Escale dans des cimetières d’Alger : Lorsque la sacralité des lieux est entamée

11/09/2024 mis à jour: 12:49
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Le cimetière El Kettar envahi par les folles herbes - Photo : D. R.

S’il est des cimetières qui sont plus ou moins bien entretenus, d’autres lieux sacrés nous édifient, en revanche, sur un état des lieux loin d’être reluisant. Une petite virée dans ces espaces funéraires pour relever un tant soit peu le décor ambiant. Focus.

Que de fois n’a-t-on pas relevé des délits de vol dans ces espaces funéraires et lieux de recueillement ou des actes de profanation commis, que cela soit dans un cimetière de confession chrétienne, juive ou musulmane ? La dernière en date est le vol d’un matériau très recherché par les auteurs de méfaits : le fer, d’une part.

D’autre part, les agents et autres gardiens de l’emblématique cimetière El Kettar se disent outrés, voire choqués par ce qu’ils voient comme conduite infamante de certains intrus qui viennent se shooter et se rincer la dalle à l’ombre d’un figuier au milieu des tombes. «Nous, les gardiens, sommes parfois agressés par des intrus», pestent certains agents. «Certes, il n’est pas aisé de surveiller tout le cimetière, mais il faut renforcer les effectifs de surveillance, et remettre en place des brigades canines pour sécuriser les lieux», renchérit un autre.

Ce cimetière qui s’étage en terrasses, créé en 1835 et dont le premier fossoyeur est M’hamed Ben Ali Ouchefoun, qui faisait office de tenancier en même temps que son binôme, Si Larbi, à qui l’administration coloniale avait confié la gestion, est devenu malheureusement le lieu privilégié de certains jeunes qui ne respectent pas la sacralité du lieu.

Aussi, si on jette un regard sur la construction des «fraîches» tombes que réalisent les proches des défunts, rares sont les sépultures qui ne viennent pas grignoter d’autres parcelles sur cette aire funéraire,  escarpée et à flanc de colline.

«A croire que l’amour que portent les proches à leurs  morts est conditionné par la longueur, la largeur et le volume de la sépulture», lance sur un air dépité un monsieur qui s’affaire à enlever de la sépulture qui abrite la dépouille de son fils, les gravats balancés par d’autres venus rouvrir une tombe voisine pour inhumer leur mort. Effectivement, les gravats abandonnés sur place encombrent les allées.

Cela leur importe peu d’empiéter sur la surface des tombes voisines, l’essentiel est de mettre en évidence les apparats plus qu’ostentatoires des tombes où gisent leurs morts. L’autorité administrative des pompes funèbres, quant à elle, ne voit pas utile de rappeler à l’ordre ceux-là mêmes qui rongent quelques empans supplémentaires, quitte à obstruer les passages.

D’ailleurs, faut-il préciser que depuis la décennie noire, plus de 1200 tombes occupent les lieux de passage, contraignant ainsi les visiteurs à enjamber les sépultures, selon ce que nous a révélé, en 2005, Ahmed Djaknoun, alors directeur de l’Epic EGPFC. Par endroits, dans ce cimetière musulman, on ne peut ne pas ressentir ce pincement au cœur en voyant des tombes partiellement vandalisées.

Dans ce lieu sacré, l’on s’y shoote, on fait du jogging, on joue au foot…

Quant au cimetière chrétien de Bologhine, créé en 1836, objet de notre modeste papier, l’on a été choqué de croiser, lors d’un tour de propriétaire dans ce lieu de mémoire, des jeunes qui ne s’embarrassent pas le moindre du monde de venir y fumer un joint, y faire du footing ou organiser des parties de football, tout près du Carré militaire comme on a pu le constater.

Pourtant, la loi n° 82-04 du 13 février 1982 est on ne peut plus claire. Celle-ci énumère dans son article 151 : «Quiconque, dans des cimetières ou autres lieux de sépulture commet un acte portant atteinte au respect dû aux morts est puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2000 DA.»

Les intrus repèrent des brèches dans la clôture du cimetière avant de faire le mur du côté du boulevard Omar Lounes, menaçant même les gardiens. «Avec deux surveillants le jour et quatre lors de la faction de nuit, cela reste insuffisant !», lance amèrement un gardien qui se fait relayer par un agent opérant dans une autre brigade et qui abonde dans le même sens : «L’on est parfois menacés, voire agressés par des bandes de sacripants qui cherchent un endroit tranquille et n’hésitent pas à violer le caractère sacré du lieu en s’y adonnant à la consommation de stupéfiants.

La protection des lieux exige tout d’abord la protection des gardiens, livrés à eux-mêmes, surtout la nuit.» Un autre agent tient à faire savoir : «Il y a  toute une chiée de tâcherons destinés aux travaux de large débroussaillage et nettoyage des lieux, disséminés dans les cimetières que gère l’EGPFC (Etablissement de gestion des pompes funèbres et des cimetières), mais bon nombre de ces agents se la coulent douce.» Cette nécropole chrétienne, qui compte quelque 25 000 sépultures sur une superficie de 14 hectares, est située à flanc de colline.

