Le secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Amar Takdjout, s’exprime, ici, ouvertement sur plusieurs questions en lien avec son organisation et le monde du travail en Algérie. Ayant rencontré tout récemment le président Abdelmadjid Tebboune, il nous livre le contenu de l’échange qu’il a eu avec lui. Le patron de la Centrale syndicale revient aussi sur la question de l’augmentation du SNMG et de la problématique du pouvoir d’achat, exprimant ainsi sa vision sur ces deux sujets. Il insiste sur l’importance du dialogue pour sortir avec des solutions négociées à tous les problèmes.
Propos recueillis par Madjid Makedhi
L’Algérie célébrera, dans quelques jours, le double anniversaire de la création de l’UGTA et de la nationalisation des hydrocarbures. Que représente cette occasion pour la Centrale syndicale et comment comptez-vous la célébrer ?
L’UGTA célébrera, en effet, ce 24 février son 69e anniversaire. C’est une halte. Comme, à chaque année, on fait le bilan, tout en reprenant tout ce qui a été fait depuis l’existence de l’organisation ; il y a la partie historique à commencer par sa fondation en 1956, en passant par la période postindépendance, la décennie noire et ses répercussions sur l’organisation ainsi que l’actualité d’aujourd’hui, à savoir ce qu’on a fait, les problèmes auxquels nous faisons face ainsi que l’adaptation de l’organisation à la situation sur le plan social, politique et autre… Donc, nous avons le côté historique, l’engagement pour le développement du pays ainsi que les années 1990 et les sacrifices consentis. C’est bien de se rappeler de l’histoire et de ce patrimoine historique pour ne pas perdre le repère national. Nous ne sommes pas une organisation quelconque, ou naissante, mais nous sommes une organisation qui a traversé plusieurs étapes importantes.
Lorsque vous avez pris les commandes de l’UGTA, vous avez annoncé des réformes pour redresser l’organisation. Pouvez-vous présenter un pré-bilan de votre démarche ?
Quand je suis arrivé, j’ai trouvé une organisation dans une situation qui n’est pas réjouissante. L’organisation battait de l’aile. Pour ne pas dire plus. Il y avait une perte de repères historiques et militants. C’était dramatique. L’UGTA était beaucoup plus une organisation de réflexion et de production d’idées. La perte de ce rôle était dommageable pour l’organisation. A mon arrivée, j’ai trouvé l’ensemble des structures horizontales et verticales (structures locales, instances de wilaya, les syndicats d’entreprises et les fédérations) dans l’illégalité. Les trois quarts de ces structures étaient dans l’illégitimité. Certaines ont même cumulé vingt ans dans l’illégalité, c’est-à-dire sans tenir de congrès. C’est beaucoup. Cette situation était constatée dans 38 wilayas où plus de 200 structures locales et 28 fédérations étaient en dehors de la légalité.
Il y a eu des résistances à votre démarche ?
Oui ! Quand je suis venu, la loi 23-02 sur l’exercice syndical venait d’être promulguée. Au regard du contenu de ce texte, je peux dire que n’était le respect de l’histoire de cette organisation, elle aurait été dissoute pour des raisons organiques. C’est pour cela que je me suis fixé un objectif et j’ai décidé d’aller vite pour réussir la mise en conformité avec cette loi. Vous imaginez la catastrophe si l’organisation était dissoute 69 ans après sa création. Cela m’a fait très mal. Je suis militant de cette organisation où j’ai assumé des responsabilités au niveau fédéral et au sein de l’entreprise où j’ai passé toute ma vie de syndicaliste. Compte tenu du fait que je n’étais pas dans les instances de direction, j’estime que je n’ai aucune responsabilité de ce qui s’est passé. En une année et demie, nous avons pu structurer 35 wilayas et trois quart des structures, alors que 23 fédérations sur 28 sont sur le point d’être régularisées. En 14 mois, j’estime que l’objectif tracé est atteint, contrairement aux pronostics de certains. Juste après la rencontre avec le président de la République, je me suis déplacé à Constantine et à Annaba. Je pense que nous sommes en train de finaliser le travail. D’ici la fin du 1er semestre 2025, on aura achevé le volet relatif à la mise en conformité de l’ensemble des structures.
Vous venez d’évoquer la rencontre avec le président Tebboune. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur le contenu de vos échanges ?
Avec le président de la République, on a discuté de tout. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre le Président, et il fallait en profiter. La rencontre était pour nous d’une importance capitale, et on a discuté en tout franchise. Ce qui est bien est que le Président est très réceptif et a cette capacité d’écoute. J’ai exposé tous les problèmes. On a discuté des problèmes économiques, sociaux et de tout ce qui a été fait par le Président, notamment en matière de logements, de prise en charge des chômeurs, des salaires. Il y a aussi cette fois la décision de porter le congé de maternité à 5 mois qui était une réponse à une demande de l’UGTA. Notre demande portait sur le prolongement du congé de maternité pour les femmes, dont les bébés sont nés avec des maladies et des handicaps. Mais le Président est allé loin en faisant profiter toutes les femmes. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de pays au monde, à l’exception des pays nordiques, qui ont pris une telle mesure. C’est une révolution pour nous. Même certains pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Est n’ont pas pris une telle mesure. Le Président nous a demandé aussi de faire un travail sur les personnes souffrant de maladies chroniques lourdes, telles que le cancer, qui nécessitent des aménagements d’horaires de travail. Il nous a fait part aussi de sa décision de réduire les années de travail pour tous les enseignants. Il est aussi prêt à ouvrir d’autres chantiers, notamment concernant les métiers pénibles et à haute pénibilité.
