La cour d’appel régionale de Madrid a rejeté, lundi dernier, la plainte pour «action de vantardise» intentée par le royaume du Maroc contre le journaliste Ignacio Cembrero, rapporte le quotidien espagnol El Confidencial. Ignacio Cembrero accuse les services secrets marocains d’être responsables du piratage de nombreux téléphones portables, dont le sien, à l’aide du logiciel d’espionnage Pegasus, développé par une firme israélienne.
Selon des médias espagnols, la Cour a confirmé la décision du tribunal de première instance rendue en mars 2023 en faveur d’Ignacio, précisant que le jugement initial était «pleinement justifié». Devant la justice espagnole, ajoutent les mêmes sources, les avocats du royaume du Maroc avaient choisi de recourir à une disposition légale aujourd’hui peu en vigueur. Ils reprochaient à Cembrero de s’être rendu coupable d’une «action de vantardise», c’est-à-dire de s’être vanté de quelque chose – en l’occurrence d’avoir été espionné par le Maroc – sans en avoir la preuve. D’après El Confidencial, la Cour, composée de trois magistrats, a ratifié un précédent jugement du 72e tribunal de première instance, datant de mars 2023, contre lequel l’avocat du royaume du Maroc, Ernesto Díaz-Bastien, a interjeté appel.
La juridiction espagnole a, en effet, rappelé, dans sa sentence de 12 pages, le raisonnement d’autres juridictions espagnoles, dont le Tribunal suprême. Elle a, en outre, estimé que la validité de l’action de vantardise en question est «dépassée» et remet même en cause «la possibilité actuelle d’une condamnation au silence» du prévenu, voulue par le Maroc. Elle a également souligné que les «entités de nature juridique publique», comme le royaume du Maroc, «ne sont pas titulaires du droit à l’honneur» en Espagne ou dans le reste de l’Europe. Le nom d’Ignacio Cembrero a, rappelons-le, été inclus dans la liste rendue publique par le consortium Forbidden Stories – composé de 17 journaux prestigieux dans le monde – qui a mis en lumière le scandale Pegasus.
Ce scandale avait suscité de nombreuses réactions de la part de l’Union européenne, de gouvernements étrangers, d’éditeurs, de médias d’information, d’ONG et de journalistes indépendants. Forbidden Stories a publié le 18 juillet 2021 les noms des détenteurs de centaines de téléphones portables espionnés par le Maroc, dont le président français, Emmanuel Macron, et 14 de ses ministres, des journalistes, des militants des droits de l’homme, des exilés marocains et des cadres du Front Polisario. Cette liste ne comportait que trois numéros espagnols, dont celui de Cembrero. Le journal britannique The Guardian avait annoncé en mai 2022 que Forbidden Stories enquêtait également sur 200 autres numéros espagnols ciblés par le Maroc avec Pegasus, mais cette liste n’a jamais été révélée.
Le jugement de la Cour a également condamné le royaume du Maroc à payer les frais, bien qu’il soit possible qu’il invoque l’immunité diplomatique pour éviter de les payer, selon El Confidencial. Il est cependant probable, ajoute le quotidien espagnol, que son avocat se pourvoira en cassation contre l’arrêt de la Cour s’il suit l’exemple des avocats du royaume du Maroc en France qui se sont pourvus jusqu’à la plus haute instance. En France, les avocats engagés par le Maroc ont intenté des actions en protection de l’honneur contre les journaux Le Monde, L’Humanité, Médiapart, la radio publique française et la branche française d’Amnesty International.
Tous avaient désigné les services secrets marocains comme responsables de l’espionnage de Pegasus. Le Monde, trois radios publiques (France-Info, France-Inter et France-Culture) et l’ONG de défense des droits de l’homme ont été tous cités dans l’enquête Forbidden Stories. Au cours des deux années suivantes, les avocats du Maroc ont fait appel jusqu’à la plus haute juridiction, c’est-à-dire la Cour de cassation, qui, en septembre dernier, a confirmé l’irrecevabilité de leurs actions.