Hichem Baba Ahmed. Enseignant de marketing à l’Ecole HEC Koléa et spécialisé en analyse, diagnostic et orientation marketing : «Les startups doivent axer leur stratégie sur l’innovation, l’agilité et l’adaptabilité»

07/02/2024 mis à jour: 14:13
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Photo : D. R.
  • La définition d’une startup est-elle statique, universelle... ou doit-on la définir en fonction de la conjoncture, du pays là où elle est implantée (en fonction de la législation locale...) ?

Il est préférable de rester dans les normes et les repères internationaux. Une startup est une jeune entreprise à la recherche d’un modèle économique innovant, rentable et scalable ou évolutif en volume et à grande vitesse, souvent dans le domaine technologique, les domaines les plus évolutifs et compétitifs.

Les startups se caractérisent généralement par leur agilité, leur flexibilité et leur capacité à pivoter rapidement en réponse aux retours du marché. Elles sont souvent fondées sur des idées novatrices, cherchant à résoudre un problème spécifique avec une solution originale et optimisée.

Ça débute généralement par une idée, un concept ou une innovation pour améliorer un produit ou service déjà existant, en Algérie ou ailleurs dans le monde. Si l’innovation est validée sous forme d’un brevet, et si elle répond à un besoin industriel, ces derniers devront payer des royalties, des redevances que payent des franchisés à un titulaire d’une invention, d’un brevet ou d’un droit de propriété intellectuelle. Ces versements leur donnent ainsi le droit d’utiliser, eux aussi, les droits de propriété.

  • Les startups explorent des domaines tels que la biotechnologie, l’intelligence artificielle, les technologies de l’information...

Un autre type de startup qui consiste à offrir une plateforme intermédiaire entre des prestataires de service et des consommateurs : livraison, transport VTC, VOD, e.commerce, finTech, healthtech…

  • On a l’impression que le nombre de startups explose chez nous. Est-ce vrai ?

Je ne vois sincèrement pas une explosion de startup pour un pays ayant 1,8 million d’étudiants universitaires, et une population constituée à majorité de jeunes ; je m’attendais à une réelle «explosion» et une évolution exponentielle du nombre de startup dans différents domaines.

Malgré cela, je félicite honnêtement le ministre actuel chargé des Startups et de l’Economie de la Connaissance pour avoir mis en place un cadre juridique et officiel du statut des startups, des incubateurs, de l’innovation mais aussi dernièrement du statut auto-entrepreneur.

Ce socle est nécessaire pour garantir un développement de ce domaine sur le long terme via l’amélioration de l’écosystème global. Après autant d’efforts de l’Etat, pour encourager le lancement de ce secteur, le nombre d’événements, de conférences, d’interventions médiatiques, je m’attendais à un chiffre comme la création d’un minimum de 100 000 startups.

Cela dit, après avoir formé et coaché plusieurs milliers de porteurs de projets depuis une dizaine d’années, répartis à travers plusieurs wilayas du pays, l’essentiel des freins constatés tournent autour de l’investissement dans le capital risque, de la bureaucratie et des allègements fiscaux.

  • Les facilités à octroyer aux investisseurs...

L’Etat a, depuis plusieurs années, procédé à une facilitation et une accélération des procédures d’enregistrement des entreprises réduisant ainsi la bureaucratie et les délais de traitement des dossiers. Il a investi des milliards de dollars dans la formation des compétences pour offrir la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée qui est un facteur décisif pour les investisseurs.

Des incitations à la recherche et au développement, comme des déductions d’impôt, l’encouragement des investissements dans l’innovation. Les pays offrant une main d’œuvre bien formée peuvent attirer des investissements dans des secteurs axés sur la connaissance.

Malheureusement, nous nous retrouvons en pleine guerre de l’intelligence, et notre matière grise est soumise à concurrence, une fuite des compétences est enregistrée depuis ces 50 dernières années et accentuée depuis le début des années 2000. C’est devenu très compliqué de tenter de retenir nos compétences nationales face à cette concurrence mondiale féroce.

En termes d’infrastructure, l’Etat a lancé depuis plusieurs années, la construction d’infrastructures modernes, telles que des réseaux de transport, des télécommunications malgré l’immensité du territoire et depuis 2020 des efforts importants sont fait pour améliorer les services publics, ces procédures améliorent notre classement au Doing Business et rendront le pays un lieu attractif pour les investisseurs, aussi bien locaux qu’internationaux.

