Hommage / Mohamed Djeghri. Célèbre pneumo-phtisiologue à Constantine disparu le 19 mars 2024 : Un médecin accompli, un humaniste dévoué

30/06/2024 mis à jour: 22:20
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A Constantine et dans toute la région est de l’Algérie, le défunt Dr Mohamed Djeghri avait été le médecin traitant en pneumo-phtisio-allergologie de plusieurs générations de malades. Il était très apprécié pour sa compétence, sa disponibilité et son humilité. Tous ses patients se rappellent toujours d’un médecin qui a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la médecine à Constantine et en Algérie. 

Il accomplissait sa noble mission, celle de soigner et soulager les malades, avec un grand dévouement et un incomparable humanisme. Un devoir dont il s’est acquitté jusqu’à la fermeture de son cabinet, avant sa disparition survenue le mardi 19 mars 2024, 9e jour du Ramadhan. 

«Le Dr Mohamed Djeghri est parti trop vite, laissant un grand vide difficile à combler parmi sa famille et ses nombreux amis. Je me rappelle l’avoir appelé il y a juste une année, en ce même mois de Ramadan, pour le «consulter» téléphoniquement sur un problème de santé me concernant. Bien qu’en retraite, il m’a soumis à l’interrogatoire classique, à l’issue duquel il a diagnostiqué la nature de mon mal, préconisant des analyses médicales et me recommandant de me faire examiner par un médecin spécialiste. 

Les jours suivants, il ne m’a plus «lâché», me téléphonant plusieurs fois, s’inquiétant de l’évolution de ma maladie, et des médicaments qui m’ont été prescrits», témoigne Mohamed-Seghir Hamrouchi, son ami d’enfance. «Si j’ai cité cet exemple, c’est pour illustrer combien le Dr Djeghri était consciencieux professionnellement, toujours disponible et s’impliquant totalement dans le suivi de ses malades. Cet intérêt pour tous ses patients était perçu par lui comme une mission sacrée. Tous les confrères du Dr Djeghri, ainsi que ses malades s’accordent à louer sa compétence, et ces derniers appréciaient aussi beaucoup son empathie envers eux», ajoute-t-il.


Parcours d’un jeune brillant 

Mohamed Djeghri est né le 7 janvier 1937 à Constantine dans une famille de commerçants originaires de douar El Djeghara dans la région de Taher (wilaya de Jijel). Il a vu le jour à Dar Benchaabane, située au n°4 de l’ex-rue Bedeau (actuelle rue Bekouche Abdeslem) dans le quartier de Souika (vieille ville de Constantine). Il fréquente l’école primaire Aristide Briand (actuelle Mohamed El Ghassiri) dans le quartier de Saint-Jean (actuel Mohamed Belouizdad), puis il poursuit les cours complémentaires à l’école Jules Ferry (actuellement CEM Ould Ali) dans le quartier de Sidi Djeliss. Ses proches témoignent qu’il était un élève brillant en mathématiques, sciences naturelles et physique-chimie et moyen dans les matières littéraires. 

Après la sixième, il est au Collège moderne (actuel lycée Youghourta) où il a passé la seconde et la première, avant de rejoindre l’ex-lycée d’Aumale (actuel lycée Redha Houhou) pour la terminale où il a décroché son Baccalauréat série sciences expérimentales en1958. Mohamed Djeghri s’est intéressé dès son jeune âge à la médecine. 
Son objectif était de soigner les Algériens qui souffraient énormément et qui n’avaient pas les moyens pour accéder aux soins. Son père Hocine, un restaurateur connu à Constantine, l’avait encouragé dans ce «choix patriotique», d’autant qu’il avait déjà son fils aîné Mokhtar, qui était médecin en France, et dont l’EHS de Cardiologie de la cité Erridah à Constantine porte aujourd’hui son nom. Mohamed Djeghri s’inscrit à la faculté de médecine de l’université d’Alger dans le contexte très difficile de la guerre de libération. Les étudiants algériens étaient menacés par l’Organisation armée secrète (OAS) qui a imposé la grève à l’université d’Alger. 

