Né à Ighil Ali le 27 février 1947, Nourredine Toualbi vécut, depuis sa tendre enfance, à Alger. Il avait plusieurs cordes à son arc : psychologue clinicien, anthropologue, politologue, sa pensée est éclectique, posant de manière claire des problématiques psychosociales et tentant de proposer des solutions toutes aussi claires. Il avait un caractère bien trempé. Thaâlibi parce qu’il est un descendant du Saint patron d’Alger El Cheikh Abderrahmane El Thaâlibi.
Il nous quitte de manière surprenante, le 5 juin 2022. En effet, nous, ses collègues du département de psychologie de l’université d’Alger, pensions qu’il continuait ses pérégrinations à travers le monde, auxquelles il nous avait habitués, depuis qu’il a quitté l’enseignement à l’université d’Alger. Expert, représentant algérien de l’Unesco, en partenariat avec l’Isesco et l’Alecso, il était souvent à l’étranger. D’ailleurs, une médaille d’or lui a été attribuée pour l’immensité des services qu’il a rendus en faveur de l’éducation et de la culture arabes .
Il n’est pas possible de résumer cinquante ans de combat contre l’ignorance en quelques phrases. Noureddine Toualbi-Thaâlibî est professeur d’université où il a enseigné l’anthropologie psychanalytique et la psychologie de l’interculturel écrivait, à juste titre, Semcheddine Chitour , ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, un des rares universitaires qui lui a rendu un vibrant hommage. Ils sont tous les deux nés à Ighil Ali, une commune de la wilaya de Béjaïa, connue pour avoir enfanté Fadhma Aïth Mansour Amrouche et bien d’intellectuels algériens.
J’ai rencontré pour la première fois le nom du regretté Nourredine Toualbi dans une présentation de thèse, parue au bulletin de psychologie auquel j’étais abonnée par le biais de la SNED, en 1974.
Cet article qui était le résumé de sa thèse de doctorat de 3e cycle en psychologie sociale clinique, soutenue le 26 mars 1973 à l’université Paris VII, encadrée par Carmel Camilléri, posait la problématique de la circoncision : est-elle une blessure narcissique ou permet-elle une promotion sociale ? C’est dans cette étude que j’ai appris,entre autres,documents à l’appui,que la circoncision n’était pas une obligation pour les musulmans. Débuta alors une relation de respect, base de mon identification professionnelle de psychologue clinicienne algérienne.
Ainsi, c’est avec beaucoup d’émotion que je fis sa connaissance en 1984. Il venait de rentrer de Paris, après avoir soutenu son doctorat d’Etat sur sa contribution à la théorie du changement à travers les mutations sociales que connaissait l’Algérie. Elégamment vêtu, il était accompagné d’autres géants algériens de la psychologie, ses fondateurs :المرحومةSamia Benouniche, Mohamed Lahlou et Mustapha Haddab, ils étaient au deuxième étage du bâtiment du Caroubier. Ils attendaient leurs autres collègues pour donner le coup d’envoi aux cours de l’année universitaire 1984. J’étais la seule qui ne les connaissait que de réputation parce que je débarquais de l’université de Constantine.
Nourredine Toualbi venait de prendre la direction de l’IPSE (Institut de psychologie et des sciences de l’éducation). J’ai appris par mes collègues assistants que les Toualbi sont une dynastie en ce lieu du savoir : sa sœur Fadhila qui était mon amie, sa femme Radia, toujours notre collègue au département de psychologie, sa belle-sœur Fathia Choutri qui avait grandement contribué à la signature de la première décision rectorale de création du BAPE, actuel CAPU, et lui-même enseignaient à l’IPSE.
Samia Benouniche avec Khalida Medjiba et Mahfoud Achaibou étaient les proches collaborateurs de Nourredine Toualbi. Samia Benouniche était chef de département de psychologie clinique qui avait hébergé pour la première fois les orthophonistes qui étaient chargés de l’enseignement de la psychopathologie du langage. Selon le témoignage de l’orthophoniste Khalida Médjiba, qui venait de réussir le concours d’entrée au magister de psychologie. Nourredine Toualbi n’avait accepté son inscription que sous réserve de répondre aux questions de psychopathologie qu’il avait pris le soin de les lui poser lui-même. A cet effet, il l’avait reçu en toute discrétion au Centre national de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques (CNRPAH), au Bardot.
En sus de son enseignement à l’université, il y exerçait son travail d’anthropologue de terrain. Nourredine Toualbi avait accepté la proposition de Samia Benouniche, relative aux modalités de recrutement des étudiants qui voulaient s’inscrire en psychologie clinique. Ils devaient passer un entretien en vue de ne retenir que les étudiants répondant aux critères de fonctionnement psychique normal.