L’Algérie se situe dans un emplacement stratégique et l’Etat ayant signé plusieurs accords commerciaux (GZALE , ZLECAF…) offrant ainsi un accès à des marchés régionaux ou mondiaux peuvant être des incitations significatives à l’amélioration de l’écosystème entrepreneurial algérien.

Pour attirer les investisseurs, il faudrait davantages d’incitations fiscales telles que des réductions d’impôts, des exonérations fiscales ou des crédits d’impôts ainsi que des exonérations parafiscales et les réductions des coûts d’accès au capital. L’installation de zones franches à travers plusieurs régions du pays pourrait aider les investisseurs à réduire les coûts liés à la logistique dans un pays aussi vaste que l’Algérie.

Les investisseurs recherchent une stabilité juridique. Des systèmes juridiques stables, applicables et transparents et des règles du jeu claires sur le long terme, ceci aide à renforcer la confiance des investisseurs envers l’Etat et vice versa.

De nos jours, l’investisseur fait face à l’absence de la notion du temps, l’absence d’harmonie et de coordination entre plusieurs secteurs et ministères, une concurrence déloyale vis-à-vis du secteur informel.

Et dans certains cas, le personnel administratif considère l’investisseur et les opérateurs économiques comme étant des ennemies à abattre oubliant ainsi la présomption d’innocence, l’apport que fait chaque entreprise en créant des postes d’emplois et des recettes fiscales.

Ce comportement crée une ambiance de méfiance des uns envers les autres. Pour les investisseurs étrangers, le rapatriement des dividendes reste encore un parcours de combattant. C’est probablement pour ces raisons que l’Algérie n’attire pas beaucoup les IDE.

- En termes de digitalisation :
Plus de 450 plateformes numériques ont déjà été lancées.
Il faudrait une harmonie nationale entre les secteurs et les différentes plateformes numériques centralisées au niveau d’une plateforme (guichet virtuel) unique avec des outils adéquats (Business Intelligence). Piloté par une stratégie nationale, cette plateforme sera le point focal de tous les opérateurs économiques, les citoyens désireux lancer une entreprise ou autre.

La numérisation des procédures au niveau des tribunaux commerciaux :
Je félicite la création des 12 tribunaux commerciaux au niveau national depuis déjà une année. Cela dit, ces tribunaux devraient être connectés à la plateforme (guichet virtuel unique) avec des outils permettant l’automatisation de traitement de certaines opérations redondantes afin d’accélérer les procédures et permettre aux startups de ne pas attendre plusieurs mois avant d’obtenir justice face à des grandes entreprises et vice versa.

  • Comment une startup arrive-t-elle à se positionner sur le marché (concurrentiel) ?

Pour se faire une place dans le marché concurrentiel des startups, il faudrait bénéficier des mêmes chances d’accès à l’investissement, et d’un écosystème encourageant l’évolution de ces startups dans tous les domaines.

De nos jours, ce qui s’offre à nos startups comme outil d’investissement (ex-ASF) est réduit à des sommes symboliques face à l’immensité des défis aussi bien au niveau national qu’au niveau international.

Une fois le budget d’investissement fixé et validé par ces structures, la communication et le marketing n’ont pas leur part dans les dépenses autorisées. Le marketing est probablement considéré comme étant du gaspillage budgétaire par la commission chargée de valider les dossiers d’investissements.

Ces dernières n’ont vraisemblablement jamais exercé au sein d’une équipe ni créer une startup au niveau de leur carrière mais avec un peu d’effort et des conseillers adéquats, on pourrait surmonter cet obstacle. Il suffit de prendre l’exemple de la startup qui a percé au niveau du marché algérien, Yassir (YA Technology).

Les investisseurs qui ont cru en eux, leur ont exigé la réussite. Peu importe le business plan et les stratégies adoptées, ils savent bien que les salaires des développeurs ainsi que le budget de fonctionnement sont une nécessité pour assurer la pérennité de la startup depuis son lancement.

Les membres des commissions chargées des dossiers d’investissement savent que l’investissement dans les capitaux risques demandent une autre réflexion que les investissements dans les domaines comme l’industrie ?

Au niveau des Etats-Unis ainsi que dans d’autres zones du monde, certaines startups ne commencent à générer des bénéfices qu’après plusieurs années d’exercices et plusieurs milliards de dollars de levée de fonds (exemple Uber). S’attendre à faire décoller une startup algérienne avec des budgets aussi petits, c’est comme demander à un nageur d’aller affronter les champions du monde en lui mettant à sa disposition un bassin de moins de 5 mètres de longueur.