Lors de votre récente déclaration, vous avez déclaré que le chef de l’Etat était prêt à augmenter le SNMG. Avez-vous une idée sur la valeur de cette augmentation ? Que propose l’UGTA dans ce sens ?
Il faut que les gens comprennent que le SNMG n’est pas la solution à tous les problèmes auxquels font face les travailleurs. C’est comme l’histoire du verre à moitié plein où à moitié vide. Il faut un SNMG qui doit être une référence par rapport aux grands équilibres du pays. Il faut étudier cela en prenant en compte les différents agrégats. Il y a des experts qui se chargeront de ce travail. De notre côté, nous avons une idée sur le sujet. Nous pourrons faire des propositions. Car l’augmentation du SNMG a toujours des répercussions sur toute la mécanique salariale au niveau des administrations et des entreprises. Je pense qu’il faut veiller à ce que les équilibres financiers du Trésor et des entreprises ne soient pas affectés.
Vous ne pensez pas que cette question doit faire l’objet d’un dialogue, comme ce fut le cas par le passé, dans le cadre d’une tripartite ?
Ce n’est pas exclu. Je pense qu’il y a un accord de principe sur l’augmentation du SNMG. Je pense qu’il va y avoir une concertation avec tous les partenaires, soit dans un cadre bipartite ou tripartite. Je pense qu’il faut prendre en compte la capacité des entreprises, c’est-à-dire le patronat, à supporter tout cela. Il faut aussi avoir l’assentiment des syndicats et l’avis des pouvoirs publics. Il ne faut pas charger une partie au détriment de l’autre. La discussion se fera, en tout cas, d’une manière ou d’une autre.
Vous avez évoqué à maintes reprises la question du pouvoir d’achat. Que propose concrètement l’UGTA pour l’améliorer ?
Pour nous, cette question doit être discutée en bipartite ou en tripartite pour savoir quelle est la partie salariale qui aidera à relever le pouvoir d’achat et définir aussi les mécanismes qui doivent être mis en place à cet effet. L’augmentation du SNMG, sans la mise en place d’autres mécanismes, engendrera beaucoup de problèmes, dont l’inflation. C’est pourquoi il faut étudier le côté fiscal, maîtriser les prix et réguler le marché. Il faut avoir une réflexion globale sur cette question.
Mais ça tarde…
Je ne suis pas le comptable du gouvernement. C’est lui qui doit engager cette réflexion. Ce n’est ni moi ni le président de la République qui donnent le cap et fixent la ligne directrice. C’est aux acteurs de l’Exécutif de traduire tout cela sur le terrain. Nous, en tant que syndicat, on se limite à ce rôle d’éclaireur et de donneur d’alerte, tout en faisant un effort de réflexion.
Le pays a traversé une période difficile en 2020, et la crise sanitaire a impacté lourdement les entreprises, tous secteurs confondus. L’UGTA a-t-elle une idée sur le nombre d’emplois perdus et d’entreprises fermées ?
On peut avoir une idée, mais elle n’est pas fiable à 100%. Pour la simple raison qu’on ne sait pas s’il faut comptabiliser les pertes d’emplois individuelles. Pour les pertes d’emploi collectives, elles sont plus visibles. Il faut avoir le courage et ne pas craindre les chiffres.
Surtout qu’on n’a pas de taux de chômage officiel depuis 2019...
Je pense que l’ONS ne peut pas faire d’enquêtes, parce qu’on ne lui a pas permis de le faire. Aujourd’hui, il est très difficile, pour l’Office, d’accéder aux entreprises afin de récupérer des informations.
Pourtant, il le faisait avant…
Il le faisait avec le secteur public, mais pas avec le privé. Il n’y a pas une réglementation qui impose ce genre de statistiques. L’accès de l’ONS à l’information dépend du bon vouloir de l’entreprise. Même dans le secteur public, il y a toujours des grincements de dents. Sans l’information, on n’aura pas de statistiques. C’est une réalité. Et ce n’est pas très astucieux, car cela nous prive d’un indicateur socio-économique fiable et juste. Il y a beaucoup de choses qui manquent, y compris dans l’orientation économique. Cela est dû aussi à la désorganisation. Ce n’est pas normal, par exemple, que la Chambre de commerce n’enregistre pas automatiquement toutes les entreprises à caractère économique.
Les statuts particuliers des travailleurs de l’Education et de la Santé promulgués récemment se sont avérés problématiques. Les concernés et leurs syndicats protestent contre le contenu de ces textes. Où se situe le problème, selon vous ?
La négociation des statuts et des conventions n’est pas une fin en soi. On ne règle pas tous les problèmes à travers seulement la promulgation de ce genre de textes. Penser pouvoir tout résoudre en même temps est une vue d’esprit. Ce n’est pas parce qu’on a un statut particulier ou une convention qu’on a réglé tous les problèmes. Il en restera toujours d’autres qu’il faut traiter. Le rôle du syndicat est de poursuivre continuellement le travail. Pour cela, il faut un raisonnement, de la clairvoyance et avoir la capacité de dialoguer et de revenir à la charge à chaque fois que c’est nécessaire. C’est un combat de tous les jours. Il n’y a pas de solution miracle.