Escapade dans le Fahs algérois : Bouzaréah ou la citadelle éventée

06/04/2023 mis à jour: 15:21
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Avec l’aimable concours de l’auteur de la série d’ouvrages monographiques intitulée Le Sahel algérois, Ahmed Karim Labèche, nous présentons au lecteur, à travers des escales dans l'ancien Fahs algérois, un condensé exaltant de son travail sur l'histoire des villes qui s'y sont implantées au fil des siècles.

A l’origine, le nom de Bouzaréah est inspiré d’une vieille citadelle qui s’érigeait autrefois sur son territoire et que les autochtones surnommaient Bordj Erriah, (fort soumis aux caprices des vents). Ce toponyme a été modifié graduellement, transcrit de différentes manières à l’époque coloniale, à savoir Boudjaréah, Boudjaria, Boudzaréa et, enfin, Bouzaréah. Par contraction, la dénomination actuelle – celle de l’administration coloniale – a fini par s’imposer à nos jours dans le livret toponymique. Le lieu de la garnison, qui se trouve à quelques mètres seulement de la place du centre-ville, pourrait être, selon toute vraisemblance, l’assise de l’ouvrage défensif, dont la cité tient le nom.

 

Situé à seulement 8 km d’Alger, Bouzaréah est l’un des plus anciens quartiers consulaires de la capitale. Avec Beni Messous, Zouaoua, Aïn Ezzebboudja (Ben Aknoun), et Bir El Khadem, il formait sous le règne des Ottomans, le célèbre territoire du Fahs algérois. 

Les environs immédiats du bourg de Bouzaréah étaient agrémentés d’un certain nombre de maisons de campagne et jardins mauresques, qu’on appelait communément «Djenayen» (sing. djenane de djenna : paradis). La plupart de ces résidences de villégiature étaient loués à des représentations diplomatiques de nations étrangères, à l’instar de celle de Djenane Ben Ettaleb (Maison des consuls réunis). 

Culminant à une altitude qui excède les 400 mètres, le massif de Bouzaréah constitue un véritable belvédère qui surplombe Alger. Il est constitué de trois grandes façades descendant en pentes très abruptes vers la Méditerranée, autrefois toutes couvertes d’une flore aussi riche que variée où dominaient cactus, agave et  palmier.

Le versant oriental est entaillé de profonds ravins dont celui qu’on désignait assez souvent sous le nom de Frais Vallons. Ce dernier est parcouru par un ruisseau qui était jadis alimenté par des sources thermales chaudes, que les autochtones surnommaient Laâyoune Skhakhna. Celles-ci prennent naissance sur les hauteurs de Bouzaréah, au lieudit Bir Essemane, qui veut dire vraisemblablement «le puits des cailles».
 

Le massif de Bouzaréah se comporte aussi comme un gigantesque réservoir naturel d’eau, alimenté par les pluies abondantes en hiver et quelquefois la neige. De là, une multitude de cours d’eau, tels que Oued El Qarès, Oued El Maleh et Oued El Messous prennent leur source. 

Ceux-ci dévalent les pentes en se frayant des parcours sinueux, à travers la campagne et les villes. Le côté occidental du massif de Bouzaréah, où s’implantent les villes de Hammamet, Aïn Benian,  Bouloghine et Beni Messous, est renommé pour ces vestiges romains et ces monuments mégalithiques qu’on y avait jadis découverts.

Aujourd’hui, une grande partie de cet espace est couverte en hauteur d’un massif forestier de plus de 500 ha, étendu primitivement entre les villes côtières de Aïn Benian et Bologhine. Ce milieu naturel, qui reçut le nom Baïnem, abrite différentes essences de bois. 

Il avait été à l’origine créé sur des terrains broussailleux, à partir de diverses variétés d’arbres telles que pin d’Alep, cèdre, chêne-liège, pin maritime, acacia, mimosa et lentisque. Un arboretum avait été mis en place dans cette zone, au tout début du projet. Ces dernières décennies, cet espace boisé fut doté à différents endroits de quelques installations de détente pour les familles algéroises qui s’y rendent les week-ends et pendant les vacances scolaires.

La bourgade primitive de Bouzaréah comptait quelques quartiers qui remontent à l’ère ottomane, comme Sidi Youcef, Sidi Bennor, Oued Larendj et La Tribu plus connu de nos jours sous le nom d’El Aâmara. Son centre était desservi par plusieurs voies de communication, dont la plus renommée est celle qui traverse la vallée des consuls, passant tout près de la basilique Notre-Dame d’Afrique.