Certains carrés sont bien entretenus, d’autres envahis de ronces, et les tombes littéralement affaissées. Le lieu sacré a fait l’objet dernièrement d’un sacrilège : «Vol d’un matériau, en l’occurrence le fer forgé qui clôture entre autres les chambres sépulcrales et les ossuaires. Certains auteurs du méfait ont été mis hors d’état de nuire, alors que d’autres sont en cavale,  apprend-on auprès d’un riverain.

En effet, des gens qui viennent avec leur «herbin» pour ramasser le «magot» refilé par les «chapardeurs», affirment des témoins oculaires résidant dans les parages. Les sexagénaires ont souvenance, au sortir de la guerre de Libération nationale, de ces enfants qui, pour se faire un peu de thune, s’empressaient d’aller offrir leurs services aux familles qui venaient les jours de la Toussaint et de la Fête des défunts, (1er et 2 novembre) s’y recueillir auprès de leurs morts.

«M’dame, lavé tombe ! M’sieur gardé voiture !» piaillaient des garnements, tout près du vendeur Ammi Saïd, vendeur de roses, de chrysanthèmes et de cyclamens dans le local qui jouxte l’entrée du cimetière, du côté de l’ex-boulevard de Flandre. De part et d’autre de l’entrée principale qui s’ouvre sur l’avenue Abdelkader Ziar, deux citations en latin, gravées sur marbre, apostrophent le visiteur : «Hodie mihi, cras tibi» (Aujourd’hui moi, demain toi) et «Equo pulsat pede» (La mort frappe d’un pied indifférent).

Deux vérités fondamentales qui ne laissent pas indifférent. Les plus âgés aiment à évoquer cette anecdote au trait satirique. Ceux qui fréquentaient le bar qui faisait face au cimetière disaient : «On est mieux ici qu’en face.» Et ceux d’en face de leur répliquer : «Mais n’oubliez pas que ceux qui sont là sont venus d’en face !» Dans ce lieu sacré que rehausse le cyprès, arbre altier auquel se mêlent des haies de pittosporum, y sont inhumées des personnalités de rang nobiliaire, comme le baron et la baronne de Vialar ou la comtesse de Broutet.

Dans les autres carrés du cimetière, y sont enterrés des figures, à l’image de Fernand Iveton (militant anticolonialiste rallié au FLN, seul Européen guillotiné pendant la guerre de Libération nationale), Georges Acampora (1926-2012), militant et moudjahid de la cause nationale algérienne et son épouse, la militante, elle aussi, de la cause algérienne, Juliette Acampora, décédée en 2022 ; le colonel Lemercier qui sauva en 1831 la mosquée Djamaâ Ejdid de la destruction ; la famille du fameux armateur Schiaffino, l’artiste peintre et compositeur Jean Raymond Hippolyte Lazerges ou encore le botaniste italien, Gaetano Durando, dont l’aphorisme inscrit par ses amis sur sa tombe ne laisse pas de marbre : «Il faut travailler pour être utile ; il faut être utile pour être aimé, il faut être aimé pour être heureux.»

En sillonnant cette aire funéraire, notre regard se pose sur des épitaphes à charge métaphorique, inscrites sur  des monuments funéraires, invitant également le visiteur à observer une halte, comme la stèle qui rend hommage aux dévoués infirmiers et infirmières de l’hôpital du dey, victimes de l’épidémie du choléra en 1849, le monument qui trône à la mémoire des militaires et marins de l’armée de l’Afrique, dont des Algériens ou encore le monument commémoratif qui rappelle la grande campagne contre la Kabylie menée, de sinistre mémoire, par le colonel Alexandre Edouard Constant Fourchault qui réprima entre autres la révolte de Mokrani en 1871.

Le cimetière chrétien jouxte le cimetière israélite qui s’étend sur 3,5 ha. A peine arrive-t-on à lire la belle sentence qu’une main malhabile a peinturlurée au fronton de la porte d’entrée : «Le riche et le pauvre se rencontrent.

C’est l’Eternel qui a créé l’un et l’autre.»  Une sentence on ne peut plus évidente dans ce cimetière où sont enterrés Edmond Nathan Yafil (1874-1928), compositeur de  musique arabo-andalouse et l’acteur Roger Hanin, fils du «Deuxième», quartier sis rue Mohamed Bencheneb et d’autres anciennes familles dont nombre de patronymes sont à consonance arabe.

Les tombes alentours sont en général intactes. Des travaux de restauration ont été réalisés dernièrement au niveau du mausolée de Ribach et Rachbats (rabbins qui veillaient sur la communauté juive) qui fait face au monument aux morts de la Guerre 1914-1918, qui lui aussi, fait l’objet d’une opération de «relookage».

Malgré son exiguïté, le cimetière renferme aussi les restes de personnes qui avaient été inhumées entre 1800 et 1820 dans le cimetière des rabbins du Midrach, ainsi que des corps et pierres tombales de plusieurs rabbins et grands chefs de consistoires des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles qui étaient inhumés dans les anciens cimetières ainsi que d’autres pierres tombales de rabbins décédés durant la période du XVe siècle.
 

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