Djeghri était contraint de se cacher pour préparer le concours d’externat. «Il recevait les cours par le biais d’un couple d’étudiants français et il y avait un moudjahid armé qui surveillait les étudiants algériens, c’était un ordre du FLN de passer le concours et de casser la grève de l’OAS. Il a été reçu au concours d’externat du Centre hospitalier et universitaire d’Alger le 6 février 1962 malgré les menaces de l’OAS», a révélé à El Watan son fils Riad.
 

Un spécialiste compétent 

Après l’obtention de son diplôme de docteur en médecine le 26 mars 1966, il s’installe comme médecin privé à Jijel, dans l’ancien cabinet du Dr Durif, au boulevard Frères Mekkideche, tout en exerçant à l’hôpital de la ville. Un choix de cœur, surtout que Taher, la terre de ses origines n’est pas loin. Il y avait surtout un grand déficit en médecins dans la région. Il y est resté six mois avant son retour à Constantine fin 1966. Il commence sa spécialité au service de pneumo-phtisiologie du CHU de la ville, dirigé par le Professeur Mahieddine Benkhellaf, tout en poursuivant des études de spécialité en pneumo-phtisiologie sous la direction des Professeurs Chaulet et Larbaoui au CHU Mustapha Bacha et Beni Messous à Alger. «Il avait gardé de très bons souvenirs avec ces deux professeurs qui ne ménageaient aucun effort pour donner tout ce qu’ils savaient et discutaient les cas cliniques pendant des heures surtout la tuberculose qui faisait des ravages au sein de la population sans oublier que le protocole de traitement de cette maladie est l’œuvre des professeurs Chaulet et Larbaoui, admis par l’OMS comme traitement de référence», rappelle son fils Riad. 


Parallèlement, il ouvre un cabinet au Faubourg Saint-Jean, devenu le quartier de Belouizdad. C’était le cabinet du Dr Mahe, devenu un bien vacant, après le départ de son ancien occupant. Il obtient son diplôme de spécialiste en pneumo-phtisiologie en 1971 et commence à exercer au CHU de Constantine où il dirige le service femmes et enfants et enseigne à la faculté de médecine. Son fils Riad évoque à El Watan cette belle époque : «Il parlait des années passées au CHU de Constantine comme des années de rêves au pavillon Laennec (service de pneumo-phtisiologie) où la compétence, le sérieux et l’humanisme régnaient et le patient était roi. Il adorait enseigner, il était dévoué et prenait très au sérieux l’avenir des étudiants. Il dirigeait le service femmes et enfants au 3e étage, alors que le professeur Abbas Mahmoud avait la responsabilité du service femmes au 2e étage et le professeur Benkhellaf Mahieddine le service hommes au 1er étage. Il a travaillé en collaboration avec les deux professeurs dans une ambiance fraternelle et où il était le plus jeune ; il était très respecté pour sa compétence, son sérieux et surtout son humanisme».


Penser toujours à ses patients 

En 1976, Dr Djeghri se consacre pleinement à son cabinet du boulevard Belouizdad. Il entame une année plus tard une formation en allergologie à Marseille sous la direction du Professeur Charpin. Il s’y déplace une semaine par mois en moyenne à ses frais, pendant quatre ans. La carrière du Dr Djeghri en médecine, en santé publique et dans l’enseignement s’étalant sur près de 60 ans, est très riche pour être résumée en quelques lignes. En 2019, après une mûre réflexion, il décide de prendre sa retraite et fermer son cabinet pour des raisons de santé.

 Il avait 82 ans. Il pensait toujours à ses patients, en s’interrogeant où vont il partir et qu’est -ce qu’ils vont devenir ? Il choisira de les orienter vers des collègues qu’il connaissait très bien parmi ceux qui l’ont remplacé. Durant sa retraite, il partait à Taher, au douar où il avait construit une petite villa en 1974 au sommet de la montagne. La famille s’y réunissait pour passer des soirées inoubliables. Il était un passionné de chasse. Il aimait beaucoup la lecture, surtout des livres d’histoire et le Saint Coran. 

Il voulait écrire un livre sur la sémiologie, car c’est très important dans la pratique quotidienne du médecin. «Qui ne maîtrise pas la sémiologie ne pourra jamais être un bon médecin», disait-il. Il est parti avec le sentiment du devoir accompli envers son pays et ses compatriotes.       

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