De prime abord, les tableaux exposés par Yahia Bourmel, du 24 au 30 avril à la Galerie d’art de l’Hôtel Maurice Laban de Biskra en coordination avec l’Association Mosaïque sont «impénétrables, ésotériques, insignifiants et inutiles», diront les profanes.
Détrompez-vous. Cet ensemble de toiles définies et déclinées sous le sceau de l’abstraction totale intitulée «Vibrations chromatiques» sont l’aboutissement d’un long processus de création et de maturation artistiques d’un artiste plasticien talentueux qui invite les visiteurs à se départir de leurs idées reçues et de leur propension à juger les compositions et les représentations abstraites à l’aune des images et des icônes réalistes dont ils sont gavés à longueur de journée.
Après s’être essayé à des tableaux classés dans le mouvement du réalisme, du surréalisme, du cubisme et même de l’expressionnisme, cet artiste également enseignant associé à l’École des beaux-arts de Biskra, né à M’Chouneche en 1958, affirme avoir trouvé sa voie en s’investissant corps et âme dans l’abstrait pure et intégral lui permettant de travailler sur les lignes, les formes et les structures fragmentaires en usant d’une palette de couleurs expressives comportant des blancs étincelants contrastant avec des ocres évoquant sa région montagneuse natale. Il n’est pas de ces artistes-peintres qui prodiguent des explications et des interprétations de leurs œuvres.
Il préfère laisser le visiteur scruter, s’abreuver, décrypter, appréhender et saisir la profondeur, l’harmonie, l’épaisseur et les ondes vibratoires émanant de ses tableaux réalisés depuis 1997 «quand je suis dans un état sensoriel positif et idoine à un moment de création abolissant le temps et les poncifs culturels.», a-t-il confié. Il précisera que regarder un tableau abstrait, c’est comme aller à la plage.
Chacun profite de l’espace offert selon ses connaissances, ses besoins et ses capacités. Beaucoup restent sur la rive pour marcher sur le sable. D’autres effleurent de leurs pieds l’écume des vagues alors que les plus expérimentés sachant nager vont en pleine mer et d’autres ne s’éloignent pas du bord. En tous cas, chacun y trouve son plaisir. «L’art abstrait n’est pas un simple mouvement pictural ponctuel et non porteur de sens.
C’est un langage émotionnel universel et permanent que chacun de nous peut développer pour en faire un viatique vers une autre dimension mentale que j’appelle espace quantique et y trouver une forme d’apaisement existentiel et de pansement de toutes les blessures», a-t-il ajouté. Pour aiguiser les sens esthétiques du public et susciter une déconstruction des clichés sur l’abstrait, Yahia Bourmel a invité les visiteurs de tous les âges à composer des tableaux abstraits collectifs dans un atelier prévu à cet effet attenant à la salle d’exposition. Une initiative qui a recueilli une adhésion spontanée des enfants qui ont pris plaisir à badigeonner des toiles selon leurs inspirations.
POUR UN NOUVEAU LOGICIEL DE LECTURE
«Nous avons un circuit neurologique nous permettant de lire les cartes herméneutiques et les représentations réalistes facilement reconnaissables et identifiables, mais il est possible d’installer un nouveau logiciel de lecture favorisant l’entrée dans le domaine de l’abstrait qui devrait être pratiqué comme on pratique un sport que les médecins conseillent. Tous les enfants qui jouent au football dans les quartiers ne seront pas des professionnels. Il faudrait qu’il en soit de même pour l’art pictural. La peinture ne devrait pas être réservée à une élite, des professionnels ou des talents confirmés.
L’idéal serait d’avoir des ateliers publics ouverts un peu partout. Ça serait une bonne thérapie pour l’être et une bonne entrée en matière à l’installation d’un nouveau logiciel de lecture», a-t-il suggéré. Prônant une démocratisation effective de la peinture d’art au même titre que la pratique du théâtre et de la musique afin surtout d’affiner la perception des enfants et de les doter d’outils de lecture d’un tableau, d’une pièce ou d’un chant, et cela de manière précoce, il n’a pas fini de surprendre les présents.
Par sa disponibilité, ses idées innovantes et sa vision de l’utilité sociale de l’art, Yahia Bourmel a ainsi séduit un aréopage de visiteurs qui, selon eux, ont ressenti les ondes positives irradiant de l’artiste et de son œuvre abstraite. «Les paysages et les concrétions géologiques surplombant son village natal ainsi que leur imposante verticalité caractérisée par des formes abruptes et des couleurs changeantes en fonction de l’heure et de la saison ont imprégné le travail artistique de Yahia Bourmel.
Ses actions picturales sont essentiellement axées sur l’abstraction où le blanc contribue à mettre en valeur les métamorphoses chromatiques par lesquelles se singularisent ses toiles s’inscrivant dans une progression itérative et exprimant un cheminement émotionnel portant la marque d’une sensibilité poétique et artistique de grande valeur engendrée par la monumentalité des reliefs où il a grandi.
Entre les tableaux, il y a des passerelles alchimiques reliant terre et ciel, eau et pierre, rêve et réalité leur conférant une unité expressive», a écrit le chercheur en histoire de l’art et de l’architecture, Nacer-Eddine Haderbache à propos de ce plasticien ayant à son actif des dizaines d’expositions nationales et internationales et dont les travaux artistiques et le parcours sont largement cités dans les ouvrages spécialisés et les dictionnaires publiés par les critiques et les chercheurs en Art Plastique.