Echanges extérieurs et croissance économique dans le monde et en Algérie : l’importance des réformes structurelles

27/02/2023 mis à jour: 21:33
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Les échanges extérieurs continueront d’être un moteur d’intégration et de croissance de l’économie mondiale en dépit d’un certain nombre de facteurs de changement apparus ces dernières années. Le commerce mondial a fortement progressé au cours des soixante-dix dernières années en termes de volumes, générant des bénéfices certains pour de nombreux pays (plus grande intégration économique mondiale, contribution à la croissance mondiale et réduction de la pauvreté) mais également des risques affectant la production (délocalisation et désindustrialisation au niveau des pays avancés), le travail (pertes d’emplois liées à la concurrence), la politique intérieure de nombreux pays (montée du nationalisme, Brexit) et sur la logique et la rationalité des regroupements régionaux (résistances politiques, syndicales et environnementales). Dans un tel contexte est intervenu le ralentissement des échanges extérieurs au moment de la crise financière de 2008 et plus récemment la pandémie de la covid-19. Nonobstant ces chocs, les échanges extérieurs ont repris avec vigueur en 2021 et leur rythme de progression dans le futur dépendront de la capacité des gouvernants (agissant individuellement et collectivement) à surmonter les contraintes susmentionnées. La mise en place de ces politiques est toutefois un véritable défi au moment où le multilatéralisme est en difficulté. Pour ce qui est de l’Algérie, pays mono exportateur, les échanges extérieurs sont la source importante de croissance et le canal principal d’approvisionnement en biens divers pour faire fonctionner l’économie du pays. L’enjeu est donc de diversifier la structure des échanges extérieurs dans le contexte d’une stratégie à long terme de mise en place d’un nouveau modèle de développement. Discutons de ces questions importantes.

Avantages et coûts des échanges extérieurs   

-Avantages. L’expansion des échanges extérieurs a contribué à : (i) renforcer la productivité par la diffusion de la technologie et d’un savoir-faire ; (ii) créer de la valeur ajoutée et des emplois ; (iii) rehausser le niveau des  revenus des travailleurs; (iv) faire baisser les prix de nombreux biens et services échangeables ; et (v) réduire la pauvreté.

Coûts. Le commerce international a cependant eu un impact négatif en termes de création de valeur, d’emploi et de fiscalité sur des groupes de travailleurs et certaines communautés au niveau des différents pays (une partie de cette perte est à imputer aux changements technologiques). Ces impacts négatifs ont donné lieu à un populisme et une montée du nationalisme (illustré par le Brexit et l’élection de démagogues au niveau de certains grands pays. L’ampleur de ces impacts négatifs varie d’un pays est liée à la brutalité du choc commercial, la santé de l’économie, les rigidités du marché du travail et l’absence/adéquation de politiques de protection sociale.

Les échanges extérieurs ont rebondi en 2021 après un certain ralentissement. Ce dernier est le résultat de: (1) la crise financière mondiale avec son cortège de restrictions au niveau des économies avancées (interdictions temporaires d’exportation, multiplication de mesures non tarifaires, échec des négociations multilatérales sur la libéralisation des échanges) ; (2) la montée de l’automation qui a réduit l’intensité de main-d’œuvre de l’industrie manufacturière et donc l’avantage concurrentiel des pays à bas salaires qui étaient devenus des centres de délocalisation dans les années 1990 et 2000 ; (3) l’augmentation des salaires dans les pays de délocalisation ; (4)  les tarifs américains sur les exportations chinoises ; et (5) la pandémie, vecteur de dislocation qui a perturbé les échanges et les flux d’investissement au niveau de nombreux pays (baisse des IDE de 35% en 2020) et le commerce des services (20% en 2020). Le rebond est intervenu en 2021 avec la réouverture de l’économie mondiale (progression des échanges mondiaux en volume de 9,7% en 2021 (OMC).

Le futur des exchanges commerciaux. Un démantèlement du système mondial des échanges extérieurs est irréaliste et aurait des conséquences incalculables. De ce fait, l’intégration commerciale va continuer vu son importance pour relancer la croissance mondiale à condition de : (1) la réaménager pour la rendre inclusive ; (2) renforcer sa robustesse pour se prémunir contre les vulnérabilités mises à nu par la pandémie et la récente guerre en Ukraine ; (3) se focaliser sur des domaines traditionnels tels que l’agriculture ; (4) réformer les activités de production des services, dont le commerce numérique ; (5) s’appuyer sur des accords bilatéraux, régionaux et mondiaux ; et (6) renforcer l’OMC et un système de règles commerciales renforçant la concurrence et la confiance du public.

