Les positions du président sortant Emmanuel Macron sur la question religieuse et surtout sur la place de l’islam en France sont scrutées attentivement par les musulmans qui ont voté à 69% pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle.
L’islamologue et écrivain Rachid Benzine écrit à ce sujet dans une tribune publiée par Libération : «Les analystes expliquent son succès par le ‘‘vote utile’’ et ses talents de tribunicien. C’est passer à côté de l’essentiel la mobilisation de la société civile, des jeunes, des quartiers, dont le leader de La France insoumise a su capter l’énergie. Son score notamment dans ce qu’on appelle ‘‘les quartiers’’, atteignant jusqu’aux 60 % à Trappes ou à Clichy-sous-Bois, est un cri d’adhésion de ceux que l’on a accusés pendant des années de ‘‘séparatisme’’.
Une façon pour eux de dire : ‘‘Nous sommes là, nous votons dans cette République, nous avons des choses à dire et nous voulons être entendus.’’ C’est un vote de la dignité et de la reconnaissance, qui doit être sérieusement pris en compte. On ne peut plus rester sourds à ces voix qui se lèvent. Et qui pèsent.»
Ce que note aussi le quotidien Les Echos : «Dans le duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen pour le second tour, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon représentent un trésor de guerre qu’il faut à tout prix conquérir pour prendre l’avantage. A ce jeu, c’est le président sortant qui semble pour l’instant s’en tirer le mieux.» Effectivement Emmanuel Macron en fait une arme de campagne lorgnant sur ces centaines de milliers de votes musulmans effrayés par Le Pen.
Après une discussion voulue sympathique avec une femme voilée à laquelle il a concédé que porter le voile islamique est sa liberté, Macron a réitéré sur plusieurs antennes, dont France Info : «Avec moi, il n’y aura pas de changement», pour l’expression vestimentaire des musulmanes, après un mandat porté sur la dénonciation des signes extérieurs de religiosité. Sur le plateau de la radio publique d’information, une jeune femme, visiblement politisée dans une association islamiste, a poussé le candidat dans ses retranchements. Macron a rappelé son point de vue.
Lui qui a fait voter la loi «séparatisme» pour contrôler les excès extrémistes, il explique que «la laïcité, c’est le droit de croire ou de ne pas croire ; mais c’est aussi le devoir pour les croyants de toutes les religions de respecter les lois de la République».
Ainsi, si la législation exclut le voile de l’école et du service public, il n’est pas question pour le président-candidat d’aller plus loin : «Je veux que nos compatriotes dont la religion est l’islam puissent vivre le plus paisiblement possible. Il y a des gens qui, déformant cette religion, veulent sortir de la République : ce n’est pas le cas des femmes qui portent le voile. Avec moi, il n’y aura pas de changement de politique.»
Et il a ajouté : «Il n’y a aucun pays au monde qui interdit le voile sur la voie publique, vous voulez être le premier ?» Critiquant sa rivale, il estime que «si la candidate d’extrême droite Marine Le Pen interdit le voile, de par notre Constitution, elle va devoir interdire la kippa, elle va devoir interdire la croix, elle va devoir interdire les autres signes religieux».
LE PEN VEUT «RéGLER LE ‘‘PROBLÈME’’ DE L’IMMIGRATION»
Emmanuel Macron attaque ainsi de front le programme de la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui espère pouvoir interdire le voile islamique partout, y compris à l’université et dans la rue. Elle justifie cela en se présentant comme le soutien aux musulmanes de confession qui «ne portent pas le voile (et) sont insultées et victimes de pression».
Dans sa campagne en meeting, à la radio ou à la télévision, elle affirme que cette interdiction est «essentielle». «Je vais régler le problème de l’immigration», répète-t-elle, estimant venir ainsi à bout du «communautarisme». Contre toute possibilité réelle applicable, elle avance que les demandes d’asile seront traitées à l’extérieur du pays de départ : «Et ne pourront rejoindre la France que ceux qui y ont été autorisés.» Elle pense aussi pouvoir obliger les pays d’origine à réintégrer leurs ressortissants illégaux en France en leur octroyant des laissez-passer.
Avec une menace : «Sinon, il n’y aura plus rien, plus de visa, d’aide au développement, de transfert d’argent.» Sa haine des musulmans et de l’islam (camouflée par la critique de l’islamisme qu’elle met en avant) n’est qu’une partie de sa détestation de tout ce qui est étranger. Plusieurs mesures sont dans sa panoplie, dont un référendum sur l’immigration et une remise en cause de la relation franco-algérienne.
Mais on sait que toute élection est une panoplie d’intentions pour aguicher l’électeur comme le commerçant aguiche le chaland.
Paris
De notre bureau Walid Mebarek
Les consignes des instances religieuses
A Lyon, le Conseil des mosquées du Rhône appelle à se rendre aux urnes, sans consigne de vote mais exposant clairement la situation qui pousse à voter blanc ou Macron : «Aujourd’hui la France est partagée entre deux conceptions de la liberté. L’une veut interdire aux musulmans de pratiquer librement leur religion en leur interdisant de se vêtir ou bien de manger selon les préceptes de leur religion.
L’autre affirme aujourd’hui vouloir maintenir les principes fondamentaux qui permettent à tout un chacun de vivre et de pratiquer sa foi. Ces deux conceptions de la laïcité s’opposent et doivent interpeller les musulmans qui seront encore une fois sollicités car leur suffrage pourrait être déterminant pour la France et les Français.
