Générale de la pièce «Le Banquet» au 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger : Et si «l’Intelligence artificielle» était une véritable menace pour les humains ?

28/12/2023 mis à jour: 03:00
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Une des scène de la pièce «Le banquet» de Ali Abdoun (photo : H. Lyès)

Un public nombreux a assisté, mardi dernier, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger (TNA), à la générale de la pièce «Le Banquet», en compétition au 16ème Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP) qui se poursuit jusqu’au 31 décembre 2023.

La pièce «Le banquet» est adapté du texte éponyme de Mouloud Mammeri par Ali Abdoun. A sa sortie au début des années 1970, ce texte avait été interdit en raison d’une teneur considérée comme «subversive».Dans un court essai, «La mort absurde des Aztèques», Mouloud Mammeri avait introduit la pièce «Le Banquet», publiée en 1972. Les Aztèques, qui vivaient dans un territoire situé au Mexique actuel, devaient faire des sacrifices humains pour ne pas arrêter «la course» du soleil. 

Cette civilisation, qui était parmi les plus évoluées au milieu du XVème siècle et qui avait plus de 300 ans, avait été détruite par les conquistadors chrétiens espagnols, venus avec armes et bagages occuper l’Amérique du Sud et obliger ses populations à se convertir au catholicisme. Le monde a changé et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Et, le texte de Mouloud Mammeri est adapté pour la première fois aux planches en Algérie. 

C’est une production du TNA, une mise en scène de Faouzi Benbrahim et une scénographie de Zine El Abidine Khettab. Le jeune metteur en scène a fait appel à des comédiens consacrés tant au théâtre qu’à la télévision, à l’image de Sally Benacer, Mohamed Tahar Zaoui, Rabie Ouadjaout, Chaker Boulemdaïs ou Nacerddine Bendjoudi. La pièce débute par un prologue fractionné en trois phases pour s’adresser au public et le préparer à suivre un spectacle où un royaume, qui peut être lointain, est menacé par un puissant envahisseur venant de l’Orient. Un envahisseur qui a la force technique, réunissant persuasion et dissuasion, pour domestiquer un roi faible et naïf croyant être aimé par tous. Dans le prologue, il est question d’intelligence artificielle, «une technique qui ne va pas s’arrêter de s’auto-développer». «Elle vous accompagnera dans tous les domaines de la vie. Vous allez vous découvrir d’une nouvelle manière. Vous allez tenter des expériences inoubliables et réaliser des créations illimitées.

«Un monde étonnant vous attend...» 

Un monde étonnant vous attend où l’imagination deviendra réalité et où la réalisation des rêves se concrétisera», dit la narratrice d’un ton presque solennel. Sur un trône en verre cassable, et fatalement fragile, le roi rassemble sa cour qui l’assure sur la tranquillité du royaume. Il leur demande d’inviter le peuple à un immense banquet pour célébrer la joie collective. Le royaume ne va pas résister longtemps à une invasion impitoyable, comme fut la conquête espagnole de l’Amérique du Sud. Et comme dans tout royaume, la trahison habite toujours à l’étage supérieur. La princesse pactise avec le diable et accélère sa chute autant que celle du palais.

Des avatars à des cultures anciennes

La scénographie est contemporaine, construite autour d’un espace où le quatrième mur est abattu et où des barres lumineuses expriment autant les états d’âmes que les situations à travers le changement des couleurs. La musique de Aboubakr Maatallah vient en appui d’un jeu dynamique de comédiens et crée l’atmosphère parfois tragique. Une touche comique est présente aussi dans un spectacle où les dialogues, plutôt bien écrits, évoquent l’existence de deux mondes, deux espaces, deux visions, deux temps. Les conquistadors d’aujourd’hui vivent dans le monde virtuel, peuvent attaquer sans être touchés, peuvent tirer sans être vus, peuvent faire du mal pour refaçonner le visage du monde et peuvent créer des avatars à des cultures anciennes.

«Le banquet» est la première pièce algérienne qui propose une réflexion sur l’avenir de l’intelligence artificielle. Un thème qui va probablement s’imposer dans les créations artistiques dans le futur, en Algérie ou ailleurs dans le monde. Ali Abdoun a réussi à compresser un texte dense de Mouloud Mammeri, 320 pages et 140 personnages, en une pièce d’une heure. «J’ai fait l’adaptation à la demande du metteur en scène. De 60 personnages au départ, nous n’avons finalement retenu que 10 dans la version finale du texte. Il fallait rester fidèle à l’auteur et avoir une nouvelle vision», a souligné Ali Abdoun, lors du débat qui a suivi la pièce au niveau de l’Espace M’hamed Benguettaf, au TNA.

«Tout ce qui est nouveau vient de l’Orient. Le soleil se lève à l’Est. Le nouveau jour vient de l’Est. Les prophètes sont tous venus de l’Orient, Moussa, Aissa, Mohamed ou même Boudha», a-t-il ajouté, en réponse à une question.
Le savoir est devenu, selon lui, un outil de domination. «Tous les pays pauvres ont en eux des graines de colonisabilité en raison de leurs fragilités. Les populations locales peuvent aider parfois les occupants à s’installer», a-t-il.

 

«Je travaille pour mon public en vivant mon temps»

Faouzi Benbrahim a, pour sa part, confié avoir voulu monter la pièce avec 120 ou 200 comédiens. «J’aurai voulu que le public voit l’arrivée des envahisseurs à travers des hologrammes. Malheureusement, nous ne pouvons pas produire de grandes productions en Algérie, faute de moyens. Nous n’avons pas encore une grande industrie théâtrale. J’aime bien le verbe maghrébin. Dans l’écriture d’Ali Aboun, il y a aussi de l’image. 

Sur le plan dramatique, j’ai mis de côté le conflit qui était dans la pièce originale, les Espagnols contre les Aztèques. Je travaille pour mon public en vivant mon temps. Au théâtre, on ne copie pas le réel, on stylise, on exagère, on va vers l’extrême pour provoquer le choc. C’est peut être audacieux de ma part de déplacer le déroulement de l’histoire du son espace et de son temps originaux», a souligné le metteur en scène.

«Le banquet» se déroule dans un espace impersonnel et un temps inconnu. Les costumes, conçus par Boukhari Habbel, n’indiquent pas une époque précise. La robe classique côtoie la tenue spatiale. «J’ai voulu un mélange en tout, y compris en musique. Le roi dit vouloir de la guesba et le bendir dans sa fête. Le roi veut que le peuple soit dans son banquet. D’où notre choix de faire monter des spectateurs sur scène. Tout était étudié pour qu’on se déplace de la salle à la scène», a souligné Fouzi Benbrahim. 

Il faut, selon lui, suivre la marche du monde dans sa rapidité. D’où l’idée de montrer un royaume vivant dans la lenteur et la candeur et une puissance fonctionnant à la vitesse supersonique et domestiquant ses proies par de petites armes électriques.  

Hicham Farès

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