ENTRETIEN / Chakali Gahdab. Professeur au département de zoologie agricole et forestière à l’ENSA d'Alger : «Le véritable danger réside dans l’expansion du criquet au-delà de son aire»

07/04/2025 mis à jour: 21:34
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photo : DR

La lutte antiacridienne se poursuit dans le sud du pays, suite à l'apparition des criquets pèlerins dans certaines zones frontalières. 

D’ailleurs, lors du dernier Conseil des ministres, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné de prendre toutes les dispositions et mesures de précaution et de vigilance extrême  afin de faire face aux essaims de criquets récemment apparus aux frontières sud du pays. Dans cet entretien, Chakali Gahdab explique la stratégie de migration du criquet pèlerin et livre ses conseils sur la meilleure manière de le combattre. 
 

 

Propos recueillis par Sofia Ouahib

 

L’éventuelle invasion de criquets pèlerins inquiète les spécialistes. Où se situe le danger ?

A l’heure actuelle, il est important que la surveillance se concentre sur les zones sahariennes qui connaissent un essor agricole et une extension très conséquente. Ce site environnemental est devenu, dans plusieurs parties de son aire, un véritable foyer d’alimentation d’une descendance de criquet, qui peut facilement se nourrir, se reposer et se reproduire après les longs trajets parcourus précédemment. Il faut savoir que les zones sahariennes sont très menacées au cours de la période printanières 2025 par des essaims invasifs qui vont se reproduire dans des conditions très favorables à leur développement et leur multiplication afin de reprendre leur vol vers les zones semi-arides, principalement dans les parcours des zones pastorales, où les dégâts des essaims seront plus ressentis vers le mois de juin prochain. 

A ce stade, vu le nombre conséquent de criquets en phase grégaire, la nourriture disponible dans ces zones précaires steppiques n’offre pas une alimentation suffisante aux essaims qui seront obligés de remonter vers le Nord au cours de la période estivale (juillet-août 2025). A partir de l’automne, les essaims organisent leur retour avant les premiers froids vers les aires grégarigènes d’origine, où les conditions seront plus favorables pour une période de rémission dans leur environnement d’origine. Le véritable danger réside donc dans l’extension et surtout l’expansion (au-delà de son aire) de ce dévastateur, qui peut être un indicateur biologique du réchauffement climatique et qui peut remontrer plus au nord vers les zones subhumides. Sachant que la multiplication rapide des essaims, provoque l’inadéquation de la densité des fortes populations avec la disponibilité alimentaire. Un individu peut consommer l’équivalent de son poids ou plus en quelques jours.

D’où viennent ces criquets ? 

En période de rémission, les populations solitaires du criquet pèlerin se dispersent dans les zones grégarigènes désertiques dans divers pays africains, au Moyen-Orient et même dans une partie de l’ouest de l’Asie. Les criquets, très polyphages, sont inoffensifs pour les cultures en phase solitaire mais très redoutables en phase grégaire. Les conditions météorologiques favoriseraient une migration massive de ces insectes dévastateurs.

Quelles sont les conditions les plus favorables à une migration massive ? 

La gradation du criquet pèlerin suit une périodicité logique dépendant de l’écologie du milieu de l’aire grégarigène. Ce dévastateur développe une stratégie de migration qui est sous la dépendance de divers facteurs écologiques. Le processus de la grégarisation est conditionné par la séquence des pluies appropriées à la reproduction et la multiplication des populations dans des foyers regroupant une végétation adéquate à leur développement. 

C’est à partir de ces foyers que les criquets en fortes densités s’organisent pour procéder à une migration à la recherche de leur alimentation dans divers pays du nord de l’Afrique. La migration massive des essaims ne se fait pas au hasard, elle est conditionnée par diverses variables environnementales, particulièrement les conditions climatiques en période de sécheresse qui déclenchent la stratégie du processus de la grégarisation.
 

Les autorités ont instauré une cellule de surveillance pour suivre en temps réel la progression de la menace. Que préconisez-vous pour lutter contre cette menace ? 

Il faut comprendre que les criquets évoluent et se déplacent selon une stratégie en relation avec les conditions environnementales. Un ensemble d’alternatives de lutte doit être mis en place pour affronter un tel agresseur, très organisé, dans l’espace et le temps. Il faut savoir que l’utilisation des pesticides, malgré ses inconvénients qui ne sont plus à démonter, reste l’action la plus pratiquée dans le contexte des invasions de criquets. Cependant, malgré l’efficacité de plusieurs molécules, aucune étude n’a été conduite pour tirer des informations sur leur impact vis-à-vis de la biodiversité, particulièrement la faune saharienne qui reste fortement menacée dans son biotope naturel. De même, aucune donnée sur la pollution environnementale n’a été fournie à ce jour.  Pour ce qui est de l’utilisation des biopesticides, qui est une forme de lutte biologique, basée sur l’utilisation des champignons et des bactéries couramment utilisées en agriculture contre divers agresseurs, les essais conduits par divers chercheurs en laboratoire sur les effets des champignons entomopathogènes, particulièrement le Beauveria bassiana et  le Metafhizium anisopliae devraient se faire à plus  grande  échelle. De plus, le Bacillus thuriengiensis à base de bactérie, couramment utilisé contre divers insectes agresseurs, offre une possibilité de lutte antiacridienne.


Quel est le meilleur moyen de lutter contre cette possible invasion ? 

Divers pays de l’Afrique du Nord connaissent la périodicité des invasions du criquet pèlerin et doivent donc œuvrer et discuter d’une méthodologie commune de prospection pour une meilleure planification et des méthodes à envisager pour le contrôle des populations dans leur environnement. 

Une alternative de lutte demande une organisation spatio-temporelle en parfaire adéquation avec les étapes d’une gradation ou une épidémie d’un dévastateur dans son aire de répartition potentielle. Sachant que la stratégie de lutte préventive contre le criquet pèlerin comporte trois étapes essentielles. La première est la surveillance des aires potentielles de reproduction et de grégarisation (données météorologiques, image satellite). 

La seconde étape est l’organisation des prospections, aériennes et terrestres, dans les aires devenues potentiellement favorables à une pluviométrie conséquente pour la reproduction du criquet pèlerin.  Et enfin, la troisième étape et non des moindres est la cartographie des aires grégarigènes avec les foyers acridiens. Celle-ci est une base fondamentale pour contrôler au moins l’activité et l’évolution d’une partie de la population. Et c’est sur la base de ces éléments qu’on pourra organiser une intervention d’une lutte combinée contre le criquet pèlerin. 
 

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