Entre le recul du poids économique du G7 et les défis planétaires : Une nouvelle gouvernance économique et stratégique mondiale s’impose

27/05/2023 mis à jour: 02:59
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L’ordre mondial unipolaire de l’après-guerre froide est devenu obsolète et doit être remplacé par une nouvelle architecture géopolitique et économique basée sur la coopération et l’inclusivité. La montée de la Chine et des autres groupes de pays non occidentaux ont érodé le système partiellement libéral basé sur des règles internationales mises en place par les pays avancés. 

Les crises financières et bancaires à répétition, la montée des inégalités, les politiques monétaires ultra libérales des grandes banques centrales, le regain de protectionnisme et la pandémie de Covid-19 ont ralenti la mondialisation économique de l’après-guerre froide.

 De plus, le recours croissant aux sanctions économiques dans le sillage de la guerre en Ukraine a accentué les tensions géostratégiques et fragmenté les relations internationales entre l’Est et l’Ouest et le Nord et le Sud, ralenti le processus d’intégration économique et mis en difficulté la coopération internationale incontournable pour affronter des défis planétaires (dont la paix et la sécurité mondiale, les changements climatiques et la prévention des nouvelles pandémies). 

La reconstruction d’un nouvel ordre économique mondial devrait être articulée autour d’une vision réaliste des rapports internationaux et d’un partage de la gouvernance internationale en raison du poids économique croissant des autres groupes de pays (hors du G7 et de la sphère des pays avancés). Dans l’intervalle, pour ce qui est de l’Algérie et de nombreux autres pays émergents et en voie de développement, l’objectif immédiat est d’éviter des enchevêtrements coûteux avec les grandes puissances, de garder toutes les options ouvertes pour un maximum de flexibilité à court terme et moyen terme. In fine, avec des ressources limitées pour influencer la politique mondiale, les pays en développement doivent pouvoir adapter rapidement leurs politiques étrangères et économiques à des circonstances imprévisibles. Discutons de ces points très importants.

Point 1. Un recul au niveau de l’intégration économique mondiale ouvrant la voie à des politiques de repli et à un monde divisé. Ce recul est apparent du fait de : (1) l’accroissement des restrictions commerciales et de la baisse des flux d’investissements directs étrangers (IDE) pour des raisons de sécurité nationale et de protection des  chaînes d’approvisionnement des risques géopolitiques ; (2) la concentration des flux d’IDE entre les pays géopolitiquement alignés (2,5 fois plus élevés que prévu), en particulier dans les secteurs stratégiques ; et de (3) l’extension de la fragmentation au système financier (certains pays réduisent leurs avoirs en actifs en dollars américains). Ce recul de l’intégration économique favorise le protectionnisme et la montée de la pauvreté. 
 

Point 2 : La réduction des écarts économiques entre les autres groupes de pays et le G7 pose le problème du partage de la gouvernance économique mondiale.  (1) Le G7 et les autres pays avancés : Entre 2000 et 2023 et selon les données du FMI, la part du G7 dans la production mondiale (calculée en parité du pouvoir d’achat) est passée de 44% à 30%, tandis que celle de l’ensemble des pays à revenu élevé baissait de 57 à 41% (un recul de 16 points de pourcentage). 

Pour sa part, la zone euro (20 pays) voit son poids économique mondial limité à 14,9% du PIB mondial ; (2) Les Etats-Unis : le recul des Etats-Unis est un mythe car avec 4% de la population mondiale, ils génèrent 25% de la production mondiale, une part inchangée depuis 1980. Par ailleurs, le pays demeure le plus prospère au monde et dispose d’autres atouts majeurs, dont un dollar qui reste la devise préférée pour les transactions transfrontalières, des marchés boursiers américains demeurant les plus importants au monde et une avance significative dans les investissements en capital-risque. 

De plus, en tant que société qui attire les inventeurs et les entrepreneurs les plus talentueux du monde et leur donne la liberté et la possibilité de réaliser leurs rêves, les États-Unis restent inégalés ; (3) Les autres pays :  Au cours de la même période, la part de ces derniers s’accroit pour passer de 32 à 53% du PIB mondial. Pour les membres du BRIC, leur part dans le PIB mondial est de 31,5% à fin 2022 (dépassant ainsi le G7). Une transformation marquée de la structure économique mondiale. 
 

