Deux ailes de l’armée se disputent le pouvoir : Le Soudan s’enfonce dans la crise

17/04/2023 mis à jour: 04:24
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Le duel entre le général Mohamed Hamdane Daglo, chef des FSR, et le général Abdel Fattah Al Burhane, numéro un de l’armée soudanaise, jettent le Soudan encore une fois dans la violence

Le Soudan, pour le deuxième jour consécutif, était hier en proie à l’un des épisodes de violences les plus dangereux de son histoire. Les forces de l’armée régulière, commandées par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les troupes des Forces de soutien rapide (FSR) menées par le général Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedeti, ne se faisaient pas de quartier dans plusieurs villes du pays où les hostilités se sont déclarées à l’arme lourde. 

Le dernier bilan des combats fait état de près d’une soixantaine de victimes parmi les populations civiles, et plusieurs centaines de blessées, selon des chiffres des autorités hospitalières. Trois humanitaires travaillant sur place pour le compte du Programme alimentaire mondiale (PAM) ont perdu la vie dans les échanges de tirs. Les pertes militaires dans les deux camps s’élevaient hier en fin de journée à 27 morts. Pour l’heure, les civils, qui voient surgir le conflit en plein mois de Ramadhan et dans un contexte économique des plus difficiles, payent le pris le plus fort.

L’aviation a continué à être engagée par l’armée soudanaise pour effectuer des raids sur plusieurs bases appartenant à la puissante milice paramilitaire des FSR. Des images diffusées sur les réseaux sociaux par les soldats de l’armée régulière et reprises par les chaînes d’infos internationales montrent des miliciens fuyant des terrains de combat. De leurs côtés, les combattants des FSR diffusent également des images de présumées prises de bases militaires occupées par l’ennemi, notamment au nord du pays. 

Parmi les séquences diffusées, celle montrant un officier des FSR s’adressant à un groupe de prisonniers, présentés comme participant au combat pour le compte de l’armée, parmi lesquels des éléments de l’armée égyptienne. Les soldats égyptiens étaient sur le territoire soudanais dans le cadre de manoeuvres conjointes avec l’armée régulière, comme confirmé par les autorités du Caire. Dans ce contexte, les troupes paramilitaires du général Hemedeti, profitent de l’occasion pour insinuer un appui «étranger» pour le compte du général Abdel Fattah al-Burhane, notamment dans la conduite des raids contre ses bases. 

Guerre de communiqués et confusion

Une dizaine d’unités de stationnement de troupes et d’armement ont été ainsi reprises aux «rebelles» sur l’ensemble du territoire, selon l’armée officielle, dont la plus importante est située à Omdourman. Les FSR, quant à eux, affirment avoir pris le contrôle d’un aéroport militaire, et fait une incursion pour prendre le contrôle du palais présidentiel. Ils ciblaient hier le siège du commandement militaire à Khartoum, selon toujours ce que communiquaient leurs officiers à travers des séquences sur Twitter notamment. Ces informations sont systématiquement démenties par les autorités en place. 

Une guerre d’images et de communiqués est ainsi menée via les réseaux sociaux notamment, la radio et la télévision publiques restant entre les mains de l’armée régulière, détentrice du pouvoir politique dans le pays depuis près de deux années. Tout cela ajoute à la confusion qui règne dans le pays et rend incertain tout pronostic quant à l’issue du conflit. Le général Abdel Fattah al-Burhane a assuré, à l’adresse du peuple soudanais, que l’armée ne s’arrêtera pas avant d’avoir mis fin à la «rébellion» et d’avoir dissous complètement les FSR. Le général Hemedeti et ses soldats, appelant jusqu’ici au renversement du général Al-Burhane, responsable pour eux de tous les malheurs du Soudan ces dernières années, jouent en l’occurrence leur survie, au-delà la tentative de forcer la main à l’homme fort de Khartoum.

Khartoum et d’autres villes du pays étaient hier secouées de violentes explosions et détonations. Dans la capitale, des hélicoptères de combat ont été engagés en soutien au déploiement au sol des troupes régulières. Une véritable guérilla urbaine, concentrée notamment sur le cœur institutionnel de la ville, continuait à opposer les deux camps ennemis alors que les informations vérifiées sur les pertes subies et l’état réel de la situation opérationnelle sur le terrain restaient rares dans la profusion des communiqués de propagande émis de part et d’autre. 

En dehors des bruits et des faits de combat, la vie s’est complètement figée à Khartoum. Les habitants terrorisés ne s’aventurent plus hors de chez eux depuis le début du conflit, samedi dernier. La poursuite probable des combats durant les prochains jours fait peser sur la population le risque de pénuries alimentaires et de ruptures d’approvisionnement.

 Les forces du général Hemedeti se sont engagées hier à ouvrir et assurer la protection de voies d’urgence aux fins de permettre à la population de faire des provisions ou d’évacuer des blessés, tel qu’annoncé par les FSR sur leur compte officiel Twitter. L’armée du général Al Burhane en a fait de même de son côté. La mesure répond en partie à l’appel des médecins hospitaliers, se plaignant, depuis le début des combats, d’affronter seuls la situation des victimes. Ils ont exhorté les belligérants à prévoir des voies d’évacuations d’urgence pour le transfert sur les structures de santé. 

