Dr Tahar Derouiche. Maître assistant en pharmacologie et chef de département au Centre de recherches en sciences pharmaceutiques de Constantine : «Il faut un dialogue permanent entre les différents acteurs du secteur»

05/07/2022 mis à jour: 00:23
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Photo : D. R.
  • La classification scientifique des psychotropes est différente de celle réglementaire basée sur l’usage détourné. Quel est votre commentaire concernant certains médicaments, comme la prégabaline ?

Les médicaments psychotropes font partie d’une classe très réglementée à cause des abus enregistrés. Mais l’exercice pharmaceutique doit concilier la connaissance pharmaceutique et thérapeutique de ce médicament avec son statut réglementaire. En réalité, l’exemple de la prégabaline est, malheureusement, un peu trop connu à cause de l’usage détourné. Parce qu’initialement, la molécule n’a pas une indication principalement psychotrope ; mais c’est surtout pour traiter des douleurs neuropathiques.

Comme beaucoup de médicaments qui interfèrent avec le système nerveux, soit pour traiter une douleur ou corriger un trouble neurologique, comme l’épilepsie et ainsi de suite. Ces molécules ont des effets qu’on peut qualifier de secondaires, impactant le psychisme et le comportement de la personne. C’est pour cela que ces molécules ont fait l’objet d’un usage détourné.

Des gens prennent des médicaments dans un but qui n’est pas thérapeutique, mais récréatif, toxicomaniaque, avec tous les risques de dépendance que cela peut provoquer. En réalité, le champ des médicaments qui ont un impact sur le psychisme est très large. On découvre chaque année que des molécules, même parmi les plus anciennement utilisées, ont des effets psychiques.

Dernièrement, on a été surpris par l’utilisation d’un produit collyre, qui est le mydriaticum. C’est un dérivé de l’atropinique détourné de son usage ophtalmique. Il a été injecté par voie intraveineuse pour avoir des effets neurologiques et stupéfiants.

  • Quelle est, selon vous, la solution pour stopper ce «détournement» ?

Cela ne concerne pas uniquement l’Algérie, mais c’est au niveau mondial. Toute réglementation aura un temps de retard par rapport à la pratique détournée des médicaments. On est dans ce qu’on appelle des temps différents. La réponse législative prend généralement des années, alors que l’usage détourné peut apparaître avec un effet de mode et s’étendre rapidement au sein d’une population.

C’est pourquoi, le praticien de santé doit être toujours dans une veille scientifique et réglementaire con-cernant toute nouvelle information sur les propriétés des médicaments et aussi sur la capacité de certains à les détourner vers l’usage illicite. Car il faut dire que le pharmacien à la base n’est pas pour le système répressif, mais par la force des choses, il a été placé en première ligne dans la gestion de ce problème.

Il n’est pas préparé, du fait de sa formation et même dans sa vocation pharmaceutique, à être agent de l’ordre public. Son métier est de dispenser des médicaments, et à cause de cet usage, cette profession est devenue un défi avec des conséquences négatives, l’extrême bien sûr est parfois de ne plus délivrer ou ne pas avoir carrément à son niveau des psychotropes. Et je trouve que c’est très dommageable, sur le plan de la santé publique, parce qu’on prive le malade de l’accès à cette molécule nécessaire dans la prise en charge de sa thérapie.

  • Faut-il un texte juridique pour protéger le pharmacien, mais aussi la santé du citoyen ?

On est conscient de la limite législative, mais au moins, on aimerait qu’il y ait un dialogue permanent entre les différents acteurs qui traitent cette question, notamment les autorités judiciaires, sécuritaires et celles de santé. Le but est d’apporter une réponse qui permette de limiter l’usage illicite de ces substances, tout en sauvegardant l’intérêt des malades qui ont vraiment besoin de ces types de médicaments. 

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