Espagne : Amnistie contre pouvoir

12/11/2023 mis à jour: 06:20
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De nombreux politiciens et citoyens espagnols considèrent cet accord comme une tentative de désintégration du pays

Le jeudi 9 novembre, le PSOE et Junts per Catalunya (Ensemble pour la catalogne) ont scellé un accord visant à instaurer une amnistie pour les indépendantistes inculpés dans le cadre du "procès", facilitant ainsi l'investiture de Pedro Sánchez pour permettre au Parti socialiste de revenir au pouvoir. En plus de ces points centraux, le document signé aborde d'autres questions cruciales, formant ainsi un accord qui devra faire face à l'opposition de la droite et de l'extrême droite espagnoles.

 

L'accord entre le PSOE et Junts per Catalunya est désormais une réalité. Ce jeudi, les dirigeants des deux partis ont signé le document, dans lequel ils qualifient le pacte d'"accord historique" et qui sera la clé pour pouvoir former un gouvernement en Espagne et procéder à l'investiture de Pedro Sánchez, prévue dans les prochains jours. "L'accord politique et la loi d'amnistie sont clos (...) Il est temps de donner un nouvel horizon à la société catalane", a déclaré Santos Cerdán, secrétaire à l'organisation et représentant du PSOE dans les négociations. 

Les partisans de l'indépendance ont insisté depuis des années sur la nécessité d'une amnistie prévoyant un pardon complet, effaçant ainsi toutes les condamnations et enquêtes concernant les personnes impliquées dans l'organisation du référendum sur l'indépendance de 2017, qui n'avait pas été autorisé par le gouvernement.

Ce pacte présente un avantage mutuel : les partisans de l'indépendance ont finalement obtenu la loi d'amnistie qu'ils réclamaient depuis six ans, tandis que, en contrepartie, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a obtenu le soutien nécessaire pour former un nouveau gouvernement. Ceci malgré leurs "positions divergentes", comme le souligne le document de quatre pages. "Ce pacte marque le début d'une étape sans précédent", a déclaré Carles Puigdemont, l'ancien président de la Catalogne, depuis Bruxelles où il est en exil depuis 2017.

Depuis la proclamation unilatérale de l'indépendance de la Catalogne en 2017, le dialogue entre le gouvernement central et l'administration indépendantiste catalane semblait être définitivement clos. Toutefois, cet accord récent suggère un changement significatif dans cette dynamique. Le document, initialement rendu public par le journal catalan "La Vanguardia", met en avant l'objectif central du pacte : l'engagement mutuel des deux parties à "inaugurer une nouvelle phase et à contribuer à la résolution du conflit historique sur l'avenir politique de la Catalogne".

La partie de l'accord relevant du domaine politique, semble-t-il, introduit la loi d'amnistie, considérée comme la pierre angulaire de tout le processus visant à instaurer un "dialogue" entre le gouvernement national et les partisans de l'indépendance catalane. 

Un élément qui a été sujet à des échanges constants tout au long du processus de négociation, et ce, pour diverses raisons. La première concerne l'étendue de l'amnistie. Pendant toute la durée des négociations, Junts a insisté pour que l'amnistie soit "sans noms", englobant ainsi toutes les personnes impliquées - directement ou indirectement - dans le processus indépendantiste catalan ou "procès" entre 2012 et 2023. Finalement, ce point a été résolu. "Cette résolution a placé la Catalogne comme la seule communauté autonome dépourvue d'un statut d'autonomie entériné dans son ensemble par ses citoyens (...) Un statut dans lequel les questions linguistiques, culturelles et institutionnelles (catalanes) ont joué un rôle central", indique le document.

Outre l'acquittement judiciaire de toutes les personnes inculpées lors des "procès", la partie politique de l'accord comprend également l'établissement d'une table de dialogue entre les parties, avec la médiation d'un acteur international. Cette mesure répond aux demandes exprimées par Puigdemont. Dans cette perspective, l'objectif est d'atteindre une "normalité politique, institutionnelle et sociale complète" pour l'avenir de la Catalogne et de ses relations avec le gouvernement central.

 

La "résistance" de la droite et de l'extrême droite 

"Trahison", tel est le mot répété par les secteurs les plus conservateurs de la politique espagnole après le pacte entre le PSOE et Junts. Pour Alberto Núñez Feijóo, leader du parti de droite (PP), la situation est "extrêmement grave en termes démocratiques". L'homme politique conservateur l'a même comparée au coup d'État du 23-F et au terrorisme du groupe ETA. 

"Les accords avec les indépendantistes rompent l'égalité des Espagnols devant la loi (...) Les accords de la honte ne résolvent aucun problème, ils les aggravent tous", a déclaré M. Núñez Feijóo et d´ajouter « L’Espagne a perdu, le séparatisme a gagné et le parti socialiste a disparu » 

La présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, va jusqu'à affirmer que l'Espagne est désormais sous le joug d'une "dictature" et appelle à une "mobilisation calme, dépourvue de colère" - autrement dit, à des manifestations contre cet accord. Cette position est partagée par l'extrême droite espagnole.

"Une période sombre de l'histoire de l'Espagne s'amorce. Les conspirateurs du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et de la Junts per catalunya ont aujourd'hui concrétisé leur menace sur l'unité nationale en concluant un accord de coup d'État qui prévoit explicitement l'abolition de l'État de droit", a déclaré Santiago Abascal, le leader du parti d'extrême droite Vox.

Tout cela constitue un appel manifeste à la mobilisation, qui a déjà débuté. Des centaines de personnes se sont rassemblées à Ferraz, le siège du PSOE dans la capitale. Ces derniers jours, des manifestations au même endroit et pour la même raison ont entraîné d'importantes perturbations. 

De nombreux politiciens d'extrême droite et citoyens du pays considèrent cet accord comme une tentative de "désintégration du pays" ou une remise en cause de leur conception de la nation. Il reste maintenant à voir si l'accord résistera à cet assaut de l'extrême droite. Pour l'heure, les prochaines étapes sont la conclusion d'un accord entre le PSOE et le Parti national basque (PNV) et l'enregistrement de la loi d'amnistie au Congrès, que le PP a déjà promis de rendre le plus difficile possible. Ces étapes sont nécessaires pour que l'investiture de Pedro Sánchez puisse avoir lieu.

 

Espagne

De notre correspondant  Ali Ait Mouhoub

                  

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