L’homme a connu une carrière d’une extrême richesse, entre malouf et musique moderne, durant laquelle il a brillé par un talent inimitable et une classe inégalable.
Le jazz, ce genre musical aux origines afro-américaines, a conquis tous les coins et recoins du monde, pour atterrir enfin à Constantine. Et bien que la Cité soit réputée pour avoir abrité dans son giron les maîtres incontestés du Malouf, il n’en reste pas moins vrai que ce genre musical allait se frayer un bon bout de chemin pour finir par être adopté à partir de l’année 1945.
A cet égard, il trouve en la personne de Mohamed Salah Benachour l’homme idoine qui allait le propulser sous les feux de la rampe. Et c’était bien parti par la création d’une troupe qui, comme son nom l’indique, portera ainsi l’appellation de «Missi Jazz». J’avouerais franchement que je ne connaissais rien de cette époque. L’idée me vint à l’esprit lors d’une visite rendue chez le dramaturge Acheuk Youcef Abderrahmane en 2004.
Ce dernier me relata quelques fragments de la vie des artistes constantinois pendant l’occupation coloniale et parmi ces figures de proue figurait, entre autres, un certain Mohamed-Salah Benachour qui faisait les beaux jours de la population musulmane. Il s’illustrait par son style singulier, en maniant en toute aisance tous les instruments de musique et avec un talent à nul autre pareil.
Comme je l’ai fait auparavant avec Hacène Bencheikh Lefgoune, Rachid Kherrouatou, Abdelmadjid Torki, Abderrachid Zighemi, Abderrahmane Seghni et j’en passe, j’ai continué sur ma lancée, en me trouvant à la demeure de Si Mohamed-Salah située au n°4, rue Massinissa à Constantine durant le mois de mai 2018. Sans rendez-vous pris ni aucun protocole, il me reçoit à cœur et à bras ouverts. Tout en me parlant longuement de sa vie professionnelle, il termina l’entrevue en apothéose en m’interprétant des morceaux de musique avec plusieurs instruments, dont le piano et le violon. Ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ? Un véritable régal pour l’oreille… musicale !
Un artiste aux passions multiples
Mohamed Salah vit le jour le 6 mai 1926 à Constantine. Dès l’âge de 4 ans, il est inscrit au Katatib pour apprendre le Coran à Sidi El Djeliss, avant qu’il n’entre à l’école Oueld Ali (Ex-Jules Ferry). Le certificat de fin d’études en poche allait lui permettre d’accéder facilement à la vie professionnelle au niveau de l’établissement Belini à Bardo comme tourneur. Parallèlement, il commence à apprendre les rudiments de la musique avec Bensebeini, où il s’initie aux bonnes notes du solfège.
Par la suite, il rejoint la troupe de Derdour Mohamed, aux côtes d’Omar Felouti, Begua, Bibi Djezzar et les incontournables Abdemoumen Bentobbal et Kaddour Darsouni. L’année 1939 constitue une date majeure : c’est la création du Mouloudia Olympique constantinois au café Laroussi Said, club avec qui il portera les couleurs comme ailier droit jusqu’en 1941.
Et voilà qu’un événement artistique de grande envergure allait lui ouvrir les portes d’une renommée jamais contestée jusque-là. Jeune déjà, il prête son concours au néanmoins célèbre Mahieddine Bachtarzi durant la saison théâtrale 1945-1946. Sa troupe continue de « jazzer » au grand bonheur de ses adeptes. Elle élit domicile au fondouk Boulila à Rahbet Essouf, où elle peaufine les moindres retouches de son répertoire, le tout avec la complicité de ses compères qui ont pour noms Salim Mezhoud, Serrar, Merdjmak Ahmed. Mohamed Salah devient boulimique, il s’engage dans d’autres genres, notamment les arcanes des musiques dites modernes.
Sa troupe comprend deux sections. La première est théâtrale dirigée par le dramaturge Mohamed Salah Touache et la seconde, musicale, sous sa direction. D’ailleurs, entre 1945 et 1946, il donne plusieurs spectacles au théâtre, dont deux soirées au profit du Club Sportif constantinois, où deux pièces théâtrales Le repenti, Les malheurs de l’inconscience et deux sketchs Mokrane lahchaïchi et Mokrane trouve un fils ont été magistralement interprétés, suivis d’un concert de musique moderne.
Si Mohamed manie parfaitement touZs les instruments de musique, notamment le piano, la clarinette, le saxophone, le violent, bref tous les instruments à vent, à cordes et de percussion. D’un autre côté, il est sollicité par plusieurs groupes pour donner des soirées artistiques au « Manoir», «Palmarium», «Le casino», «Grillon »… pour ne citer que ceux-là.
Un formateur accompli
Une fois l’indépendance chèrement acquise, il va participer âprement à la reconstruction du pays tout en mettant tout son savoir-faire pour perpétuer ce noble art aux futures générations. Ainsi, on le trouve comme membre fondateur du groupement artistique constantinois (GAC) aux côtés des musiciens tels qu’Abderrahmane Bencharif, Malik Daoudi, Rachid Benkhouiete, Abdelaziz Doudache, Abdelmadjid Djezar. Cherif Benchari, Abdelmoumene Bentobal et Badadi Cherouat. Quatre années plus tard, il est parmi la formation de l’orchestre pilote de la musique andalouse de Constantine, dirigé par Si Brahim Lammouchi et Kaddour Darsouni.
Ce dernier prendra par la suite le relais pour continuer la belle aventure. Avec le même groupe, il assiste à l’inauguration de la station régionale de la radio et télévision algérienne (RTA) en 1968. D’ailleurs, il dirige l’orchestre de cette station durant plusieurs années avant qu’il ne soit remplacé par Salim Benabdelhafid.
Par la suite, il rejoint la Société nationale des chemins de fer algériens (SNCFA) en qualité de chef d’atelier. Au regard de ses potentialités intrinsèques, on lui confie l’organisation des colonies de vacances pour le compte des enfants des travailleurs de la société. Au début des années quatre-vingt, il est enseignant de musique à l’Institut national de formation des cadres de l’éducation nationale Meriem Bouatoura pendant quatre années, où il enseigne deux modules concernant (la formation d’un ensemble de musique) et (le luth).
Disparu le 26 juillet 2020 à Constantine, à l’âge de 94 ans, si Mohamed Salah Benachour demeure l’un des plus grands musiciens d’Algérie. Pour dire vrai, un jazzman au talent sans égal. Ses efforts ô combien colossaux ne sont pas restés vains. Il laissa après son départ trois garçons férus de jazz, tous des pianistes, que ce soit, Abderrahim, Lyes ou bien Kheireddine.
À vrai dire, bon sang ne saurait mentir. À partir de 1988, c’est le blé qui lève. Des jeunes habitant à la rue Massinissa prennent le relais en créant des troupes où plusieurs troupes de musique moderne et de jazz se sont créées comme Atlantique, Cirtasse, ID7, Carpediens, Sinouj et même sous d’autres cieux comme l’association El Houl.
Désormais, la transition est toute trouvée puisque l’année 2003 marquera la date de naissance d’un événement majeur en la matière : c’est l’organisation de la première édition du festival bien connu Dima jazz. Le passage de témoin est assuré.
Par Mohamed Ghernaout
Enseignant et auteur d’ouvrages sur le théâtre algérien