Économie informelle à Constantine : Plus de 1400 milliards de centimes de transactions non facturées

23/12/2024 mis à jour: 16:47
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Chaque année, des pertes considérables sont occasionnées au trésor public - Photo : D. R.

Les chiffres de la direction du commerce jusqu’au 30 novembre dernier ont révélé la traduction en justice de 922 opérateurs économiques pour défaut de facturation et 97 autres pour exercice sans registre de commerce.

Face à la montée en puissance de l’économie informelle, qui représente une menace croissante pour l’équilibre financier du pays, l’Etat algérien a pris conscience de l’urgence d’agir contre ces pratiques qui échappent au contrôle fiscal. La wilaya de Constantine illustre parfaitement cette problématique, où la prolifération de telles activités a pris des proportions alarmantes ces dernières années.

Ce constat a incité les instances compétentes, notamment la direction du commerce et celle des impôts de la wilaya de Constantine à conjuguer leurs efforts pour endiguer ce fléau. Ainsi, au cours de l’année 2024, une série d’opérations a été menée par des brigades spécialisées, qu’elles soient indépendantes ou mixtes, afin de régulariser les opérateurs économiques, notamment les commerçants. Une partie significative d’entre eux déploie, en effet, des manœuvres ingénieuses pour échapper à leurs obligations fiscales.

Dans le cadre de la régularisation des activités commerciales, qu’il s’agisse de commerçants opérant sans registre de commerce ou de ceux effectuant des transactions sans facturation dans le but d’éluder l’impôt, les services de la direction du commerce ont intensifié les contrôles. A ce titre, entre le 1er janvier et le 30 novembre 2024, pas moins de 92 723 interventions ont été effectuées, donnant lieu à 11 857 infractions constatées. Le montant des transactions non facturées s’élève à plus de 14 milliards de dinars (soit plus 1 400 milliards de centimes). «Les services des impôts ont été saisis pour engager les procédures nécessaires, notamment des poursuites judiciaires pour évasion fiscale. De leur côté, les services du commerce appliquent dans le cadre de leurs prérogatives, les sanctions appropriées pour non-facturation. Chaque direction assume ses responsabilités selon ses compétences», a indiqué Sid Ali Merdas, directeur du commerce et de la promotion des exportations de la wilaya de Constantine, dans une déclaration à El Watan.

Modernisation et répression

Les opérateurs concernés par ces mesures ont été identifiés dans les douze communes de la wilaya, avec une concentration particulière dans la circonscription administrative d’Ali Mendjeli. Ce pôle urbain, marqué par une intense activité commerciale, regroupe de nombreux centres commerciaux et constitue un point d’attraction pour de nombreux commerçants, y compris ceux issus du centre-ville de Constantine. Dans un premier temps, les services du commerce se sont attelés au contrôle des registres de commerce, car c’est souvent à ce niveau que débute la fraude fiscale.

Les commerçants opérant sans enregistrement légal font l’objet de fermetures administratives jusqu’à la régularisation de leur situation. La seconde étape des contrôles porte sur la vérification des factures des produits achetés. Sid Ali Merdas a salué les nouvelles mesures mises en œuvre dans le cadre de la lutte contre la fraude, tout en insistant sur la nécessité de moderniser et d’actualiser en permanence les systèmes et les moyens de contrôle afin de garantir des résultats probants.

Les contrevenants font également l’objet d’inspections ciblées menées par les brigades d’inspection, afin qu’elles vérifient s’ils se sont soumis à la réglementation ou non. Un autre point notable est l’absence quasi totale de signalements de non-facturation chez les grossistes, en particulier dans des secteurs sensibles comme celui des produits subventionnés, tels que l’huile de table, le sucre ou la semoule, où les transactions entre grossistes et producteurs, notamment les moulins, demeurent relativement transparentes. En revanche, le phénomène s’accentue principalement chez les détaillants ou dans d’autres catégories de produits non subventionnés.

