Dr Yacine Terkmane. Président de l’Ordre des médecins de la région de Blida : «Les médecins libéraux sont victimes de discrimination et d’une hyper imposition»

14/06/2022 mis à jour: 20:42
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Photo : D. R.

Dans l’entretien accordé à El Watan, le Dr Yacine Terkmane, président de l’Ordre des médecins de la région de Blida, déplore les «inégalités, une iniquité et une injustice flagrante et importante devant l’impôt et la protection sociale à l’encontre des médecins libéraux». Pour lui, alors qu’il était attendu que les pouvoirs publics prennent en charge les revendications des médecins libéraux, «voilà qu’à contre-courant de cette situation et du discours pompeux et glorifiant le rôle de l’‘‘armée blanche’’ par les plus hautes autorités, la LF-2022 et le décret 22/121 du 17 mars 2022 relatif à la Casnos (JO n°20) viennent fragiliser davantage la situation de l’écrasante majorité des médecins libéraux, spécialistes y compris».

  • Quelle appréciation portez-vous sur la situation du médecin libéral actuellement ?

L’année 2022 sera perçue par les médecins libéraux comme l’année de la saignée à blanc, d’abord par la loi de finances (LF) 2022, puis le décret 22/121 du 17 mars 2022, complétant le décret 15/209 du 14 novembre 2015 relatif à la Sécurité sociale pour les non-salariés exerçant une activité pour leur propre compte (Casnos).

Ajouté à cela, la crise de Covid-19 qui a impacté négativement le monde entier et naturellement notre pays. Les conséquences sont ressenties au niveau de tous les secteurs économiques et sociaux.

Etant avant tout une crise sanitaire, elle a tout particulièrement impacté les médecins libéraux en tant que citoyens et en tant que praticiens aux premières lignes dans la lutte contre cette pandémie. Les médecins libéraux ont à ce titre payé un lourd tribut en termes de décès d’une part et, d’autre part, dans leur activité professionnelle très fortement perturbée pendant ces deux dernières années.

  • Et pourtant, il y avait des promesses des autorités concernées quant à la prise en charge de cette catégorie de professionnels...

Malheureusement, rien n’a été fait. Alors qu’il était attendu que les pouvoirs publics prennent en considération cette réalité, voilà qu’à contre-courant de cette situation et du discours pompeux et glorifiant le rôle de l’armée blanche par les plus hautes autorités, la LF-2022 et le décret 22/121 du 17 mars 2022 relatif à la Casnos (JO n°20) viennent fragiliser davantage la situation de l’écrasante majorité des médecins libéraux, spécialistes y compris.

La LF-2022 a fait basculer d’autorité l’écrasante majorité des médecins libéraux du régime de l’impôt forfaitaire unique (IFU) au régime du réel simplifié qui n’a de simplifié que le nom. Ce nouveau régime réel simplifié fera que pour le même revenu, l’impôt passera de 12% en 2021 à 25 et 30%, correspondant respectivement aux tranches 3 (480 000 à 960 000 DA/an) et 4 (960 000 à 1 920 000 DA/an) dans lesquelles se situe l’immense majorité des revenus des médecins libéraux.

Déjà fortement impactés négativement par la pandémie, les revenus des médecins libéraux ont tendance à se stabiliser, voire à régresser du fait des installations régulières dans le secteur libéral, de la stabilité des honoraires, voire une certaine concurrence déloyale entre les médecins.

Dans ce contexte de récession de l’activité médicale libérale, la LF-2022 n’a pas trouvé mieux que de multiplier par 2, 2,5, voire 3 l’impôt des médecins libéraux. Aurait-on voulu asphyxier l’activité médicale libérale, qu’on ne se serait pas pris autrement.

Les médecins fraîchement diplômés et même ceux installés dans le privé recherchent de plus en plus l’exercice dans le secteur public, autrement plus sécurisant et avantageux sur le plan de l’impôt et de la protection sociale. La LF-2022 viole un droit constitutionnel, celui de l’égalité des citoyens devant les droits – protection sociale – et les devoirs – paiement de l’impôt. Elle introduit une discrimination entre les médecins du secteur public et ceux du secteur libéral.

  • Comment ?

Pour une même assiette de revenu, l’impôt des médecins libéraux est plus important que celui de leurs confrères du secteur public. Rien ne saurait justifier un tel écart entre des citoyens exerçant la même profession et réputés égaux en droits et en devoirs devant la Constitution.

Cette discrimination au niveau de l’impôt s’étend à la protection sociale des médecins libéraux. Le taux de cotisation Casnos est de 15% de l’assiette, réparti : 7,5% au titre des assurances sociales et 7,5% au titre de la retraite. Ce taux n’est que de 9% pour les salariés, desquels ne sont prélevés que 1,5% pour les assurances sociales (7,5% pour les libéraux) et 6,75% pour la retraite (7,5% pour les libéraux).

Bien que cotisant à des taux nettement supérieurs que ceux de leurs confrères du secteur public, les médecins libéraux ne bénéficient d’aucune prestation sociale en espèces, aucune indemnité journalière n’est due pour chaque jour d’arrêt de travail pour cause de maladie, accident du travail ou maternité.

Aucune indemnité journalière n’a été versée aux médecins libéraux qui ont dû cesser momentanément leur activité pour cause de Covid-19, alors que l’Etat a dépensé sans compter, quoi qu’il en coûte, entre indemnité journalière et prime de risque pour les médecins du secteur public. Une femme médecin dans le secteur libéral n’aurait pas autant besoin, pour elle même et son enfant, du congé de maternité que sa consœur du secteur public ?

  • Qu’en est-il de la pension de retraite des médecins libéraux ?

Les droits de pension de retraite des médecins libéraux sont ouverts à partir de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes, alors qu’ils le sont respectivement pour les salariés de 60 ans et de 55 ans.

Pis, nombre de médecins libéraux bien que retraités et disposant d’une pension de retraite préfèrent maintenir leur activité. Bien que leurs prestations sociales en nature sont couvertes par les prélèvements sur leur pension de retraite, les médecins libéraux retraités actifs, au titre du maintien de leur activité, sont injustement obligés de cotiser à 15% de leur revenu, tout comme un médecin non retraité.

L’article 1 modifié du décret 15/289 du 14 novembre 2015 relatif à la Casnos ne cite nullement et expressément les retraités libéraux actifs dans le champ d’action de ce décret. C’est une indue cotisation, puisqu’elle ne ramène aucune plus-value en matière de prestations sociales en nature ni en matière de retraite.

Pourquoi les médecins libéraux retraités actifs devraient-ils cotiser pour des prestations sociales déjà couvertes par les prélèvements sur leur pension de retraite ? Ça c’est la question qui se pose ! Pourquoi devraient-ils cotiser pour la retraite alors qu’ils sont déjà retraités et que cette sur-cotisation n’améliore en rien leur pension de retraite ? Cette situation est vécue et ressentie comme une agression et une violence légales perpétrées par la Casnos contre les médecins libéraux retraités actifs.

  • Pour finir...

Je dirais qu’il y a surtout des inégalités, une iniquité et une injustice flagrante et importante devant l’impôt et la protection sociale à l’encontre des médecins libéraux. Cela est en violation flagrante de l’article 37 de la Constitution, qui énonce que les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci. Les médecins libéraux ont plus de devoirs et moins de droits que leurs confrères du secteur public.

Des amendements aux lois 83/11, 83/12 et 83 /14 du 2 juillet 1983 relatives aux assurances sociales et à la loi de finances complémentaire 2022 devraient prendre en considération ces disparités dans les meilleurs délais possibles.

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