Il y a longtemps, les gens usaient de différents moyens de locomotion. Les mulets qu’on trouvait jadis à Bab El Oued étaient le mode de transport le plus répandu chez les paysans pour leurs courses journalières, moyennant 4 francs la journée, 2,50 francs la demie journée et un franc pour une durée d’une heure et demie.

Les charrettes devaient impérativement porter une plaque d’immatriculation sous peine d’amende, ou de retrait de l’autorisation de transport. Beaucoup de familles avaient leur monture, généralement un âne, les moins pauvres possédaient une carriole et une ou deux mules. Si l’on faisait le parallèle avec notre mode de vie actuel, on dirait que les ménages les plus modestes ont un véhicule et les plus aisés deux automobiles ou un tout-terrain.

Un bordj soumis aux caprices des quatre vents

Le village n’était pas si grand les premières années de sa fondation, même si la campagne alentour offrait de beaux paysages. Les temps étaient difficiles, on marchait beaucoup et on était souvent contraint de côtoyer les animaux sauvages à longueur de journée. Voici une anecdote qui illustre les conditions de vie d’alors : «Les janissaires rapportaient, qu’un jour, les Bladis (citadins), las des saccages que les gens des tribus de Bouzaréah exerçaient sur leurs jardins et villas, demandèrent au pacha l’autorisation de former parmi eux une sorte de garde urbaine pour châtier ces malfaiteurs. 

La permission fut donnée, et, par une nuit noire, la nouvelle troupe s’embusqua sur les bords de l’Oued M’ghassel, Ruisseau des lavoirs. Après quelques heures de silence et d’attente, un gros chien vint aboyer et aussitôt une panique s’empara des bourgeois, qui s’enfuirent en jetant leurs armes. Les Turcs en rirent et il en resta ce proverbe : ''Le chien a aboyé et le bladi a fui''.»

Le nom de la ville a été à l’origine inspiré d’une vieille citadelle qui s’érigeait autrefois sur son territoire et que les autochtones surnommaient Bordj Erriah, (fort soumis aux caprices des vents). Ce toponyme a été modifié graduellement, transcrit de différentes autres manières à savoir ; Boudjaréah, Boudjaria, Boudzaréa et en fin Bouzaréah tel qu’il est connu à présent.

A l’inverse de multiples hypothèses émises à ce  sujet, dont celle suggérant qu’il s’agit d’un lieu propice aux céréales et à la semence, la dénomination de ce lieu vient d’un ancien bordj turc. Par sa position sur la cime de Bouzaréah, ce fort était régulièrement exposé à de violents courants marins, d’où le nom Bordj Erriah,   littéralement «la citadelle éventée».

Le lieu de la garnison, qui se trouve à quelques mètres seulement de la place du centre-ville, pourrait être selon toute vraisemblance, l’assise de l’ouvrage défensif, dont la cité tient le nom.

Il faut savoir que sous l’ère coloniale, nombre de localités de la banlieue algéroise avaient perdu leur nom d’origine, à l’instar de Ben Sahnoun qui s’est transformé en quelques années en Ben Aknoun.
Pour des difficultés de prononciation chez les Européens, ces appellations se sont au fil du temps altérées lors de leur transcription dans les documents et les actes de l’administration.

De nombreuses traces et débris de lieux fortifiés jalonnaient naguère les hauteurs de Bouzaréah. Les vestiges du fort qui s’élevaient juste en dessous du lycée Djillali Ghanem, au quartier Z’ghara, en est un parfait exemple. On lui avait donné le nom de Fort Duperré, en souvenir du commandant de la flotte française qui débarqua en juin 1830 à Sidi Fredj. De nos jours, cette forteresse semble avoir totalement disparu du paysage.

A l’époque de la Régence d’Alger, le quartier Z’ghara était administrativement annexé au territoire du Fahs, Bologhine n’était pas encore une commune, elle ne le deviendra qu’en 1870. 

Vis-à-vis, le cimetière européen de Bologhine se voyait, par le passé, une autre enceinte fortifiée à laquelle les Algérois attribuaient le nom de Bordj Qlâat El Foul. Construite par les Turcs en 1580, celle-ci prit au bout de quelques années le nom de «Fort des Anglais». Elle sera restaurée une première fois dans le courant des années 1870 et servira successivement d’entrepôt de poudres et de bureaux à l’annexe de la municipalité de Bologhine.

Sur la cime de Bouzaréah,  il existe aussi, un ancien poste de signalisation qu’on appelait «Le Sémaphore». Il permettait jadis la communication avec les navires en haute mer. Les données recueillies étaient transmises au service du port d’Alger. 

Le Sémaphore surplombe la ville de Bologhine, il est l’un des rares édifices à avoir conservé son aspect originel, aujourd’hui habité par quelques familles .

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