Pour ce qui est de l’inclusivité : pour partager plus largement les gains du commerce, les gouvernements doivent faciliter le réemploi, augmenter les compétences des travailleurs (aide à la recherche d’emploi, formation, assurance salaire, assurance-chômage), faciliter la mobilité (logement, crédit et infrastructures), revitaliser les communautés durement touchées pourraient également être envisagées, soutenir la compétitivité et la croissance de la productivité en offrant aux travailleurs déplacés de nouvelles opportunités).

Restructurations des chaînes de valeur : ont déjà commencé et vont s’étaler jusqu’à la prochaine décennie 2030. Les changements attendus vont viser à renforcer la robustesse et l’efficience des chaines de valeur, y compris la diversification des sources d’approvisionnement, la constitution d’inventaires (produits semi-finis et finis), une intégration verticale des activités et le transfert de productions de la Chine vers le reste de l’Asie, la zone euro et les Etats-Unis.

Ceci n’empêche pas toutefois, une fragmentation géoéconomique par le biais de politiques industrielles déjà en place dans plus de 100 pays représentant plus de 90% du PIB mondial. Ces politiques vont des investissements dans la recherche fondamentale à celles qui protègent les industries «stratégiques» de la concurrence étrangère et le rapatriement de certains industries manufacturières. Le cas le plus typique est l’Inflation Reduction Act des Etats- Unis. La croissance du commerce mondial devrait ralentir en 2022 en raison de la crise ukrainienne et de l’inflation.

L’Algérie et le commerce international à fin 2022 : un secteur vulnérable du fait de son manque de diversification et de politiques publiques bien ciblées.

Les agrégats extérieurs en 2022. Les exportations ont atteint $60,3 milliards en 2022 par rapport à $39,3 milliards en 2021. La part du pétrole est de 90% en 2022 (50% en 1963). De façon générale, la hausse des exportations ne reflète qu’un effet prix des hydrocarbures lié à des évènements géostratégiques ou des chocs externes. Six décennies plus tard, la diversification n’est pas au rendez-vous.

Les importations ont totalisé $40,1 milliards en comparaison de $37,7 milliards en 2021 ($46,3 milliards en 2018 soit une baisse de 15 % sur 5 ans). La part des produits alimentaires dans les importations totales est de 27% en 2022 (23 % en 1963). Une forte dépendance qui a survécu au temps pour de nombreuses raisons. Pour les biens d’équipements, leur part se situe à 22,4 % en 2022 et 43,2 % en 2021 et 32,6 % en 2019 (avant la pandémie). Une chute continue des importations d’équipements au moment où l’économie sortait endommagée par la pandémie.

Le compte courant de la balance des paiements (le solde de la balance commerciale n’étant pas un indicateur de performance du secteur extérieur) a enregistré, pour la première fois depuis des années un surplus de 7,6 % du PIB en raison d’une hausse des prix à l’exportation du baril et d’une compression des importations (par voie administrative et non par le biais du taux de change). Ce surplus est à comparer à des déficits qui ont oscillé entre 2,8% du PIB en 2021 et 13,1 % du PIB en 2017. Un redressement du compte courant reflétant tout simplement des facteurs exogènes et non le résultat de politiques macroéconomiques bien calibrées.

Le compte capital et financier (ce compte mesure les entrées de fonds dont peut bénéficier le pays) négatif ce qui signifie que le pays ne peut couvrir les déficits de son compte courant que par des tirages sur ses réserves internationales de change. Une situation de vulnérabilité car le pays ne mobilise pas l’épargne étrangère.

Le partenariat commercial est concentré. Quinze pays fournissent 74 % des importations totales avec la Chine comme premier partenaire (17,3%). Quinze autres pays concentrent 57% des exportations du pays, avec l’Italie comme premier client (26,8%). Les importations viennent de l’Europe (40,5%), suivie de l’Asie/Océanie (35,3%), l’Amérique (20,6%) et l’Afrique (4,1%). Les exportations vont vers l’Europe (67,7 %), suivie de l’Asie/Océanie (19,8%), l’Amérique (8,6%) et l’Afrique (3,95%). L’Algérie a des accords préférentiels (AAUE, GZALE et Tunisie) qui coûtent au contribuable algérien un montant estimé d’environ $150 millions au titre des exonérations sur les droits de douane et la TVA à l’importation. Un partenariat concentré révélateur d’une faible diversification.