Le choix est clair, nous ne pouvons ni ne devons être tentés par l’abstention car elle offrirait à ceux qui font des musulmans et de l’islam leur cheval de bataille en leur promettant s’ils venaient à être élus ‘‘les flammes de l’enfer’’. Nous devons par nos voix leur résister !»
Pour parer à ce que représente comme danger la potentielle victoire de Le Pen, la Grande Mosquée de Paris appelle à voter pour Emmanuel Macron, comme en 2017. Le recteur Chemsedinne Hafiz indique dans un tweet : «Nous n’avons pas le droit d’hypothéquer l’avenir de nos enfants en restant des témoins passifs d’une catastrophe politique imminente. Votons Emmanuel Macron.» La Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris qu’il préside ajoute que «tous les Français doivent impérativement rester unis et rassemblés face à la réalité de la menace incarnée par des idées xénophobes dangereuses pour notre cohésion nationale».
Le Rassemblement des musulmans de France (RMF) et Musulmans de France (MF) s’opposent également au potentiel risque de voir l’extrême droite accéder à la tête de la présidence française. Selon RMF, «plus que jamais, les valeurs de liberté, et notamment de liberté de conscience et de liberté religieuse, d’égalité, entre tous les citoyens quelles que soient leur religion ou leur origine, et de fraternité, entre les différentes composantes de la nation, doivent guider notre choix dans les urnes». MF demande aux «concitoyens, de toute confession et de toute conviction, à se mobiliser le 24 avril pour le deuxième tour de ces élections pour faire triompher les valeurs républicaines et préserver les conditions du vivre-ensemble dans notre pays».
Pour Anouar Kbibech (RMF), «tout en étant conscients de l’obligation de neutralité politique qu’exige notre mission, nous devons agir d’abord en tant que citoyens responsables. Aussi, nous considérons que seul le vote pour Emmanuel Macron permet à notre pays de préserver les principes républicains et de consolider les valeurs d’ouverture, de tolérance et de solidarité qui l’ont toujours animé».
Quant à Mohsen Ngazou (MF) : «L’idéologie et le programme du Rassemblement national sont aux antipodes des valeurs de la République, de l’Etat de droit, de la démocratie, du vivre-ensemble et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il y a un danger imminent à voir ce parti politique à la tête de l’Exécutif de notre pays.»
Les musulmans rejoignent ainsi les responsables des institutions juives qui refusent de voir Marine Le Pen remporter l’élection.
Par contre, chez les catholiques qui votent traditionnellement plutôt à droite en majorité, l’appel de la Conférence des évêques est plus mitigé. Ils demandent aux fidèles le discernement, ce qui d’une manière déguisée est une incitation à ne pas voter pour l’extrême droite. Certains évêques, à titre personnel, ont cependant appelé clairement à voter Macron.
En tout état de cause, la situation socio-politique est grave et le scrutin du dimanche 24 avril ne la résoudra pas. Ainsi, les dirigeants de la France insoumise (Union populaire) dont le candidat Mélenchon est arrivé en troisième position (22%) ont écrit au Parti communiste, au parti Les Verts et à l’extrême gauche du Nouveau parti anticapitaliste : «Dimanche dernier, trois blocs politiques clairement délimités ont émergé des urnes. L’un autour des libéraux, l’autre avec l’extrême droite, le troisième avec l’Union populaire.
Mais seuls deux d’entre eux sont présents au second tour. Le choix n’est pas libre puisqu’il oppose deux dangers, même s’ils sont de nature différente. Ainsi, Marine Le Pen ajoute au projet de maltraitance sociale qu’elle partage avec Emmanuel Macron un ferment dangereux d’exclusion ethnique et religieuse.
En toute hypothèse, compte tenu des positions prises par les deux protagonistes, le second tour bloque surtout les ruptures indispensables, vitales, pour répondre à la crise écologique, sociale et démocratique.»
Et de fixer quelques règles auxquelles il serait nécessaire de réfléchir en vue du «troisième tour» que constituent les élections législatives des 12 et 19 juin.
Le référendum contre le parlement
Le Pen souhaite une révision de la Constitution pour introduire la «priorité nationale» (logement, emploi, aides sociales).
Le journal Le Monde explique en effet : «Le projet de loi référendaire sur la priorité nationale, déjà ficelé et rendu public, est en effet résolument contraire à la Constitution : il heurte de front la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 (qui font partie du bloc de constitutionnalité) et est contraire à au moins six articles majeurs de notre Loi fondamentale. Marine Le Pen ne dit pas le contraire et entend donc changer la Constitution.»
Libération va plus loin : «Le programme de Marine Le Pen est on ne peut plus clair puisque y figure comme pierre angulaire de son projet politique la fameuse ‘‘priorité nationale’’, ce concept qui instaurerait un régime inégalitaire et discriminant entre les citoyens au profit des seuls Français.» La mise en application de cette mesure phare de l’idéologie nationaliste représenterait une rupture radicale avec les principes républicains fondamentaux et ceux de la Ve République portés par les gaullistes. La «priorité nationale», contraire à l’Etat de droit et à la Constitution, il n’y a que l’extrême droite pour s’en revendiquer.