Loin ou à côté d’Alger, pas de salle de cinéma mais encore moins de petits espaces pour le théâtre,
6e art et père du cinéma, 7e au podium, ce dernier étant devenu aujourd’hui le cousin éloigné du premier. Visionnage familial à Médéa, pour le Festival du théâtre expérimental.
Oui, la plupart des comédiens de cinéma viennent du théâtre, et pour la plupart, ils l’ont quitté comme on quitte son village de naissance pour aller chercher du travail dans la grande ville. Mais c’est jeudi, 22 février, jour anniversaire du Hirak, personne ne bouge. à Médéa, 80 kilomètres d’Alger, la Place Hamou, petite esplanade où les gens s’assoient en général mais se sont tous levés en ce jour de 2019, est calme.
Ce même jour à Alger, dans le cadre d’auditions qui ne sont pas des castings pour films, la Commission de la culture, de la communication et du tourisme de l’APN auditionnait la ministre de la culture qui présentait son projet sur le cinéma.
On peut bien sûr se demander ce que fait le tourisme dans cette case mais on en est encore au comptage, s’agissant par exemple des salles de cinéma, la ministre a affirmé que son secteur «œuvre actuellement à recenser ces espaces», indiquant que «279 salles ont été recensées, dont 87 sous la tutelle du ministère de la Culture et des Arts.»
A Médéa, des 4 salles de cinéma, Le Rex, Gamrazad, Le Mondial et Ennadjah, il ne reste plus rien, à part des ruines, ce qui quand même inquiétant pour un chef-lieu de wilaya. Heureusement, il y a la Maison de la culture Hassan El Hassani, du nom de cet ex-coiffeur de Ksar El Boukhari devenu célèbre acteur puis député à l’APN, structure inaugurée par le Président Chadli en 1981. C’est là que se tient le premier Festival de théâtre expérimental sous le thème Entre rapprochement et aliénation, organisé par la jeune association Chabab oua founoun de Tablat.
Au milieu de la verdure, des dizaines de jeunes, filles et garçons, discutent, et même les techniciens et les animateurs. A l’intérieur, la salle est pleine de jeunes dont la moyenne d’âge est de 25 ans, venus surtout applaudir la troupe de la ville et sa pièce, Houlm Metkoub (Rêve troué), mais aussi des pièces venues de partout, Woujouh el khir de M'sila, Douar El-oumyane de Tiaret, El Djebana d’Annaba, Es-safina de M’sila, El-Oulba d’Aïn-Defla et Djedb de Boumerdès.
Sans juger de la qualité des pièces, c’est surtout qu’une trentaine de pièces ont été envoyées en présélection pour 7 choisies au final pour leur côté théâtre expérimental et 6 seulement on été jouées, la dernière ayant été annulée à cause de la chute de son comédien principal, jambe cassée comme dans un rêve troué. Mais en dehors des ateliers, pièces en théâtre off jouées à l’université et pièces pour enfants, ce sont surtout les débats organisés en parallèle du festival qui étaient les plus riches. Parle-t-on mieux qu’on ne joue ?
Un seul boulon vous manque et la machine est déréglée
L’introduction est toute trouvée, un jeune metteur en scène expliquant que «toutes les pièces sont expérimentales». Oui, mais non, explique Ziani-Cherif Ayad, metteur en scène et comédien, ancien directeur du théâtre national, invité au débat : «Le théâtre expérimental n’est ni aristotélicien, ni shakespearien, il est une relation particulière avec le public, avec le texte, avec l’espace, c’est surtout un théâtre éclaté en dehors des murs et surtout, jouer avec le public comme par exemple Grotowsky qui faisait installer des petits sièges pour deux spectateurs afin de développer un sentiment d’inconfort dans le public.»
Pour l’ensemble des invités au débat, il faut explorer d’autres chemins de création et devant la désaffection du public et le manque de textes, «on avait proposé de tout remettre à zéro», explique encore Ziani-Chérif Ayad, «projets de théâtre en dehors de la batisse classique, à l’italienne, la scène, le théâtre expérimental sort dans la rue, dans les musées, qui ne doivent plus être statiques.»
Pour parler d’implantation, il rappelle que si «on connaît bien sûr Augusto Boal, Artaud ou Grotowsky, on connaît moins Alloula ou Kaki qui ont travaillé sur des terrains du terroir, la halqa, le meddah, le goual qui est le contraire du théâtre aristotélicien avec un autre rapport à l’espace, ouvert, avec un rapport avec le public qui n’est pas passif mais entre dans le jeu, je ne comprends pas comment ce type de théâtre n’est pas soutenu, mais faire du théâtre expérimental avec un espace à l’italienne, non ça ne fonctionne pas.»
C’est dit, n’est pas expérimentale toute expérience, et sur la crise de textes soulevée par les intervenants et la problématique des commissions de lecture, pour ne pas dire autre chose, Mohamed Bourahla, dramaturge, poète et écrivain rappelle l’autre écueil, «la résistance au changement», et tout en replaçant le plaisir et les libertés au centre de l’oeuvre, il rappelle que «le théâtre algérien a été créé par un maréchal de l’armée française, Clauzel», et en parfait bilingue, il explique qu’il n’est «pas pourtant obsédé par le problème identitaire, méfions-nous des identités meurtrières», allusion à Amine Maalouf, mais travailler sur le local est essentiel, reprendre le thème du festival, entre rapprochements et aliénations, rester ouvert tout en se fixant sur le patrimoine, «il y a des textes, probablement excellents, qui dorment dans des tiroirs pour des raisons extra-artistiques qui n’ont rien à voir avec le théâtre.»
Professeur et écrivain, Saïd Benzerga parle «d’ijtihad», chercher encore et progresser, explorer et «baser le théatre expérimental sur les formes déjà présentes dans la culture algérienne.» Tout en déplorant lui aussi la crise de textes, «on voit des pièces mais on ne trouve pas les textes, écrits, les auteurs préfèrent les déposer pour avoir des subventions et ne pensent jamais à les éditer.»
Bref, tout le monde aura soulevé la problématique et surtout aura rendu hommage à Abdelkader Farrah, ce grand inconnu du public, autre natif de Ksar El Boukhari, grand scénographe algérien et seul étranger à être entré à la Royal Shakespeare Company de Londres, auteur de 300 œuvres artistiques et qui a tenté d’apporter en Algérie toute son expérience, avec peu de succès. Bref en bref, théâtre ou cinéma expérimental, classique ou de l’absurde à la Ionesco et Beckett ? Ce dernier genre existe et a d’ailleurs connu ses heures de gloire et aurait pu entrer aussi dans le domaine du cinéma.
Dans El 3ayta, pièce primée en 1989 au festival de Carthage adaptée de l’œuvre de M’hamed Benguettaf, mise en scène par Missoum Laaroussi et jouée à l’époque par Azzedine Medjoubi, il s’agit d’un ouvrier aux prises avec sa machine qui fabrique des boulons et tombe en panne, à cause justement d’un boulon manquant à la machine.
Le personnage se lance alors dans une quête mystérieuse qui l’entraîne dans les profondeurs de la société algérienne. Tout un programme. Comme un rêve troué.
Chawki Amari