Les données statistiques révélées par la direction du commerce mettent en lumière l’ampleur du phénomène de la non-facturation et de l’exercice illégal des activités commerciales. Au total, 922 opérateurs économiques ont été traduits en justice pour absence de facturation et 97 autres pour exercice sans documents légaux, en particulier l’absence de registre de commerce. «La non-facturation et l’exercice sans registre représentent les principaux moteurs de l’économie informelle», a précisé le responsable en question.

Il apparaît cependant paradoxal que des mécanismes légaux, accessibles et diversifiés, soient ignorés par certains acteurs. En effet, il existe plusieurs solutions permettant d’exercer une activité commerciale en toute conformité, même sans disposer d’un local fixe : les registres pour l’étalage ou pour les commerces ambulants en sont des exemples probants. «L’Etat a mis en place un cadre réglementaire clair et inclusif pour accompagner les commerçants dans la régularisation de leur activité. Le refus d’adhérer à ces dispositifs relève d’une volonté manifeste d’échapper aux obligations fiscales et légales», a souligné M. Merdas.

Ce phénomène complexe nécessite une approche pluridimensionnelle impliquant plusieurs secteurs d’intervention. Parmi eux, le ministère des Affaires religieuses. Ce dernier, selon quelques commerçants interrogés, pourrait mobiliser les imams pour sensibiliser les commerçants lors des prêches religieux. Il s’agit notamment «d’expliquer que les recettes fiscales sont destinées au financement de projets d’intérêt public, comme les infrastructures, les services sociaux ou les travaux d’aménagement».

Cette initiative se justifie par le fait qu’un sondage mené par El Watan a révélé qu’une partie des commerçants considère les impôts comme «haram», estimant qu’ils sont perçus de manière coercitive. Toutefois, la sensibilisation, bien que nécessaire, ne suffit pas à elle seule pour enrayer ce phénomène. En réalité, les mesures répressives se sont avérées plus efficaces pour réduire les infractions.

A titre d’illustration, en 2023, les transactions non facturées avaient atteint le chiffre colossal de plus de 21 milliards de dinars (soit plus de 2100 milliards de centimes). Pour l’année en cours, 703 décisions de fermeture de commerces ont été exécutées pour divers manquements, notamment l’absence d’agrément ou le refus de se soumettre aux contrôles. Dans la perspective d’un renforcement des dispositifs de lutte contre ces pratiques illégales, la direction du commerce envisage une intensification des contrôles sur l’ensemble des communes de la wilaya sans exception.

Le fruit des efforts conjoints

Les brigades de contrôle qu’elles soient constituées de manière individuelle ou en équipes mixtes incluant les services des impôts, ont ainsi redoublé d’efforts pour réguler le secteur. Lors de la dernière session de l’Assemblée populaire de wilaya (APW), le directeur des impôts a annoncé une progression notable des recettes fiscales pour les dix premiers mois de l’année en cours. Ces recettes, qui s’élevaient à 2850 milliards de centimes pour la même période en 2023, ont atteint 3100 milliards de centimes en 2024, soit une hausse d’environ 7%.

Cette performance a été rendue possible grâce à la collaboration des brigades mixtes entre les directions du commerce et des impôts, particulièrement dans des zones à forte dynamique commerciale comme la ville d’Ali Mendjeli. Le responsable prévoit que les recettes fiscales atteindront entre 3600 et 3700 milliards de centimes d’ici la fin de l’année, marquant ainsi une progression de 600 milliards de centimes par rapport à l’année précédente. En parallèle, l’impôt forfaitaire connaîtra également une évolution notable. Alors que le seuil minimum était fixé à 10 000 DA, il sera quasiment triplé pour atteindre 30 000 DA en 2025.

Cette mesure, qui repose désormais sur une estimation administrative plutôt que sur la déclaration volontaire du contribuable, permettra de renforcer les budgets des communes et de la wilaya. Ce cadre d’action, alliant sensibilisation, répression et modernisation des mécanismes fiscaux, représente une réponse coordonnée aux défis posés par l’économie informelle. Cependant, la mobilisation de tous les secteurs concernés reste un impératif pour garantir l’efficacité et la pérennité des solutions mises en œuvre.

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