Feuilleton / Qui fait la loi (sur le cinéma) ?

31/12/2023 mis à jour: 02:02
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Enquête au paradis : l’affiche du film de Merzak Allouache de 2018 où il s’agit plus de la vision du paradis par les humains que du paradis lui-même

Tout le monde l’attend, comme la sortie d’un film dont le succès a précédé son visionnage, tout le monde cherche à savoir ce qu’il y a dedans, à l’image du film Ben M’Hidi entamé en 2015 qui vient encore une fois d’être annoncé en sortie mais n’est toujours pas sorti. 

Ce qui a fait dire à son réalisateur Bachir Derraïs  : «On espère cette fois que c’est la bonne mais c’est plus une délivrance que de la joie car ils ont tué la carrière du film.» Une loi sur le cinéma qui n’arrive pas à sortir est-elle en train de tuer le cinéma ? En 2020 déjà est créé un secrétairiat d’Etat chargé de l’industrie cinématographique, structure vite dissoute et remplacée par un conseiller au cinéma, Ahmed Rachedi, dissous aussi. 

Les services du ministère de la Culture préparent ensuite une loi mais en 2023, le Conseil des ministres la zappe pour enrichissement puis les professionnels du cinéma sont réunis pour des assises où il faut rester assis puis est créée une instance nationale, puis le Fdatic, Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique qui a pu financer 139 films depuis sa création en 1968, est dissous à son tour pour laisser place au FNDATICPAL, Fonds national pour le développement de l’art, de la technique, de l’industrie cinématographique et de la promotion des arts. 

Le 17 décembre dernier, la loi sur le cinéma atterrissait enfin en Conseil du gouvernement qui recommande de maintenir le Fdatic alors que le ministère avait déjà annoncé l’ouverture d’une nouvelle commission pour le financement de films dont le dépôt sera clôturé le 3 janvier prochain, sans préciser par le biais de quelle commission, l’ancienne ayant été officiellement appelée à d’autres fonctions. Bref, FNDATICPAL contre FDATIC n’est pas un péplum du genre Hannibal contre Genseric mais une suite d’hésitations sur la marche à suivre, long feuilleton où les épisodes n’ont pas été diffusés dans le bon ordre. 
 

Qui fait la loi ? 

Aux dernières nouvelles, la loi, qui est finalement la même que celle de février 2023 alors qu’elle avait été refusée pour enrichissements, passera donc à l’APN, seule signataire au nom du peuple. Avec ses dispositions parallèles, il s’agit surtout d’argent, comme l’autorisation de tournage payante, triste nouvelle pour les jeunes amateurs, l’État qui s’engage à financer les œuvres cinématographiques jusqu’à 70% à travers des crédits bancaires, ce qui n’est pas un financement gratuit puisqu’il va falloir rembourser, ce que les producteurs détestent, et les salles auparavant gérées par les APC seront confiées à des privés moyennant une location mensuelle de 500.000 à 800.000 dinars, ce qui va être compliqué pour eux en l’absence d’un réel circuit production-commercialisation. La réaction des principaux concernés ? 

En l’absence de débats publics, c’est sur les réseaux sociaux que les avis sont consignés, le producteur et réalisateur Bachir Derrais annonçant que «12 journaux ont bloqué nos contributions concernant la nouvelle loi sur le cinéma adoptée par le Conseil des ministres», ce à quoi lui répond Ahmed Bejaoui, le Monsieur cinéma, qu’il «n’arrive pas à comprendre pourquoi la presse fait barrage entre nous et les décideurs, pourtant en mars dernier, c’est le Président de la République lui-même qui avait rejeté ce projet de loi en demandant aux chargés du secteur de consulter l’avis des cinéastes», ajoutant que «le Président vient de recommander la restauration du FDATIC or il n’en est pas fait mention dans cette loi.» 

Contacté, Boualem Ziani, président de l’Association de producteurs, confirme : «La centaine de propositions n’a pas été prise en compte, le fonds d’aide n’est pas clair, il n’y a pas de centre pour le cinéma avec des professionnels à leur tête qui pourrait gérer tous les aspects alors que le Président de la République n’a jamais cessé de demander de travailler en concertation avec les professionnels.» Mieux, Boualem Ziani explique qu’après les fameuses assises, «nous n’avons fait qu’une seule réunion sur le projet de loi et on n’a jamais vu sa version définitive, elle ne nous a été même pas envoyée.» 

Otage de l’administration, le cinéma va donc encore souffrir en 2024, seule bonne nouvelle, la peine de prison pour les producteurs qui n’ont pas terminé leur film a été commuée en une amende, même si dans la nouvelle loi, il y a obligation de réaliser le film en 18 mois, ce qui est absurde. Il faut espérer que l’APN revoie ce projet qu’il vient de réceptionner et que lors de sa présentation par la ministre de la Culture en janvier, il présente des amendements. Oui, on est là déjà un plus proche de la science-fiction que du thriller.
 

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