-Quel état des lieux dressez-vous de la situation des étudiants aux besoins spécifiques dans le milieu universitaire en général ?
Les étudiants, à besoins particuliers, se recrutent en fait parmi un large éventail allant des cinq catégories classiques reconnues comme relevant du handicap (handicap visuel, auditif, mental, physique et polyhandicapés) aux personnes en situation économique défavorable, les sportifs de haut niveau, les femmes enceintes, les incarcérés, les hospitalisés ou suivant des traitements lourds, les étrangères,…
Il faut ajouter à ces statistiques des biais qui relèvent de la méconnaissance des publics à besoins particuliers des dispositifs d’accompagnement mis en place par la CASAM. L’identification peut être tardive et survenir à la deuxième année ou plus, ou alors, l’étudiant s’identifie que lorsqu’il se retrouve devant un problème critique,… Il est à signaler une donnée très importante : les étudiants à besoins particuliers arrivent de plus en plus en effectifs importants à l’enseignement supérieur, cela tient à l’évolution relative des dispositifs législatifs et juridiques, grâce au travail fourni en amont par les parents, les associations et l’éducation nationale. Avec un travail appréciable, ils font parvenir vers l’université des cohortes plus grandes d’année en année.
-Les choix architecturaux de nos résidences et campus universitaires les plus récents, tiennent-ils compte de l’introduction d’aménagements nécessaires au profit de cette frange de la société ?
Théoriquement, le décret exécutif n° 06-455 du 11 décembre 200, fixant les modalités d’accessibilité des personnes handicapées à l’environnement physique, social, économique et culturel pose les jalons de la nécessité de mettre les équipements et l’environnement public aux normes universelles. Ici, vous constatez qu’il ne s’agit pas seulement de passage aux personnes à mobilité réduite, mais de signalisation horizontale pour malvoyant et non-voyant, d’écriture braille sur les dispositifs interactifs publics, la mise à disposition d’interlocuteur maîtrisant le langage des signes, …
Mais à nos jours, on continue d’autoriser la construction de bâtiments et la réalisation d’ouvrages et d’équipement publics inaccessibles. Nous vivons une sorte de résistance, ou alors, la société n’est pas encore convaincue de cette dimension. Il faut aussi souligner que certaines constructions mettent en place des installations, soi-disant accessibles, mais qui ne respectent pas vraiment les normes techniques, d’une part. D’autre part, nous assistons à des rattrapages de mise en conformité d’ouvrages non conformes par des améliorations et des ajouts improvisés pour les rendre accessibles comme on le fait dans notre établissement. En résumé, rares sont les établissements qui sont conçus selon les normes d’accessibilité universelle.
-Selon vous, comment peut-on construire un environnement pédagogique réellement inclusif et améliorer le cadre de vie des étudiants présentant différentes déficiences ?
Offrir un environnement accessible à tous ou universel est un processus de changement des mentalités, c’est aussi le respect des prescriptions législatives et juridiques à notre disposition, comme souligné précédemment. C’est, d’un autre côté, chercher à améliorer les moyens de l’accessibilité physique, sensorielle et pédagogique. Quand je parle de pédagogie, c’est toute la didactique scientifique qu’il faudra revoir pour s’adresser à l’élève universel ou l’étudiant universel. Il s’agira aussi de produire davantage de contenus accessibles comme les contenus braille, contenus sous titrés, ou accompagnés de traduction par le langage des signes. Il existe des technologies d’assistance (équipements, appareils et les approches) qui permettent à ces personnes d’exécuter des tâches ou améliorer et/ou maintenir leurs capacités fonctionnelles et améliorer leur qualité de vie. C’est un travail sur l’ergonomie au travail ou dans la vie au quotidien.
-Quelles sont les actions urgentes qu’il faudra mettre en place en collaboration, notamment, avec les administrations rectorales ou tout simplement avec les pouvoirs publics ?
Si je dois parler de notre université, nous nous situons sur un travail soutenu et continu, car la CASAM est là depuis presque 10 années. Nous avons réussi collectivement à transformer notre université sur le plan de l’état d’esprit. Grâce à tous les acteurs : les responsables, les enseignants, les administratifs, les personnels de soutien et surtout les pairs, j’entends ici, les étudiants qui font un travail remarquable. Deuxièmement, c’est la mise en place de la CASAM avec les dispositifs d’accompagnement et la cellule de soutien psychologique.
La CASAM travaille avec les unités médicales qui définissent la nature des accommodements. Le travail sur les équipements et l’organisation des études qui tient compte de chaque cas, la mutualisation des dispositifs de soutiens comme avec le centre intensif des langues (CEIL) qui propose des renforcements gratuits aux étudiants à besoins particuliers, le Bureau de liaison entreprise université (BLEU et la maison de l’entrepreneuriat) qui consacre des séances d’informations et recherche des débouchées pour ces étudiants, le bureau des étudiants étrangers au relations extérieurs…
La CASAM entreprend des travaux de recherches sur la question de l’accessibilité universelle et de l’enseignement inclusif autour d’un panel de chercheurs de toutes les facultés de l’université de Béjaia et des partenaires aussi bien nationaux qu’internationaux, elle travaille aussi avec la société civile et les institutions de l’Etat comme la DAS, la CNAS, la CASNON, la DE…
-Toutes ces actions sont-elles suffisantes ?
Evidemment non, ces actions sont louables mais restent en-deçà de ce qui pourrait se faire, comme évoqué précédemment. Si je reviens à votre question, je pense que nous sommes limités par l’inexistence de cadre formel qui puisse soutenir les actions de transformation. Quand je dis cela, je pense au travail sur la didactique, la production de contenus adaptés et la transformation architecturale. Je suis de ceux qui reconnaissent que la fonction crée l’organe, c’est-à-dire, plus nous aurons des changements palpables quand les demandes se font de plus en plus présentes, sauf qu’en 2000, le monde ne fonctionne plus ainsi, il faut aller vite et corriger notre façon de travailler en commençant par la création d’espaces de médiation et de concertation intelligents pour un lendemain désirable pour tous.
Propos recueillis par Nordine Douici