Je venais de soutenir mon DEA (Diplôme d’études approfondies) et bien évidemment je n’imaginais, à aucun instant, que ma thèse de 3e cycle soit encadrée par un autre que Nourredine Toualbi. D’abord pour ce qu’il représentait pour moi. Ensuite pour l’intérêt de ses hypothèses psychosociales cliniques que je voulais mettre à l’épreuve dans un travail clinique de terrain.
Mais au vu de ses positions concernant les tests, je ne pouvais me permettre d’utiliser les épreuves élaborées sous d’autres cieux que l’Algérie. D’ailleurs pour mener ses enquêtes sur la circoncision, lui-même avait créé des planches,car il considérait que les facteurs culturels véhiculés par les tests fournis par les éditions européenne biaisent l’investigation diagnostique et psychothérapeutique.
J’ai alors opté pour l’utilisation des contes populaires algériens pour mener un travail clinique sur les enfants abandonnés. Nourredine Toualbi avait accepté mais malheureusement, cet encadrement n’a pas été mené à terme : le doctorat de 3e cycle avait été supprimé et remplacé par le magister.
Toujours est-il que c’est avec lui que j’ai appris l’existence de la famille Amrouche et particulièrement Taos et son livre Le grain magique. Il m’avait conseillé de travailler avec le conte Thafounast Igougilen . Cependant, le rejet des tests non élaborés en Algérie, tel préconisé par Nourredine Toualbi, a fini par se nuancer. On pouvait les utiliser sous réserve de leur adaptation à la réalité algérienne.
Le laboratoire d’anthropologie psychanalytique et de psychopathologie, que nous avions créé avec Abderrahmane Si Moussi et d’autres collègues, porte l’empreinte de la pensée vivante de Nourredine Toualbi. Actuellement, dirigé par Mahmoud Benkhlifa, il ne cesse de produire du savoir interculturel tout en adhérant à l’universalité des processus psychiques, telle théorisée par la psychanalyse. Dans le sillage de cette interculturalité, Dalila Haddadi s’est entourée d’une équipe pour créer le Laboratoire de psychologie clinique et métrique en 2012.
Ce laboratoire a à son actif deux tests normalisés à la culture algérienne : le Rorschach et le Columbia et d’autres, en voie de l’être, le MMPI (Inventaire multiphasique de personnalité du Minnesota) et le FAT (Family Aperception Test). C’est dire les retombées pédagogiques et de recherche des thèses de Nourredine Toualbi.
En 1987, j’assistais aux premières journées nationales de psychologie, organisées par l’Union des sociologues et économistes algériens (USEA),à laquelle ont adhéré les psychologues pour créer leur propre association (Kacha, 2012). La manifestation s’était déroulée dans la mythique salle des actes à laquelle a pris part Nourredine Toualbi aux côtés des doyennes de la psychologie clinique : Samia Benouniche et Nadia Kacha.
Nourredine Toualbi quitte l’enseignement et occupe le poste de recteur de l’université d’Alger de 1988 à 1991. Sans son accord sur le principe de création de la clinique universitaire, l’actuel Centre d’aide psychologique universitaire Samia Benouniche n’aurait pas eu l’essor qu’il connaît aujourd’hui, puisque il a été généralisé à toutes les universités algériennes qui disposent d’un département de psychologie clinique. Comme Samia Benouniche, il ne concevait pas un enseignement de la psychologie clinique sans une pratique soutenue sur le terrain.
Ensuite, il devint conseiller du ministre de l’Education et rédige, en 2006 le rapport sur Réforme de l’éducation et innovation pédagogique en Algérie, adressée à l’Unesco.
En 2001, j’apprends, par mon administration, que Nourredine Toualbi était président de mon jury de soutenance de doctorat d’Etat. Le temps de prise de parole de Nourredine Toualbi à ma soutenance était un moment traumatique pour moi.
En tant que président du jury, il m’avait sommé de m’asseoir, au moment où il m’avait invité solennellement à présenter mon travail, pendant au maximum 20 minutes, précisait-il.