Arrivé au niveau de la compétition mondiale, ce nageur n’est pas mis dans les mêmes conditions minimales requises que ceux qui s’entrainent dans une piscine olympique, 50 mètres de longueur, 25 mètres de largeur et 2 mètres de profondeur. L’exemple de la réussite de Yassir reste unique car il reçoit ses fonds de l’étranger, d’entreprises américaines principalement.

Mais plusieurs startup algériennes galèrent pour cause de manque de fonds. Et pour cause, en dehors de certaines banques publiques qui se sont impliquées, l’opérateur économique algérien reste quasiment absent dans la levée de fonds au profit des startup.  L’investisseur privé n’a pas la culture d’investir dans un créneau à haut risque.

D’autres ayant l’argent, surtout en cash, préfèrent faire du commerce dans l’informel (achat/vente), estimant que c’est plus rentable pour eux. Les sociétés étrangères préfèrent ne pas s’aventurer puisqu’elles estiment que le rapatriement des dividendes en devises vers l’étranger n’est pas toujours évident à cause de la loi de la monnaie et du crédit qui manque de clarté.

  • L’encouragement des startups et l’auto-entrepreneuriat peuvent-ils combattre d’une manière ou d’une autre l’activité commerciale informelle ?

Les secteurs informels productifs et commerciaux se sont construits en réponse à des actions menées par l’administration et non acceptées par certains opérateurs économiques ou par des décisions d’interdictions non réfléchies, ces derniers agissent en conséquence, soit par incompréhension, par manque de confiance ou par ignorance et créent un marché parallèle avec leurs propres repères.

Ce processus a débuté depuis plus de 40 ans, le marché informel a débuté petit et a malheureusement grandi et faisant grandir avec lui la bureaucratie, la corruption ainsi que l’opacité au niveau de certaines administrations.

Le marché informel-parallèle est estimé à plus de 100 milliards de dollars contrôlant ainsi une grande partie de la sphère marchande.

L’une des solutions efficaces pour diminuer graduellement les parts de marché de ce secteur informel est une baisse conséquente des taxes fiscales et parafiscales imposées aux différents secteurs (industrie, startup, service…) ce qui permettra d’agrandir l’assiette fiscale, augmentant ainsi le nombre de cotisants et équilibrant graduellement les budgets de l’Etat.

Il est important aussi d’améliorer la gestion des dépenses publiques avec plus de transparence afin de montrer aux citoyens que leurs cotisations sont dépensées d’une manière optimisée, une amélioration palpable des services publiques (hôpitaux, APC, école …) va améliorer le climat des affaires et encouragera plus de citoyens à aller vers l’entrepreneuriat et éventuellement la création de startups.

Sinon, la startup pourrait aider le secteur d’emploi informel grâce au nouveau statut auto-entrepreneur. L’Agence nationale de l’auto-entrepreneur vient d’ailleurs d’être créée, ce qui permettra à beaucoup de jeunes exerçant des activités à buts lucratifs dans un cadre informel d’intégrer l’économie formelle, comme les free-lance.

Concevoir un logo, refaire son site internet, gérer la relation avec l’administration… sont autant de missions qui pourraient être externaliser directement chez des auto-entrepreneurs, ces derniers facturent leurs prestations, elles seront comptabilisées comme charges déclarées auprès des impôts.

Et cela entre dans le cadre de l’optimisation quotidienne qui est d’ailleurs nécessaire si nous voulons atteindre nos objectifs, du coup beaucoup de tâches sont effectuées par du personnel externe.

Une fois cette tâche terminée, la startup a besoin de se concentrer sur son domaine d’activité au lieu d’augmenter son effectif sans pour autant avoir des retours sur investissement palpable.

Si nous travaillons ensemble en additionnant nos efforts dans tous les domaines (opérateurs économiques, administrations, universités…), l’amélioration de l’écosystème est possible à réaliser à moyen terme.

Les startups doivent axer leur stratégie sur l’innovation, l’agilité et adaptabilité, s’intéresser aux besoins des clients, donner de l’importance à l’analyse des données du marché pour prendre des décisions optimales, réfléchir à un financement stratégique (adaptés aux besoins, au secteur et à l’écosystème), trouver une équipe talentueuse, viser une expansion graduelle, penser aux partenariats stratégiques et opter pour gestion financière prudente pour maximiser ses chances de passer le cap des 5 ans d’existence.

Cet écosystème est favorable aussi bien aux entreprises, aux citoyens et à l’Etat qui pourrait équilibrer la balance commerciale sur le long terme grâce aux exportations hors hydrocarbures.
 

 

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