La Chine en 2023  a réalisé le bond le plus significatif avec une part croissante du PIB mondial passant de 7 à 20%. La Chine est désormais une superpuissance économique, un pourvoyeur mondial d’investissements directs au niveau des pays en développement (même si certains projets ont produit des créances insoutenables) et un partenaire économique de premier plan pour certains pays émergents et en développement. 

Un énorme marché de 1,3 milliards de personnes, un output de $18,000 milliards ($1200 milliards en 2000), une position centrale en termes de chaines d’approvisionnement mondiales et première destination mondiale des investissements directs étrangers ont contribué à fondamentalement modifier la structure de l’économie mondiale et reconfigurer progressivement l’ordre géopolitique. La Chine est une superpuissance économique rivalisant désormais avec les Etats-Unis. 

Nonobstant un statut de bloc économique le plus puissant et le plus cohérent du monde et l’émission de toutes les principales monnaies de réserve du monde, La domination économique du G7 est désormais révolue. 
 

Point 3 : La Chine en parité économique et stratégique avec les Etats-Unis au cours de la prochaine décennie. Depuis sa libéralisation en 1978, l’économie chinoise a enregistré une forte croissance économique de 9 % par an en moyenne, extrayant ainsi de la pauvreté plus de 850 millions de citoyens et produisant désormais 1/5 de l’output mondial. La mauvaise gestion de la pandémie a cependant causé des dommages structurels (recul de la croissance, faiblesse de l’épargne des ménages, et secteur financier en panne). Le boom attendu de la réouverture de l’économie en janvier 2023 a, pour le moment, des difficultés à se matérialiser (croissance des revenus des entreprises de 1,5%, baisse de l’indice boursier de 25%, chute des importations de 8% et endettement des ménages de 30% des revenus disponibles). 

En plus, le modèle économique de la Chine basé sur la relance budgétaire et l’endettement (ciblant l’immobilier) est insoutenable. Ajoutons à cela, l’accumulation de contraintes structurelles qui vont peser négativement sur la croissance potentielle à moyen et long terme du pays. 

Citons : (1) la contrainte démographique : la population en âge de travailler diminue depuis une dizaine d’années. et pourrait, selon l’ONU chuter de 25% d’ici le milieu du siècle en raison d’un vieillissement de la population; (2) la contrainte de la productivité du fait des pressions des autorités sur les entrepreneurs locaux qui nuit à la capacité d’innovation du pays, la délocalisation de certaines firmes étrangères vers d’autres pays voisins et les restrictions à l’exportation par les Etats-Unis des  semi-conducteurs et des machines ; (3) l’inefficience des banques et entreprises d’état qui conduisent à une mauvaise répartition des ressources ; et (4) la perception que les circuits d’approvisionnement de la Chine ne sont plus fiables du fait de la politique du zéro-covid qui a maintenu la fermeture de la Chine pendant toute la pandémie. Il est indéniable que la Chine va rebondir avec, toutefois, une trajectoire de croissance moins marquée que par le passé. De ce fait, le scénario le plus vraisemblable qui semble émerger sur la base des données économiques et stratégiques actuelles est celui d’une parité économique avec les Etats-Unis au cours de la prochaine décennie et éventuellement les décennies subséquentes. 
 

Point 4 : Quelle configuration pourrait prendre un nouvel ordre économique au vu de la parité économique Chine-Etats-Unis ? 

Premier scénario : celui extrême de la confrontation entre la Chine (qui a une autre philosophie des relations internationales) et les Etats-Unis, deux superpuissances nucléaires maîtrisant l’intelligence artificielle. Pour les experts en géostratégie, cela ouvrirait la voie à un monde dangereux et moins prospère, une Europe empêtrée dans un conflit militaire, des blocs économiques régionaux intravertis, une intelligence artificielle utilisée de façon négative et la militarisation croissante de l’économie. Ce scenario est extrême et ne sera dans l’intérêt de personne. 

Second scénario : celui du réalisme, basé sur un équilibre entre la Chine et les Etats-Unis, la coopération internationale et un partage du pouvoir économique. La Chine veut être reconnue comme l’égale de la plus grande puissance mondiale, les Etats-Unis. Elle est alors plus susceptible de coopérer avec des institutions qui la placent sur un pied d’égalité avec Washington, A contrario, elle a généralement défié ou cherché à réformer les institutions qui ne le font pas. La pérennité d’un tel ordre international est liée à la capacité de ses institutions – et des États-Unis – d’impliquer la Chine comme partenaire égal. 

