Comme toute guerre, celle qui se déroule en Ukraine avec son tragique lot quotidien de victimes civiles et militaires, de blessés, de dégâts matériels, de populations déplacées par millions, d’exilés, de familles déchirées, de drames humains, ne peut nous laisser indifférents, même si ce pays nous semble si éloigné géographiquement de l’Algérie.
Tout comme il est impossible d’être insensible au sort du millier d’Algériens qui vivent là-bas, des étudiants essentiellement, exposés aux multiples menaces qui pèsent sur eux, loin de leur pays natal. Une contrée du monde qui nous paraît si éloignée, alors qu’une partie de notre blé quotidien vient des plaines si convoitées d’Ukraine, aujourd’hui livrées à la désolation et au malheur. Malheur, oui certes, mais pas pour tout le monde. Dans ce climat d’inquiétudes et d’incertitudes qui n’est pas sans rappeler celui de la guerre froide, les sanctions prises rapidement, sans discernement aucun, les discours guerriers, les appels à l’escalade militaire, suivis d’actes concrets ont de quoi raviver nos peurs quotidiennes.
Pas tant par crainte de devoir, sans doute dans pas très longtemps, payer la baguette de pain plus cher, parce que notre blé est importé d’Ukraine ou de Russie, nos deux plus grands fournisseurs de cette denrée essentielle. Mais aussi par la peur de voir des pays européens affirmer leur volonté de s’armer ou de se réarmer de manière significative qui frise la surenchère. Il y a là, avouons-le, de quoi avoir des appréhensions parce que l’Europe n’est que l’autre côté de la Méditerranée et qu’elle fait face au Maghreb. N’y a-t-il pas un risque de voir s’éloigner, chaque jour un peu plus, de cette ambition partagée sur les deux rives, de faire de la Méditerranée un lac de paix ?
Cette primauté à l’armement massif du Vieux Continent, formulée à travers des déclarations d’intentions fortes, pousse des pays, jusqu’ici connus pour leur neutralité, à l’instar de l’Autriche, la Suède ou encore la Finlande, à vouloir se réarmer massivement et entrevoir leur intégration à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Tous les pays d’Europe ou presque envisagent de revoir à la hausse leur budget militaire, de rénover leurs armées, à l’instar de l’Allemagne qui, à elle seule, va consacrer 100 milliards d’euros à la restructuration de son potentiel militaire.
Une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En définitive, ce ne sont que des centaines de milliards de dollars à rafler pour les marchands de canons, parmi lesquels les grands groupes nord-américains, Northrop, Grumann Boeing et autres. Une restructuration voulue des systèmes militaires européens sous la houlette de l’OTAN, c’est-à-dire des Etats-Unis qui entendent encore plus que par le passé jouer un rôle primordial au sein de l’organisation militaire nord-atlantique.
Dans ce contexte de course aux armements, les mises en garde du président américain Eisenhower, en direction de ses concitoyens, vis-à-vis du Complexe militaro-industriel américain, reviennent en mémoire. Prononcés en pleine guerre froide à l’issue de son second mandat en 1961, il les appelait à «réagir face à la machinerie industrielle et militaire de la défense avec des buts pacifiques (…) de sorte que liberté et sécurité puissent prospérer ensemble», sont encore plus vrais aujourd’hui, 61 ans plus tard.
Enfin, les Algériens ont de quoi être inquiets face à cette course aux armements, qui pousse les Occidentaux à acquérir des armes de dernière génération, les fameuses armes hypersoniques, afin de combler le retard qu’ils ont sur la Russie et la Chine. Pour cela, ils doivent se débarrasser des stocks d’armes conventionnelles actuels dont des pays hostiles à l’Algérie pourraient en bénéficier par l’intermédiaire de pays tiers, européens ou non, peut-être même par Israël, comme on l’a vu récemment avec la fourniture de drones.
La sécurité et l’équilibre des forces dans le Maghreb risquent ainsi d’être compromis. Il convient d’en tenir compte et de projeter la sécurité et les capacités de défense de l’Algérie dans l’avenir.