Nous avions conscience que nous allions affronter, autour de la table de négociations, les dirigeants d’un pays qui avait malgré tout seize siècles d’expérience dans la direction de ses affaires (…).
Les Français, comme je l’ai dit, étaient partis de l’idée que l’Algérie française était une réalité éternelle. Et même si le principe de négocier avait été finalement admis par eux, il était sûr qu’ils n’allaient pas se défaire aussi facilement de ce pays et reconnaître du jour au lendemain que l’Algérie n’était pas la France.
Ils avaient en plus à prendre en considération l’existence d’un million de leurs compatriotes disposant de tous les postes d’autorité et contrôlant toute l’économie du pays.
L’Algérie constituait un poste stratégique de première importance. Elle était aussi bien une ouverture sur l’Afrique qu’une tête de pont avancée en direction de la France. Historiquement, cette dernière a toujours craint de voir se développer à ses côtés une Algérie indépendante au faîte de sa puissance.
Il était donc certain pour nous tous que même si le principe de l’indépendance était reconnu en paroles, les Français feraient tout pour enlever à cette indépendance sa substance. Nous savions qu’ils feraient l’impossible pour nous créer des problèmes et qu’ils nous obligeraient à faire de telles concessions que le noyau révolutionnaire finirait, d’une façon ou d’une autre, par être éliminé du pouvoir. Si l’Algérie devait un jour accéder à l’indépendance, il fallait encore aux Français tout faire pour qu’elle demeure soumise à leur influence.
Nous avions surtout peur de ce que l’Algérie allait devenir au-delà de l’indépendance. Le peuple avait payé un lourd tribut à la guerre. Plus d’un million et demi de martyrs a-t-on dit officiellement. (…)
LES PRÉPARATIFS
A. LES DELEGATIONS
Délégation du FLN / GPRA
Krim Belkacem
Saad Dahlab
Benmostefa Benaouda
Lakhdar Bentobbal
Taïeb Boulahrouf
Mohamed Seddik Ben Yahia
Seghir Mostefaï
Redha Malek
M’Hamed Yazid
Ahmed Boumendjel
Ahmed Francis
Taïeb Nimour
Délégation française
Louis Joxe
Bernard Tricot
Roland Cadet
Yves Roland-Billecart
Claude Chayet
Bruno de Leusse
Vincent Labouret
Jean Simon (général)
Hubert de Seguins Pazzis (lieut.-col.)
Robert Buron
Jean de Broglie
B. INCIDENTS DE SÉANCE
1. Prolégomènes
Au sein de la délégation française, certains n’avaient pas accepté de bonne grâce de négocier avec des Algériens l’accession à l’indépendance de leur pays. Dans leur comportement, ils donnaient l’impression d’être encore des dominateurs. Ils faisaient comme s’il y avait une délégation qui devait diriger les débats et l’autre qui devait lui être soumise. Ils se comportaient encore avec l’esprit du colonisateur et cela déboucha inévitablement sur des incidents de séance. (…)
A propos de Mers El Kebir, les Français demandaient des terres pour la protection de l’aéroport militaire de Bou Sfer. C’était une superficie considérable parce qu’à la région de Mers El Kebir, ils voulaient intégrer la grande Sebkha oranaise, la route nationale qui joint le Maroc et la voie ferrée. C’était environ le cinquième de ce qui était alors le département d’Oran. Le général Philippe de Camas avait produit une carte à l’appui de ses dires. (…)
Après un incident de séance entre Louis Joxe et S. L. Bentobbal
A ma connaissance, Monsieur Joxe, autour de la table il y a deux délégations et non une seule. Vous avez votre général (de Gaulle) qui vous presse d’en finir, soit. Mais nous avons aussi le nôtre qui est à Tunis (le GPRA). Chacun a, pour ce qui le concerne, une autorité qui le commande. Que vous le reconnaissiez ou non, nous sommes représentants d’un gouvernement comme vous êtes les représentants du vôtre. Ce sont donc deux gouvernements qui négocient et, jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas un seul chef de délégation mais deux. Sachez-le dès à présent et assimilez-le une fois pour toutes, nous n’avons pas d’ordres à recevoir venant de vous. Vous avez votre président et ses exigences ne concernent que vous. (…)
2. Incident Dahlab / de Camas
A propos d’un désaccord sur le pouvoir judiciaire dans les territoires concédés temporairement à la France (Bases de Mers El Kebir et Bou Sfer)
Le Général ne comprit pas ce que Dahlab voulait dire au juste. Il prit sa boutade comme une atteinte à l’honneur de l’armée française.
Comment pouvait-on insulter une armée qui était encore là à occuper l’Algérie ? Ne nous rendions-nous pas compte que nous n’étions pas encore indépendants et que nous étions là à négocier sur le territoire même de la puissance occupante ? Nous nous mettons à insulter le drapeau français dans de telles conditions, qu’en serait-il après l’indépendance ?
Buron réagit à son tour de manière très brutale.
Bon, dit-il à Dahlab, vous êtes patriote, c’est un fait, nous aussi nous aimons notre pays.
Il se leva et quitta à son tour la salle.
Dahlab savourait intérieurement ce moment (…) C’est maintenant au tour des Français de quitter la salle alors qu’ils sont dans leur propre pays.
Joxe qui avait appris ce qui s’était passé revint dans la salle. Dans la délégation algérienne, on cherchait maintenant à amoindrir l’incident mais, ce faisant, on rappelait qu’il s’agissait là d’un problème de fond.
Pour apaiser les esprits, Dahlab prit sur lui de sortir de la salle jusqu’à ce que Joxe le fasse revenir avec Buron. (…)
3. A propos de l’OCRS
Il était question de l’OCRS (2) . La France avait jusqu’alors voté un budget spécial pour les infrastructures de communication des régions du Sud saharien. De Broglie avait fait la proposition que ce budget fut maintenu après l’accession à l’indépendance de l’Algérie afin que le Sud puisse continuer à en bénéficier et Krim en accepta l’idée.
Quand Krim nous informa de la chose, nous fîmes immédiatement une mise au point. Pour nous, il s’agissait du même peuple, qu’il soit au Sud ou au Nord de l’Algérie. Nous n’allions pas utiliser les ressources provenant du pétrole pour une seule région au détriment de l’autre. Et que, d’une façon ou d’une autre, c’était là aussi une question de souveraineté. (…)
Épilogue
Les Accords sont signés le 18 mars 1962 à Evian-les-Bains et sont suivis par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain 19 mars à midi. Ils sont ratifiés, côté français, par le référendum du 8 avril 1962 donnant au gouvernement par 91% des votes les pleins pouvoirs pour appliquer les accords, et côté algérien, par le référendum sur l’indépendance du 1er juillet 1962 acquise à 99,72 % des suffrages exprimés.
Ces accords mettent fin officiellement à 132 années de colonisation française et à sept années et cinq mois de guerre, ayant opposé le peuple algérien à 2,5 millions d’hommes des forces armées françaises (appelés et rappelés, tous corps confondus) soutenus par les forces auxiliaires dites «territoriales» (milices européennes UT/UR), et les supplétifs algériens (GMPR, Mokhaznis, Harkis).
Par Daho Djerbal
Maître de conférences HDR à la retraite.
Directeur de la revue NAQD
1- Daho Djerbal, S.L.Bentobbal, Mémoires de l’intérieur, T.II
La Conquête de la souveraineté, éd. Chihab, Alger, mars 2022.
2- Organisation commune des régions sahariennes.
Office de coopération des pays riverains du Sahara.