«Le mouvement féministe palestinien est sorti du ventre du mouvement de libération nationale. Il l’a influencé et il en a été influencé.»
Alors que l’on s’apprête à célébrer ce vendredi 8 mars la Journée internationale des droits des femmes, l’actualité tragique en Palestine invite à se pencher sur la lutte des femmes palestiniennes ou plus exactement leur double lutte, à la fois contre l’oppression coloniale sioniste et aussi contre le poids du patriarcat.
Et dans le contexte de la guerre génocidaire contre la population de Ghaza, il faut se souvenir, comme le souligne régulièrement le ministère de la Santé à Ghaza, que «70% des victimes sont des femmes et des enfants». Le dernier bilan communiqué hier fait état de 30 717 morts et de 72 156 blessés en cinq mois de massacres dans la bande de Ghaza.
Et les pertes par genre mettent justement en exergue le lourd tribut payé par les femmes dans cette campagne d’extermination. Il y a quelques jours, le chef du Pentagone a déclaré que «25 000 femmes et enfants» ont été tués dans la bande de Ghaza depuis octobre dernier.
D’après le ministère des Affaires féminines de la bande de Ghaza, 8900 femmes et 13 430 enfants ont été tués au 150e jour de l’agression sioniste, à quoi ajouter plus de 7000 disparus, dont 70% de femmes et de mineurs. Les chiffres parlent aussi de «60 000 femmes enceintes» qui sont particulièrement vulnérables et qui se trouvent «en danger faute de prise en charge médicale».
Un reportage de l’AFP, diffusé hier et consacré au quotidien difficile des femmes enceintes à Ghaza, cite le témoignage d’une jeune maman de 31 ans qui a accouché récemment dans des conditions abominables.
Les hôpitaux étant hors service, elle a mis au monde son bébé dans une école. «Faute d’électricité dans l’école, l’accouchement a eu lieu à la lumière des téléphones portables», a témoigné un médecin qui a assisté à l’opération, cité par l’AFP.
Un communiqué du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme daté du 19 février relaie le constat effroyable effectué par un groupe d’expertes de l’ONU dont Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés.
Ces expertes «ont exprimé leur inquiétude face aux allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains auxquelles les femmes et les filles palestiniennes continuent d’être soumises dans la bande de Ghaza et en Cisjordanie», indique le communiqué du HCDH.
«Immédiatement prises pour cibles»
«Selon les informations reçues, des femmes et des filles palestiniennes auraient été arbitrairement exécutées à Ghaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants», révèle la même source. «Nous sommes choqués par les informations faisant état de ciblage délibéré et d’exécutions extrajudiciaires de femmes et d’enfants palestiniens dans les endroits où ils cherchaient refuge ou alors qu’ils fuyaient.
Certains d’entre eux auraient tenu des morceaux de tissu blanc lorsqu’ils ont été tués par l’armée israélienne ou des forces affiliées», ont affirmé ces expertes. Plusieurs de ces femmes et ces filles «auraient été soumises à des traitements inhumains et dégradants».
Elles auraient été «privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments, et rouées de coups». «A au moins une occasion, des femmes palestiniennes détenues à Ghaza auraient été enfermées dans une cage, sous la pluie et dans le froid, sans nourriture», rapporte le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
Les expertes onusiennes se sont dites, par ailleurs, «particulièrement affligées par les informations selon lesquelles des femmes et des filles palestiniennes en détention ont également été soumises à de multiples formes d’agressions sexuelles, telles que le fait d’être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l’armée israélienne».
«Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées, tandis que d’autres auraient été menacées de viol et de violences sexuelles.» Les expertes ont en outre indiqué que «des photos de femmes détenues dans des circonstances dégradantes auraient également été prises par l’armée israélienne et mises en ligne».
Ces faits dûment documentés montrent une nouvelle fois que les femmes sont immédiatement prises pour cibles dans les conflits, spécialement en situation d’occupation et d’agression coloniale, comme c’est le cas en Palestine où, forte de sa supériorité militaire, la puissance occupante multiplie outrageusement les violences et les exactions. «Beaucoup de mythes et d’images entourent le rôle des femmes dans les conflits armés.
