Faouzi Moualek. Commissaire divisionnaire à la direction de police judiciaire : «Plus de 90% des psychotropes saisis proviennent de la Libye»

08/04/2023 mis à jour: 02:42
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Commissaire divisionnaire et chef de service de recherche et d’analyse criminelle au niveau de la Direction de la police judiciaire,  Faouzi Moualek, évoque des saisies massives de psychotropes, durant les trois dernières années, principalement, la Prégabaline, plus connue sous le nom «saroukh» (la fusée). Dans cet entretien, il apporte un éclairage en revenant sur son introduction illicite à travers la Libye et sa consommation de plus en plus importante en raison de sa disponibilité, son prix et sa facilité de dissipation.

 

 

-Durant la crise sanitaire, nous avons constaté une baisse des prises de cannabis et une hausse considérable de la quantité des psychotropes récupérés. Comment expliquez-vous cette évolution ? 
 

Effectivement, si l’on se réfère aux statistiques des saisies, nous remarquons une baisse progressive des quantités de cannabis, récupérées entre 2020 et 2023, et une hausse importante de celles des psychotropes. La tendance baissière des saisies de cannabis s’explique par l’important dispositif sécuritaire mis en place tout au long de la frontière ouest du pays. Ce qui a repoussé les trafiquants vers les pays limitrophes. Ils contournent nos frontières Sud, passent par le Niger, ou la Libye, pour les introduire en Algérie. Les drogues dures proviennent de l’Afrique de l’Ouest mais aussi de l’Est, et ont pour destination l’Europe. Ces deux régions sont des plaques tournantes du trafic de cocaïne latino-américaine. 

Les quantités qui arrivent sont généralement ramenées par des migrants sub-sahariens pour financer leur voyage vers l’Europe. Ces drogues restent coûteuses, mais elles sont souvent mélangées à des produits pour gagner sur le poids, ce qui les rend de plus encore plus dangereuses pour la santé. Les psychotropes  proviennent quant à eux principalement de la Libye. Les trafiquants utilisent les mêmes réseaux, circuits et routes habituels du cannabis pour des volumes plus importants avec moins de logistique et plus de facilité de transport et de stockage.
 

-D’où viennent ces grandes quantités de psychotropes ?

L’Algérie est entourée par un cercle de feu. A l’Ouest, nous partageons nos frontières avec un pays classé par les organismes onusiens   comme le 1er producteur mondial de cannabis. Au Sud, il y a le Mali et le Niger, dont les territoires sont utilisés par les organisations terroristes et criminelles transfrontalières. A l’Est, notre frontière est commune à celle de la Libye, un pays qui traverse depuis des années une grave crise sécuritaire. Toutes les conditions sont réunies pour permettre aux organisations criminelles transfrontalières d’évoluer et de se développer. Ces pays sont devenus des routes importantes pour le cannabis, les armes et les migrants vers l’Europe. L’Algérie est pour ces réseaux un passage obligé. 
 

-Nous ne sommes plus dans le schéma classique des psychotropes achetés avec des ordonnances trafiquées ou la complicité des officines et du personnel médical…

Avec les nouveaux dispositifs de contrôle de la gestion de ces produits et de sécurisation des ordonnances, le recours à ce procédé est devenu risqué. Mais entretemps, il y a eu l’introduction clandestine de quantités de plus en plus importantes sur le marché. L’accès aux plaquettes de comprimés est devenu à la portée de tous, sans prendre le risque de falsifier une ordonnance et de laisser une traçabilité. 


-D’où viennent alors toutes ces quantités de psychotropes saisies ?

Plus de 90% des psychotropes saisis, durant ces trois dernières années, proviennent de la Libye. Il s’agit principalement de la Prégabaline (300mg), utilisée pour soulager les douleurs neuropathiques, détournée de sa vocation médicale. Les consommateurs l’appellent «saroukh» (la fusée), pour la rapidité de ses effets sur leur état. Elle est extrêmement dangereuse pour la santé. Au mois de mars dernier, nos unités ont saisi 1,276 millions de comprimés, Prégabaline, à Tamanrasset, dix personnes ont été incriminées, mais le baron, qui est Algérien, a quitté le pays et s’est réfugié en France. Il fait l’objet de 5 mandats d’arrêt internationaux, deux lancés par Interpol et trois par l’Algérie.  
 

-Est-elle fabriquée en Libye ?

La dernière affaire traitée par nos services et qui a permis la saisie de 1, 276 millions de Prégabaline, au mois de mars dernier, nous a permis de découvrir que ces comprimés ont été fabriqués dans un laboratoire clandestin au Niger et acheminés vers l’Algérie. Aussi, la Libye est devenue un point de chute de ce type de psychotropes. Ils sont importés par des laboratoires libyens, de l’Inde, qui est le premier producteur de générique. Une fois dans les ports, la Prégabaline est prise en charge par des réseaux d’acheminement vers l’Algérie, mais aussi la Tunisie et l’Egypte. 
 

-Est-ce leur destination finale ?

Nous pensons que leur destination finale est l’Europe. Ces pays sont utilisés comme zones de transit. Mais en cours de route, il y a une partie de la marchandise qui reste sur place pour créer la demande. En Algérie, celle-ci connait une évolution à la hausse, vu le coût assez faible du comprimé par rapport au cannabis, ses effets immédiats, la facilité de son transport et de sa dissimulation. 
 

-Peut-on lier cette entrée massive des psychotropes en Algérie à la violence, la criminalité et surtout aux gangs de quartiers ?
 

Effectivement, il y a un lien direct entre la consommation des psychotropes et la criminalité. La Prégabaline, ou encore les drogues dures, comme l’héroïne et la cocaïne, qui existent mais en quantité marginales en raison de leur prix élevé (10 à 12 000 DA le gramme), sont des drogues de synthèse, à composants chimiques. Elles ont des effets dévastateurs immédiats sur la santé mentale. 

Plus grave. Elles sont souvent «coupées» avec d’autres produits très nocifs. Nos laboratoires ont décelé des mélanges incroyables, comme par exemple,  la «tchoutchna», de l’héroïne de très mauvaise qualité, coupée avec du kérosène. Ce fléau ne peut pas être uniquement l’affaire des services de sécurité mais de toute la société, à commencer par la famille, les écoles, les universités, les comités de quartier, les spécialistes de la santé etc. 
 

Entretien réalisé par Salima Tlemçani

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