Hakim Hamzaoui. Maître de conférences à l’ENSJSI d’Alger : «Le statut particulier des journalistes facilitera l’organisation de la profession»

04/05/2024 mis à jour: 16:23
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Photo : D. R.

Le journalisme est une profession en pleine expansion, notamment avec les nouvelles exigences du numérique qui ont repensé les pratiques informationnelles. Hakim Hamzaoui, docteur en Sciences de l’information et de la communication (SIC) et maître de conférences à l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information (ENSJSI) d’Alger, estime, dans cet entretien, que la formation continue  sur les nouvelles pratiques journalistiques est indispensable pour les professionnels des médias. Le même chercheur ajoute que la précarité perdure au sein de la corporation des journalistes. Il souligne, en outre, qu’il est important que les journalistes maîtrisent le procédé de vérification de l’information Fact Checking, étant donné que les fake news circulent abondamment dans la société. Le statut des journalistes facilitera certainement l’organisation de la profession et que «les médias doivent se rattraper  pour se positionner comme principaux supports  d’information pour les citoyens», préconise le Dr Hamzaoui.

  • Les forces du numérique et du digital remettent en cause les anciens modèles de la presse d’information écrite. Comment voyez-vous l’exercice du journalisme aujourd’hui à l’ère des nouvelles mutations technologiques ?

L’exercice du métier de journaliste aujourd’hui a considérablement évolué. Au niveau des pratiques professionnelles, le journaliste doit avoir certaines compétences liées au numérique. Il doit maîtriser l’outil informatique, savoir manipuler le matériel audiovisuel et l’usage de certains logiciels et des réseaux sociaux numériques indispensable pour l’exercice de la profession.

Les pratiques professionnelles constituant le socle du métier,  en l’occurrence la collecte, la sélection, le traitement et la présentation, l’exigent. Au niveau, par exemple, de la collecte de données, le journalisme hors sol s’est imposé dans les médias.

Sa principale source est Internet. Il est donc important que les journalistes maîtrisent le procédé de vérification de l’information Fact Checking, étant donné que les fakes news y circulent abondamment dans la société. Concernant la sélection de l’information ou les événements à couvrir et à ériger en information à diffuser dans les médias, le défi devient plus grand.

Le journalisme est pratiqué dans un contexte d’infobésité. La sélection suivant les pratiques traditionnelles prive le journaliste d’une vue offrant les différents angles au traitement de l’événement. C’est pour cette raison que les rédactions utilisent des algorithmes de sélection d’informations. Cette pratique a permis l’avènement de ce qu’on appelle l’algo-journalisme et les journalistes robots. Certains cas sont connus sur les réseaux sociaux.

  • Les conditions dans lesquelles  les journaux papier engagent leur mutation vers le numérique sont-elles favorables au maintien de leur audience ?

Il faut dire que le contexte n’est  pas vraiment favorable à cette mutation mais, celle-ci est exigée. Et pour cause, la nature des rapports de champs a également touché les pratiques professionnelles des journalistes. Il s’agit des rapports du champ médiatique à celui champ économique et du champ politique.

Au niveau du modèle économique, des changements considérables ont eu lieu dans le monde entier à cause de l’évolution de la numérisation. Celle-ci est accentuée par la Covid-19. Plusieurs médias ont été touchés par des crises financières. Cette dernière a eu un effet remarquable sur la production du journalisme.

L’essence du métier qui est le reportage et l’enquête est reléguée au second plan parce que celui-ci demande beaucoup de moyens financiers. Le journalisme de communication prend alors le-dessus, ce qui nous place plutôt dans une confusion entre le journalisme d’opinion et celui d’information. Au niveau du rapport des champs journalistiques à celui politique et celui socio-culturel, beaucoup de choses sont à revoir.  

  • Ce processus de transformation implique inéluctablement une reconfiguration du paysage informationnel.  Quels sont, selon vous, les voies et moyens susceptibles d’aider les médias algériens à s’adapter aux nouvelles exigences de compétences et pratiques journalistiques ?

La liberté et la protection des journalistes sont des conditions inéluctables. Ces voies garantissent un journalisme d’intérêt public. La pratique de la profession dans un cadre d’assurance permet la production d’une information de qualité. L’information circulant dans les médias contribue à la sécurité nationale et à l’épanouissement de la démocratie.

L’information circulant surtout sur les réseaux sociaux numériques façonne de manière spectaculaire l’opinion publique sur des questions économiques et politiques ou socioculturelles majeures, surtout dans les pays marquant une fragilité des structures.

La formation des journalistes sur les nouvelles pratiques journalistiques est l’une des voies à prendre en considération en urgence. Les programmes de la formation continue au niveau des médias nationaux doivent faire objet de réévaluation par des spécialistes en la matière de manière à les adapter aux exigences de l’heure.