Cette vision est dans la plupart des cas simpliste : les femmes sont les victimes. D’abord, d’une violence armée en tant que victimes de viol et d’agressions sexuelles et en tant que réfugiées. Ensuite, d’une violence ‘‘civile’’ et de l’intensification du commerce sexuel dans les zones de conflits», relève la sociologue belge Danaé List dans un article publié dans la revue Sextant (n°34, 2017) sous le titre : «Paix et guerre : l’activisme des femmes dans le conflit israélo-palestinien».
«Lorsqu’on pense à la guerre, on imagine bien les femmes comme extérieures aux conflits», poursuit-elle, avant d’ajouter : «L’image dominante est que la guerre est une affaire d’hommes. Dans la plupart des cultures, la violence est associée aux hommes. Ils n’ont pas le choix, elle s’impose à eux.
Et qu’ils le veuillent ou non, ils doivent y participer. Certains chercheurs y voient même un rite de passage. Traditionnellement, la paix est considérée en revanche comme une valeur féminine.»
De Leïla Khaled à Ahed Tamimi…
Cependant l’on aurait tort de confiner les femmes dans une posture exclusivement victimaire et de les enfermer dans le registre doloriste. «Qu’elles soient engagées dans les mouvements pour la paix ou qu’elles se mobilisent pour l’effort de guerre, les femmes jouent un rôle important et souvent passé sous silence dans l’histoire des conflits armés.
Ce silence est le signe d’une exclusion qui est celle des femmes en général», souligne Danaé List. Dans le cas de la lutte du peuple palestinien, les femmes ont depuis le début du XXe siècle été sur tous les fronts. De Leila Khaled à Ahed Tamimi, l’engagement révolutionnaire et féministe a traversé toutes les générations militantes en Palestine occupée.
De fait, pour un large pan du mouvement des femmes palestiniennes, le combat contre l’occupation israélienne et celui pour les droits des femmes ont été menés de pair. «La lutte des femmes palestiniennes plonge ses racines dans les débuts du XXe siècle, dans toute la région du Proche-Orient à l’Afrique du Nord traversée par des mouvements de libération nationale qui revendiquent l’indépendance vis-à-vis des puissances coloniales.
C’est à l’intérieur de ces mouvements que les femmes, en Palestine comme ailleurs, vont créer peu à peu un processus de participation et d’émancipation», note Orient XXI (c.f. L’histoire inachevée du féminisme palestinien, 10 mars 2021).
Et de faire remarquer : «Dans la longue histoire de la résistance palestinienne, elles ont constamment dû se battre pour affirmer leur présence à l’intérieur d’un mouvement de libération basé sur un imaginaire masculin.» «Peu après sa création, l’OLP a créé en 1965 l’Union générale des femmes palestiniennes.
A partir de ce moment, leur participation, centrale, culminera avec leur rôle actif dans la lutte armée dans les années 1960, considérées comme ‘‘l’âge d’or’’ du féminisme palestinien.
Avec la création, au cours des années 1970, des comités de travail des femmes, c’est une nouvelle génération radicale de militantes qui émerge. Elles mettent noir sur blanc l’urgence de joindre au combat pour la libération nationale celui du féminisme et de la lutte des classes dans une approche qu’on pourrait qualifier d’‘‘intersectionnelle’’ avant la lettre.»
Un autre article sur l’histoire du mouvement féministe palestinien depuis la Nakba publié par le site «Raseef22.net» (article mis en ligne le 29 janvier 2022), éclaire cette relation assez ambiguë entre féminisme et mouvement de libération en Palestine.
Zaineb Abdel Fattah Ghoneim, directrice du Centre de recherche et de consultation juridique des femmes basé à Ghaza, citée dans l’article, décrypte : «Le mouvement féministe palestinien est sorti du ventre du mouvement de libération nationale. Il l’a influencé et il en a été influencé.
Le processus d’évolution organique du mouvement féministe est entré dans une relation dialectique avec les différentes étapes du mouvement de libération nationale depuis le début de la résistance contre le colonialisme britannique et l’invasion sioniste dans les années 1920 jusqu’à la participation des femmes aux institutions de l’OLP et la formation de l’Union générale des femmes palestiniennes au milieu des années soixante.»
Zaineb Ghoneim estime que «le mouvement féministe palestinien a connu un changement qualitatif au cours de la première Intifada dans les années 1980, avec la formation de cadres féministes affiliés aux forces et organisations palestiniennes».
«Cela s’est reflété, précise-t-elle, à travers l’action des femmes palestiniennes dans les territoires de 1948 et leur interaction avec les autres collectifs de femmes en Palestine.»