De ce fait, il y aurait un ordre international au sein duquel les Etats-Unis, la Chine et d’autres puissances mondiales se font concurrence dans certains domaines, coopèrent dans d’autres et observent de nouvelles règles de conduite plus souples conçues pour préserver les principaux socles incontournables pour un monde ouvert. Éventuellement, ce scenario déboucherait sur une gouvernance économique mondiale partagée et une coopération entre les principales puissances pour limiter les effets du changement climatique, améliorer la santé mondiale, réduire la menace des armes de destruction massive et gérer conjointement les crises régionales.  Ce scenario est en fait celui que la Chine, traitée en égal par les Etats-Unis, appelle à mettre en place. 
 

Point 5 : La nouvelle doctrine des Etats-Unis pour réduire les risques d’un conflit, coopérer avec la Chine et garder le leadership du nouvel ordre mondial. Visant à préserver la prospérité de la classe moyenne (colonne vertébrale de la société américaine surtout dans le contexte récent du vieillissement de la population des Etats-Unis), renforcer la défense du pays et combattre le changement climatique, cette doctrine exclut le libéralisme du « consensus de Washington » et prône au contraire un rôle important de l’état au bénéfice de la société et de la sécurité nationale. 

Les axes de cette doctrine sont ainsi : (1) une politique industrielle hyperactive : appuyée par : (i) d’importantes subventions pour attirer les investissements privés dans les semi-conducteurs et l’énergie propre ; et (ii) des contrôles à l’exportation pour empêcher le transfert de certaines technologies sensibles en direction de pays hostiles qui en feraient un usage militaire ; (2) une politique de réduction des risques avec la Chine (plutôt qu’un découplage) : si cette politique vise à contrecarrer les progrès de la Chine dans des secteurs stratégiques liés à la sécurité nationale, accroître la résilience de la chaîne d’approvisionnement et réduire la dépendance des États-Unis à l’égard de la Chine pour les biens essentiels, elle devrait aussi permettre de  trouver un terrain d’entente sur le changement climatique, la dette africaine et même l’Ukraine. Des contacts à haut niveau se poursuivent entre les deux pays ; et (3) la diplomatie pour faire face aux défis mondiaux, y compris avec la Chine. 
 

Point 6 : La marge de manœuvre de l’Algérie dans ce contexte international en transition. Face à la rivalité sino-américaine (présentée avec hypocrisie comme une bataille entre la démocratie et l’autocratie alors que les États-Unis continuent de soutenir de manière sélective des gouvernements autoritaires lorsque cela sert les intérêts américains), aux références fallacieuses à un ordre fondé sur des règles (alors que les États-Unis et leurs alliés violent fréquemment ces règles), et à l’incertitude quant à la répartition du pouvoir mondial, l’Algérie (et de nombreux autres pays dans le monde) devrait éviter des implications coûteuses avec les grandes puissances et essayer de garder toutes leurs options ouvertes pour une flexibilité maximale sur le plan économique et géostratégique. 

En conséquence, il est important de développer ce que les experts appellent une stratégie de couverture pour être en mesure d’adapter rapidement les politiques étrangère et économique aux circonstances imprévisibles. La stratégie de couverture n’est pas nouvelle. Elle a toujours été utilisée par les puissances moyennes pour gérer les risques géostratégiques et économiques. Elle est de nouveau en vogue au niveau d’un nombre croissant d’États moyens. 

En tant qu’outil de gestion d’un monde multipolaire, la stratégie de la couverture consiste d’abord et avant tout à maintenir ouverts les canaux de communication avec tous les acteurs. 

De ce fait, elle offre une possibilité de préserver la liberté d’action, maintenir l’indépendance économique, renforcer les intérêts économiques nationaux, développer les marchés domestiques, favoriser la réindustrialisation et renforcer les secteurs stratégiques-clés de l’économie nationale dans le cadre d’un nouveau modèle de développement économique et social. 

Enfin, un ordre multipolaire pourrait donner aux pays en développement plus de marge de manœuvre qui leur permettrait de devenir des participants plus actifs à la gouvernance économique au niveau des institutions internationales, telles que les Nations unies, l’Organisation mondiale du commerce, le FMI et la Banque mondiale qui gagneraient alors en légitimité globale. 

 

Pr  Abdelrahmi Bessaha  , Expert international  

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