La communauté internationale appelle à cesser le feu

Les appels à privilégier les voix du dialogue et à cessez le feu, émanant des institutions internationales et des plus influentes capitales du monde n’ont pas arrêté de pleuvoir sur le soudan depuis 48 heures, sans résultat. Le Secrétaire général de l’ONU, par la voix de son porte-parole, Stéphane Dujarric a appelé, dès samedi, les chefs des deux parties «à cesser immédiatement les hostilités, à rétablir le calme et à engager un dialogue pour résoudre la crise actuelle».

 L’ONU s’inquiète notamment d’une aggravation de la situation humanitaire, déjà difficile en période de paix dans le pays. Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), 

Moussa Faki Mahamat, a appelé, pour sa part, à «arrêter la destruction du pays». Il en appelle par ailleurs à une action concertée de la communauté internationale. «Le président de la Commission de l’UA  exhorte toutes les composantes de la communauté internationale à conjuguer, dans l’unité et l’urgence, leurs efforts pour amener les parties à cesser immédiatement les actions militaires et à revenir à la table des négociations». 

Ahmed Abou Al-Gheit, secrétaire général de Ligue arabe, condamne, pour sa part, le recours des frères aux armes pour résoudre les différends, de surcroît en plein mois sacré de Ramadhan. «La Ligue arabe est prête à intervenir afin d’aider à mettre fin à l’effusion du sang et à réconcilier les frères», propose-t-il. Les présidents égyptien, Abdel Fattah al-Sissi et sud-soudanais, Salva Kiir Mayardit, ont, dans une réaction conjointe, appelé à l’arrêt immédiat des combats et on exprimé leur volonté de jouer un rôle de médiateur. L’Egypte exerce une influence historique sur le Soudan et son rôle et particulièrement scruté dans le contexte. 

La «Révolution» oubliée

Depuis le putsch d’octobre 2021, le Soudan a doucement et sûrement renoué avec l’impasse politique, après tous les beaux espoirs suscités par la «Révolution». Des partis, des syndicats et des personnalités civiles, réunis dans la coalition des Forces pour la liberté et le changement (FLC), étaient parvenus, en 2019, au bout de plusieurs mois de mobilisation assidue et de manifestations, à pousser l’armée à démettre Omar el-Béchir, après 30 ans de règne absolu. 

Le général Abdel Fattah al-Burhan, méconnu jusque-là, était le principal artisan et exécutant du renversement d’el Béchir. Il avait comme appui un certain général Hemedeti. Depuis, les choses ont changé. Il est engagé depuis quelques jours, lui et ses FSR, dans une lutte à mort contre son ancien allié. 

Abdel Fattah al-Burhan s’était engagé à remettre le pouvoir entre les mains des civils au bout d’une période de transition. Engagement qu’il a parfaitement renié en octobre 2021, en décidant de fermer la parenthèse démocratique et de dissoudre les autorités civiles intérimaires. 

Les FSR sont une veritable armée dans l’armée (près de 100 000 hommes), créée officiellement en 2013 pour rassembler les milices engagées pour combattre les rebelles au Darfour. Leur intégration sous commandement unifié des troupes régulières à Khartoum paraît être à l’origine du nouvel accès de violences meurtrières au Soudan. 

Le général Hemedeti conditionne cette fusion par son admission personnelle au niveau de l’état-major général, ce qu’Al-Burhane ne pense pas être une bonne idée. C’est du moins ce qu’avancent plusieurs sources, en sus des enjeux liés à l’avenir du pouvoir à la tête de l’Etat. 

L’affiliation récente des deux parties à des «puissances» étrangères différentes, engagées en ce moment dans des luttes d’influence dans ce coin sensible de l’Afrique, est également avancée par des analystes locaux comme piste à explorer pour comprendre ce nouveau duel de généraux au Soudan.  

L’Algérie appelle à «privilégier l’intérêt suprême de la patrie»

L’Algérie appelle « toutes les parties soudanaises à cesser les combats et à faire prévaloir le dialogue afin de surmonter les différends aussi complexes soient-ils et d’œuvrer à privilégier l’intérêt suprême de la patrie «, indique un communiqué de la présidence de la République. «L’Algérie, en sa qualité d’actuel président du Conseil de la Ligue des Etats arabes au niveau du Sommet, suit avec une grande inquiétude les développements de la situation dans la République du Soudan, pays frère, suite aux affrontements graves avec des armes lourdes survenus dans la capitale, Khartoum, entre les forces de l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR), et aux pertes humaines et matérielles qui en résultent», a note encore le document. Considérant «les relations de fraternité et les liens historiques qui unissent les deux pays et peuples frères», l’Algérie appelle toutes les parties soudanaises à «cesser les combats et à faire prévaloir le dialogue pour surmonter les différends aussi complexes soient-ils». L’Algérie appelle également tous les frères à «privilégier l’intérêt suprême de la patrie, au moment où la République du Soudan a plus que jamais besoin de la conjugaison des efforts de ses enfants pour mettre fin à la crise actuelle et réaliser les aspirations légitimes du peuple soudanais frère au recouvrement de sa sécurité, sa stabilité, et à l’édification d’un Etat démocratique et moderne», conclut le communiqué. 

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