Analyse et feuille de route pour des échanges commerciaux diversifiés.  Le manque de diversification des exportations et le poids des importations alimentaires sont le reflet de l’absence de diversification des sources d’activité économique. Cette dernière est liée à des facteurs endogènes (politiques macroéconomiques et structurelles inadéquates et incohérentes) et des contraintes exogènes (marchés internationaux, facteurs géostratégiques).

Le mix des politiques macroéconomiques est incohérent. Une politique budgétaire expansionniste qui crée un effet d’éviction, absorbe des ressources qui auraient pu être orientées vers l’investissement et génère de l’inflation que la politique monétaire ne combat pas. L’inflation érode la compétitivité extérieure qui est d’ailleurs aggravée par la politique d’appréciation du DA suivie en 2022 par la BA pour combattre l’inflation, pénalisant ainsi le processus de promotion des exportations. De plus, le recul régulier de réformes structurelles et l’absence de mobilisation de l’épargne privée internationale privent le pays de ressources financières pour favoriser l’investissement privé productif et appuyer le processus de diversification économique. Pour finir, les politiques sectorielles ne sont pas suffisamment ciblées pour encourager la production et l’investissement dans les secteurs à haute valeur ajoutée (numérisation et vert).

Feuille de route pour une diversification des exportations. Avec un monde en plein bouleversement économique et géostratégique et au milieu d’une transition énergétique incontournable, le pays ne doit plus perdre du temps et doit à tout le moins et dans les délais les plus brefs se doter d’une stratégie de diversification de exportations cohérente avec une stratégie à long terme de réforme du modèle de développement du pays. Trois grands volets :

Volet 1 : Articuler des politiques macroéconomiques structurelles et sectorielles cohérentes : appuyant le retour aux grands équilibres, la diversification des activités de production et le ciblage de secteur à haute valeur ajoutée.

Volet 2. Est liée elle-même à la diversification économique, processus complexe et long qui ne peut résulter que d’une transformation structurelle de l’économie tirée par de hauts niveaux de productivité provenant d’une réallocation intra et inter sectorielle des ressources.

En appui de cet objectif stratégique et sur la base de nombreuses études internationales, il serait souhaitable d’engager un véritable programme de réformes visant à : (1) renforcer la qualité du capital humain par le biais d’une amélioration de la qualité des enseignements primaire, secondaire et supérieur pour rehausser la qualité du marché du travail, favoriser la création et in fine soutenir la croissance et les exportations; (2) favoriser l’ouverture commerciale qui permet de s’exposer à la concurrence et d’acquérir un savoir-faire ; (3) améliorer la qualité des institutions, mesurée par la qualité de la gouvernance (respect des contrats, arbitrage etc.) et le niveau de corruption pour inspirer confiance dans le label Algérie; (4) disposer d’infrastructures de qualité, notamment en matière de transports, téléphonie et pénétration internet incontournable pour s’insérer dans le circuit du commerce international électronique ; (6) œuvrer à l’ouverture du compte de capital à terme pour mobiliser l’épargne étrangère, notamment sous la forme d’investissements directs étrangers même si ils tendent à se diriger vers des secteurs où les pays ont un avantage comparatif, notamment le secteur minier ; (7) développer le secteur financier pour améliorer à la fois l’accès financier et l’allocation du crédit entre les secteurs (et entre les entreprises au sein des secteurs); et (8) mettre en place une politique industrielle qui s’appuie sur des instruments directs et indirects d’intervention pour renforcer la compétitivité des entreprises à l’exportation et placer l’économie du pays sur le marché mondial.

Volet 3. éliminer à terme la dualité du marché des changes (une œuvre de longue haleine) qui serait étalé sur le long terme et qui s’articulerait autour de 4 grands axes : (1) un premier axe à court terme (12 mois) visant la réduction de l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (2) un second axe (moyen terme) pour renforcer le fonctionnement du marché officiel de change ; (3) un troisième axe (moyen terme) est d’assécher les sources d’offre du marché parallèle ; et (4) un quatrième axe (long terme) visant à l’unification à terme des deux marchés par le biais d’une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d’entrées de ressources extérieures.

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