L’intelligence artificielle commence à s’installer comme étant une exigence au niveau des pratiques professionnelles des journalistes dans plusieurs médias dans le monde. Les structures du champ des médias nationaux doivent veiller à ce que les entreprises de presse  garantissent des cycles de formation continue pour leurs journalistes et l’ensemble du personnel de l’entreprise. Un modèle économique qui convient au nouveau contexte des médias nationaux.

Les Algériens ont suivi la problématique de la publicité abondante dans des chaînes de télévisions privées qui a fonctionné comme une agression des droits des téléspectateurs. Le journalisme numérique est une ressource financière formidable. Elle peut aider énormément à l’évolution de l’économie numérique. De ce fait, elle réduira le chômage dans la profession. Il faudra juste l’encadrer.

Les pratiques informationnelles des Algériens ont beaucoup évolué. Elles ont migré vers internet. Les Algériens ont abandonné un peu les médias traditionnels. Il est alors important que ces médias se rattrapent pour se repositionner comme principales  sources  d’information pour les citoyens.

  • La presse est une corporation qui a quelque peu sombré dans la précarité. Plusieurs titres ont cessé de paraître, des chaînes de télévision ont mis la clef sous le paillasson. Il y a aussi des journalistes qui sont sans salaire, sans couverture sociale et sans statut permettant de valoriser leur identité professionnelle. Quel état des lieux faites-vous de cette situation ?

Je pense effectivement que la précarité perdure au sein de la corporation des journalistes. Le constat est valable notamment pour le secteur privé. Cette situation n’est pas sans conséquences sur le travail journalistique. Certes, les salaires des journalistes des médias publics ont été revus à la hausse, plus d’hommes de presse ont bénéficié également de logements.

Mais, cette précarité matérielle touche généralement  la catégorie des débutants qui se lancent dans l’aventure journalistique (période d’insertion professionnelle). L’organisation de la corporation des journalistes a beaucoup tardé mais ce retard a provoqué des conséquences.

En l’absence des textes de lois régissant la profession, les droits de certains journalistes sont bafoués. Ils ont exercé sans couverture sociale et sans salaire décent. Dans le même instant, paradoxe, certains responsables de journaux se sont enrichis.

Le nouveau statut particulier des journalistes qui est transmis au gouvernement, selon le ministre de la Communication, va certainement réguler la profession et permettre aux professionnels d’exercer leur métier dans la dignité. Il est nécessaire pour l’organisation de la profession. Par ailleurs, il faut dire aussi que le paysage médiatique a simplement changé. Deux événements majeurs sont à l’origine de ce changement. La Covid-19 a donné lieu à une crise économique majeure dans les médias nationaux.

Les entreprises de presse sont confrontées à une compression d’effectifs, révision des salaires à la baisse, baisse des revenus de la publicité et des ventes de journaux. Des effets directs sur les formats de production et ou l’impossibilité de pratiquer un journalisme de terrain, vu son coût de production élevé. Le second événement d’effet majeur sur la presse est le mouvement populaire de 2019. Celui-ci a, me semble-t-il, perturbé les rapports du champ médiatique au champ politique.

  • Les journalistes locaux jouent un rôle important dans la société en raison de leur particularité d’être au contact permanent de la population, de partager les difficultés des citoyens et d’en rendre compte.  Comment voyez-vous l’avenir des médias de proximité en Algérie ?

L’expérience de la presse locale en Algérie est distincte. Elle a réussi beaucoup d’exploits depuis, au moins, les années 1990. Ces exploits ne sont malheureusement pas suffisamment mis en visibilité dans les débats publics et scientifiques, La cartographie des médias algériens nous permet de voir ces expériences.

Les stations locales de radio et télévisions publiques, l’ensemble de la presse écrite dont le contenu porte souvent sur la vie sociale, économique et politique locale sont toutes des expériences positives malgré certaines limites.

Grâce au travail des journalistes localiers, les institutions publiques ont été sensibilisées sur certaines situations problématiques des localités. Suite aux reportages publiés dans les journaux, diffusés dans les stations locales de radios ou télévisions, ou sur des sites internet récemment, ces les autorités  sont intervenues pour résoudre les problèmes des citoyens.

Les journalistes localiers ont constitué une source crédible, lors des événements extraordinaires comme les feux de Kabyles, les grands séismes ayant touchés l’Algérie. Ces sources ont fonctionné comme un rempart contre les fake news ayant circulé sur les réseaux sociaux numériques, ainsi que les idéologies extrémistes. Reste que, de ce que nous avons observé, certaines limites se présentent. Elles sont liées au manque de formation continue pour les journalistes et leur rapport avec les  sources d’informations.

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