La position debout m’aurait permis de mieux gérer mon stress mais,bien évidemment, je m’y étais plié. C’est dire l’insistance qu’il avait sur le respect des traditions universitaires et le droit d’en disposer avec fermeté. Après les interventions de tous les membres du jury, vint celle de Nourredine Toualbi que j’appréhendais avec une peur indescriptible. J’avais eu raison, mes appréhensions se sont confirmées, car Nourredine Toualbi ne cessait de m’interpeller sur les omissions d’auteurs incontournables dans la problématique des maladies de la peau que je voulais traiter avec la théorie psychosomatique de Pierre Marty. Le travail aurait été autrement plus pertinent si vous avez opérationnalisé le concept du Moi peau de Didier Anzieu et de la projection de Sami Ali, me tenait-il rigueur, au point où je m’étais juré de faire cet effort dans mes prochains travaux. Et c’est ce qui advint.
L’hypothèse de l’intolérance au toucher, différente de l’interdit du toucher développé par Didier Anzieu constitue pour moi actuellement l’aboutissement de la pertinence de cette approche, recommandée par Nourredine Toualbi avec insistance traumatogène au moment de la soutenance mais qui n’avait pas tardé à se transformer en pulsion épistémophilique. En plus, jusqu’au jour d’aujourd’hui je dis à mes jeunes collègues et étudiants : ne répétez pas les erreurs de vos aînés.
Nourredine Toualbi a cependant célébré cet événement dans une convivialité mémorable, lors d’un repas que mon mari avait organisé pour les membres du jury et leurs conjoints, quelques jours après ma soutenance. J’ai découvert, lors de ce repas, que l’autorité scientifique dont il jouissait venait de son épaisseur culturelle qu’il avait perfectionnée avec son érudition et l’exercice d’une pensée très vivante, libre de toute compromission. En effet, les références que je cite dans cet hommage témoignent d’une langue utilisée pour exprimer les idées les plus proches de la réalité psychosociale de l’Algérie. Son apparente intransigeance dissimulait une personnalité très sensible et compatissante que je confirme, ce jour-là, après l’avoir vécue le jour de l’enterrement de Fadhila, sa sœur : il pleurait et serrait dans ses bras tous les collègues venus pour le soutenir, y compris moi-même.
En définitive, je dirais que l’université d’Alger et l’Algérie ont perdu un éminent penseur en psychologie sociale et pour garder cette pensée vivante, il est souhaitable que toutes ses contributions soient traduites en langue arabe. C’est le meilleur hommage que ses collègues du département de psychologie puissent lui donner, car c’est bien malheureux que nos étudiants et nos jeunes enseignants ne connaissent pas l’étendue des hypothèses formulées par Nourredine Toualbi qu’on gagnerait à mettre à l’épreuve.
Par Dalila Samai-Haddadi
Professeure à l’université d’Alger 2 en psychologie clinique
Écrits de Nourredine Toualbi
1. La circoncision, blessure narcissique ou promotion sociale (1974, Bulletin de psychologie)
2. La circoncision, blessure narcissique ou promotion sociale (1975, SNED
3. Acculturation Conflits de valeurs et utilisation des rites en Algérie. Contribution psychologique à la théorie du changement social. Thèse pour le doctorat d’Etat es-lettres et Sciences humaines, université René Descartes, Paris, 1982.
4. L’ambivalence culturelle ou des reliquats psychologiques de l’histoire coloniale (1984) Psychologie, n°1, pp 10-16. La substance de cet article a paru dans Algérie Actualité, semaine du 3 au 9 novembre, 1983. Nous reproduisons dans ce 1er numéro de la revue de psychologie parce qu’il nous paraît avoir demeuré d’actualité psychosociale cuisante.
5. Le sacré ambigu ou des avatars psychologiques du changement social, (1984, ENAL ), préfacé par Juliette Favez Boutonnier (1903-1994), fondatrice du premier laboratoire de psychologie clinique à la Sorbonne.
6. Religion, rites et mutations. Psychologie du sacré en Algérie (1984, ENAL)
7. École, idéologie et droits de l’homme : le modèle algérien (Casbah, 1998)
8. L’identité au Maghreb : l’errance, Casbah, 2000.
9. Crise culturelle et fonction de l’intellectuel dans le monde arabe (2001), Sud/Nord /1 no 14, pp 11-21.
10. L’ordre et le désordre: l’Algérie l’épreuve de ses mythes fondateurs, Casbah, 2006.
11. Réforme de l’éducation et innovation pédagogique en Algérie (2006) Préfaces Pr Boubekeur Benbouzid, ministre de l’Education nationale, Philippe Quéau représentant de l’Unesco au Maghreb direction de la publication Pr Noureddine Toualbi-Thaâlibi, Directeur national du PARE Sobhi Tawil, chef de projet à l’Unesco. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000158372
12. L’émeute et l’intellectuel (II), 2008.https://www.cetri.be/L-emeute-et-l-intellectuel-II