On pensait, naïvement, que l’après-guerre froide était terminée et dès lors on nous annonçait la couleur d’un ciel plus clément et des lendemains sereins, pour ne pas dire chantants. Le temps leur a donné tort, mais nous restions tout de même perplexes, cependant vigilants, compte tenu des dégâts attendus d’une mondialisation capitaliste déchaînée, de ses terribles conséquences menée par des lobbies et des monstres occultes cachés, qui tirent les ficelles, s’inscrivant toujours dans la logique de «la fin justifiant les moyens». Des lobbies qui ont sous la botte des chaînes d’information, indignes, qui propagent des messages ahurissants de mensonges et de haine, qui ne sont en fait que le produit d’une grande faille morale et d’une défaite de la pensée.
Des journalistes cupides au service de leurs maîtres, qui glorifient et encouragent ces guerres terrifiantes, engendrées ici et là par ce capitalisme insatiable, qu’il ne cesse d’alimenter pour se maintenir, sentant que le monde a bel et bien basculé et que l’histoire ne s’écrira pas avec les mots d’avant. Aujourd’hui, on regarde, pétrifiés, des scènes atroces, des images passées en boucle, pleines d’horreur et d’inhumanité, des images de cendres envahissant des lieux d’habitation rasés, devenus des décombres sous lesquels des hommes, des femmes, des enfants, sans vie, sont ensevelis, suite à des bombardements ininterrompus.
On reste sans voix face à ce spectacle affreux qui se répète tous les jours en Palestine, au Liban, en Syrie et sans doute ailleurs. Des milliers de morts, avec davantage de traumatismes pour ceux qui y ont survécu. Un véritable génocide. Face à cette tragédie, on ne peut mettre des mots sur le temps, sur le drame épouvantable sous nos yeux, car horrible, cruel, inimaginable, incroyable, inacceptable.
On pensait, hélas, que cette urgence de réparer allait advenir, allait être corrigée par l’Organisation onusienne, toujours réunie, en cénacle studieux, pour ne surtout pas définir une ligne commune et prendre une attitude digne et juste, pour l'oppressé et contre l’oppresseur, même si ce dernier jouit d’un veto assuré, détenu par les puissants, et qu’il faudrait bien un jour en changer les mécanismes. En tous les cas, cette séquence donne à voir une des multiples facettes du diktat des puissants décideurs de ce monde qu’ils ont mis au pas.
Les laissés-pour-compte, les exclus, qui rêvaient et rêvent toujours d’un autre monde, plus juste, plus vivable, à la moindre contestation sont vite remis à leur place, souvent avec des menaces à peine voilées. Ces puissants ne regardent-ils pas le monde, bouleversé, déstabilisé, tel qu’il est dans toute sa froideur, dans toute sa nudité et dont ils sont en partie responsables, complices sinon instigateurs. N’entendent-ils pas le vacarme confus qui monte de tous les continents.
Mais peuvent-ils le faire alors qu’ils sont otages d’une fuite en avant, suicidaire, dans la financiarisation de l’économie, de l’instinct têtu de domination, de cette tendance à tout transformer en marchandise, de cette crise d'hégémonie, d’érosion exponentielle des valeurs spirituelles, dont l’Eglise se plaint chaque jour. Les anciennes alternatives s’étant effondrées, le recours à de nouvelles n’ayant pas visiblement donné lieu à des résultats probants. Le recours à une implication folle et tête baissée dans les guerres, qui gangrènent le monde, n’est sans doute pas la solution idoine. Le culot, c’est qu’ils jouent double jeu.
D’un côté, ils font croire à leur implication dans un cessez-le-feu qui n’est jamais advenu, de l’autre et simultanément, ils gavent Tel-Aviv d’armes sophistiquées et de milliards de dollars. Dans ce cas, la guerre n’est pas le bras de la politique, mais son substitut. Et si la guerre voulue domine toujours et s’étend, c’est parce que la politique a reculé. Bien que cette séquence, on la connaît déjà depuis des années à travers les résolutions de l’ONU pour la Palestine, non appliquées, mais restées dans les tiroirs et dans l’impunité totale pour celui censé les appliquer.
On sait qu’entre 1968 et 2002 Tel-Aviv a violé 32 résolutions (+ sept depuis), occupant le premier rang devant la Turquie (24)) et le Maroc (17). A l’évidence, ce monde globalisé n’est pas à l’abri. Ne sont en paix ni les puissants ni tous les autres. Sur tous les continents, des armes se font entendre, des conflits fabriqués ou provoqués s’enlisent, des peuples souffrent. Un conflit visiblement et réellement localisé peut provoquer une multitude de fronts secondaires, qui se jouent de toutes les frontières. Et l’exemple le plus frappant est celui de Tel-Aviv, le bourreau qui se permet, impunément, d’attaquer là où il veut, quand il veut.
C’est pourquoi, comme l’a écrit un illustre auteur : «La guerre qu’on est en train de vivre n’est pas mondiale, elle est mondialisée. Elle n’est pas seulement l’affaire des nations, elle peut être d’une partie puissante, elle peut être civile, opposer des peuples, des cultures, des religions, elle se déterritorialise. Inutile d’y chercher l’opposition de deux camps bien identifiés, encore moins de deux camps entre lesquels il serait possible de choisir.
Ces guerres n’ont qu’un seul camp. Celui du désordre, de la violence et du pouvoir de la force. Nous sommes précisément dans ce moment, dans ce clair obscur dont parlait Gramsci et qui est propre à générer tous ''les «monstres'', sataniques, messianiques, maçonniques. Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur, surgissent les monstres», avait décrit un célèbre philosophe engagé italien. Le capitalisme débridé, outre la richesse, il produit de la pauvreté et de l’injustice, destructeur du social.
Le libre marché s’identifie à un seul principe : le profit. Une société n’existe, en effet, que parce qu’elle fait place, en son sein, à des activités non rentables, comme l’école, la justice, la santé publique. Comme l’a fait remarquer le philosophe humaniste André Gorz à ce sujet : «La culture qui ne sert à rien» est la seule qui rend une société capable de se poser des questions sur les changements qui s'opèrent en elle, et de leur imprimer un sens. Tout en ignorant «ce qui ne sert à rien», le tout-marché travaille, inconsciemment, à son autodestruction...
Attendons ....