Dr Elias Akhamouk. Chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Tamanrasset : «Les maladies tropicales sont plus menaçantes que la tuberculose»

09/05/2023 mis à jour: 13:01
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Dr Elias Akhamouk - Photo : D. R.

Chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Tamanrasset et spécialiste des maladies tropicales, le Dr Elias Akhamouk affirme que la tuberculose «est, certes, contagieuse, mais elle se traite facilement».

  • Diffusé sur les réseaux sociaux, un courrier du wali d’Alger adressé à la direction de la santé publique (DSP) alerte sur la présence de cas de tuberculose au sein d'un groupe de migrants subsahariens. En tant que spécialiste des maladies infectieuses, quel commentaire avez-vous à faire ?

Il faut d’abord préciser qu’en Algérie, la tuberculose a toujours existé. Elle a connu une régression, puis est revenue durant ces dernières années pour des raisons liées beaucoup plus à la baisse de la prévention. Nous ne pouvons pas dire qu’elle a été importée puisqu’elle existe déjà et depuis longtemps. Je peux vous dire, par contre, que le paludisme, qui est une maladie importée, est en train de progresser de manière inquiétante. Les chiffres sont parlants. Nous sommes passés d’une moyenne annuelle de 150 à 200 personnes contaminées à celle d’un millier de cas, dont 80% ont été enregistrés dans la seule wilaya de Tamanrasset. Mieux encore, sur les 933 cas traités, 868 ont été pris en charge à l’hôpital de Tamanrasset.

Le taux de mortalité est de 3 décès pour un millier de malades. Le paludisme est une maladie transmissible, face à laquelle il faudra être très vigilant.  Il y a d’autres maladies tropicales qui constituent une menace plus dangereuse que celle de la tuberculose et elles sont à nos portes. Je parle particulièrement des maladies tropicales, notamment le virus Marburg, responsable d’une maladie très grave, souvent mortelle, qui provoque une fièvre hémorragique virale sévère, dont le taux de létalité moyen avoisine les 50 à 80%.

Contrairement à la tuberculose, cette maladie est peu connue, et vu les moyens de transport, peut arriver rapidement à nos frontières, comme cela a été le cas avec la pandémie de Covid-19. C’est une maladie à surveiller de très près, et face à laquelle on doit être prêt à réagir. La menace provient aussi des maladies ré-émergeantes, auxquelles il faut accorder un intérêt particulier.

  • Comme la poliomyélite par exemple ?

Exactement. Ce sont des maladies censées être totalement éradiquées mais qui reviennent. La polio revient en force en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Il en est de même pour le choléra et, depuis peu, la rougeole, la diphtérie, presque disparues mais qui reviennent en force depuis peu. Le risque que ces épidémies atteignent nos frontières est très important. Il faut se préparer à être réactifs dès les premiers cas.

  • Justement, sommes-nous préparés pour faire face à de telles épidémies ?

Nous avons déjà commencé à travailler dans ce sens, avec l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS), que dirige le Pr Senhadji, et ce, une quinzaine de jours après l’explosion des cas de contamination par le virus de Marburg, aussi mortel que son cousin l’Ebola, en Guinée équatoriale et en Tanzanie. Avec un taux de mortalité de 40 à 80%, ce virus est plus dangereux que l’Ebola, dans la mesure où il n’est pas connu et, donc, il n’existe ni vaccin ni traitement spécifique après contamination. Les distances entre les pays sont devenues insignifiantes vu les moyens de transport. Sachez que des cas d’Ebola ont déjà atteint Bamako, la capitale malienne. Les avis des experts ayant pris part aux réunions avec l’ANSS ont été transmis au ministère de la Santé. Une cellule de veille a été installée et est prête à intervenir.

  • Avons-nous les moyens d’intervenir sachant que pour le virus de Marburg, il n’y a ni vaccin ni traitement, comme vous le dites ?

Pour l’instant, nous intervenons surtout en matière de prévention. A Tamanrasset, nous avons assuré une formation aux médecins généralistes pour diagnostiquer ces maladies. Nous avons même pris attache avec un laboratoire algérien, pour produire des tests diagnostiques afin de faciliter la détection de cette maladie.

  • En attendant, il y a le paludisme ou la malaria dont le nombre de contaminations est en hausse. Ne constituent-ils pas une priorité ?

Le paludisme existe en Algérie depuis très longtemps. Durant la période coloniale, on enregistrait 100 000 cas par an. Après l’indépendance, ce chiffre a sensiblement baissé et, pendant des années, le nombre était presque insignifiant. Mais en 2020, nous avons enregistré 2200 cas, ce qui est record, et nous pensons que cela est dû au relâchement de la prévention. Tous ces cas sont importés et le taux de mortalité reste infime. Le paludisme est facilement diagnostiqué et traité. Il en est de même pour la tuberculose, qui revient certes, mais qui a toujours existé. Elle est facilement traitée. Cela n’est pas le cas pour les maladies tropicales. Elles sont très dangereuses, se propagent rapidement. Certaines sont compliquées parce qu’il n’y a pas de traitement ni de vaccin pour lutter contre elles.

  • Selon vous, pourquoi une alerte de la wilaya d’Alger sur des cas de tuberculose parmi les migrants subsahariens ?

Pour moi, c’est un courrier interne qui n’aurait pas dû être diffusé ou sorti de son contexte. Je pense que l’alerte a été trop exagérée ou surestimée. A supposer qu’il y ait un foyer de contamination, il faut d’abord être certain qu’il s’agit d’un foyer et comptabiliser le nombre de malades et les traiter, afin de limiter les contaminations. Cela doit se faire dans le respect de la dignité humaine. La tuberculose est certes contagieuse, mais elle se traite facilement. Il faut être précis, prudent et faire très attention à ce genre d’alerte. Elles risquent de stigmatiser ces communautés et susciter des réactions racistes contraires à la loi et à nos traditions.

  • Que faut-il faire dans le cas d’un foyer de contaminations ?

La première des choses à faire est la prise en charge du malade. L’Algérie a toujours géré le flux migratoire sous l’angle humanitaire. Les migrants bénéficient des soins gratuits dans les structures hospitalières. Il faut aussi beaucoup de communication avec les communautés de migrants afin de les rassurer et les amener à se faire soigner. Souvent, il faut juste parler avec un malade pour qu’il accepte les soins. A Tamanrasset, il y a ce qu’on appelle un éducateur pair, une personne, choisie parmi la communauté de migrants, qui sert de relais entre celle-ci et les structures de l’Etat. Il les informe, les responsabilise, les oriente sur tout ce qui les concerne, en matière de prise en charge sanitaire et humanitaire.

La nouvelle chaîne de radio Ifrikya FM peut jouer un grand rôle et aider les communautés de migrants. Celles-ci ne sont pas uniquement à Tamanrasset, mais partout dans les grandes villes du pays. Les éducateurs pairs peuvent contribuer, comme ils le font à Tamanrasset, à résoudre beaucoup de problèmes, y compris ceux liés à la santé. Sachez que 40% des patients traités à l’hôpital de Tamanrasset sont des migrants de 13 nationalités. Au centre de référence pour la lutte contre le VIH/sida, 37% des malades qui bénéficient du traitement sont des migrants de 17 nationalités.

De nombreux malades africains viennent se soigner à Tamanrasset, profitant de la gratuité des soins. Ils viennent aussi pour la vaccination, les accouchements, le placement de prothèse, les radios, etc., et certains cas sont même évacués sur Alger, aux frais de l’Etat. 

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