Cette crise est tombée au pire moment, c’est-à-dire dans une conjoncture d’indisponibilité de la matière première et d’une explosion de ses prix sur le marché international.
La tension persiste sur le lait UHT et ses produits dérivés devenus rares sur les étals des commerces d’alimentation générale. La filière du lait n’a toujours pas retrouvé sa stabilité car plusieurs usines tournent au ralenti ou sont carrément fermées. La levée du gel des dérogations sanitaires pour l’importation de la poudre de lait, qui est devenue effective le 22 décembre 2021, n’a pas permis à ces usines de relancer la production.
Et pour cause, comme l’explique Fawzi Berkati, le PDG de Tchin-Lait qui fabrique du lait UHT sous le label Candia, que nous avons joint par téléphone, faute de dérogations pour importer la poudre de lait, les usines ont été contraintes d’arrêter leurs chaînes de production et de mettre leurs employés au chômage technique. «Nous avons déposé nos demandes de dérogations sanitaires d’importation de poudre de lait en juillet 2021. Il faut savoir que pour toute importation de produit animalier, nous devons avoir une dérogation sanitaire.
Nous n’avons commencé à recevoir certaines autorisations pour les demandes déposées qu’à la dernière semaine du mois de décembre. Nous avons donc lancé notre programme d’achat à l’international mais comme pour la dernière semaine de décembre, les dérogations ne concernaient que la Nouvelle-Zélande, l’Uruguay et l’Amérique du Sud, il est clair que les marchandises commandées mettront beaucoup de temps avant d’arriver, près de 4 mois si tout va bien», a expliqué le PDG de Tchin-lait.
Rareté et hausse des prix des produits
Cette crise est tombée au pire moment, c’est-à-dire dans une conjoncture d’indisponibilité de la matière première et d’une explosion de ses prix sur le marché international. «Il faut souligner qu’il y a d’abord un problème de disponibilité du produit. Ensuite, il faut savoir que les prix ont flambé et nous sommes donc obligés de consulter plusieurs fournisseurs pour avoir le meilleur rapport qualité-prix.
Il faudra ensuite trouver les conteneurs pour embarquer les marchandises. En quatrième lieu, il faudra trouver un booking, c’est-à-dire une réservation de bateau pour pouvoir embarquer cette marchandise. Arrivée dans les ports algériens, cette marchandise doit être analysée et dédouanée avant qu’elle ne prenne le chemin des usines. Tout ce cycle nécessite 4 à 5 mois», explique encore Fawzi Berkati.
Notre opérateur économique souligne également que depuis la suspension de la délivrance des dérogations sanitaires, la validité de ces documents a été réduite de 6 à 3 mois.
«Quand on veut importer de pays lointains, ces délais ne suffisent pas. On nous oblige donc à effectuer des démarches bureaucratiques en demandant des prorogations au niveau du ministère.
Ces 3 mois sont valables pour l’Europe, pas pour l’Amérique du Sud ni pour la Nouvelle-Zélande», précise encore notre interlocuteur dont les 3 usines sont à l’arrêt depuis un mois et demi. «De juillet jusqu’à fin novembre, nous n’avons fait que consommer nos stocks», dit-il.
Annulation de contrats
Les industriels du lait ont été mis dans l’obligation d’annuler leurs contrats sur le 4e trimestre de l’année 2021 car, toujours selon notre interlocuteur, ils auraient reçu des coups de téléphone d’une dame se présentant comme une vétérinaire au niveau du ministère de l’Agriculture, leur demandant de surseoir à toutes les expéditions de poudre de lait.
La décision de surseoir à ces commandes a donc été une aubaine pour les fournisseurs du marché mondial qui ont vendu cette même marchandise 30% plus cher, car entre-temps les prix ont augmenté. «Les industriels algériens qui ont suivi les directives de cette dame ont donc payé leurs commandes 30% plus cher. Entre-temps, le coût du fret maritime a augmenté.
Cela va donc coûter plus cher», dit encore Fawzi Berkati, qui précise au passage que cette dame qui a appelé les opérateurs économiques du ministère n’a jamais décliné son identité et refusé d’adjoindre un écrit officiel aux directives verbales qu’elle envoyait par téléphone.
«Voilà pourquoi nous en sommes arrivés là. Fort heureusement, nous avons refusé d’écouter cette dame et c’est pour cela que nous avons actuellement des marchandises au port de Béjaïa. Nous envisageons de faire redémarrer l’usine de Sétif dans 2 jours, puis celle d’Alger vers le 20 janvier et celle de Béjaïa vers la fin du mois», conclut M. Berkati (l’entretien a été réalisé lundi 10 janvier).
Un autre important opérateur activant dans la wilaya de Béjaïa confirme l’origine de l’annulation des dérogations sanitaires comme étant la principale cause de la crise. «Les dérogations sanitaires ont été annulées au mois de septembre, ce qui a poussé de nombreux opérateurs à annuler leurs contrats. Durant cette période et jusqu’à janvier 2022, nous avons essayé d’alerter sur cette situation de crise.
Nous avons frappé à toutes les portes mais personne ne nous a entendus», dit cet opérateur qui tient à garder l’anonymat et pointe du doigt cette conjoncture particulière de cette fin d’année 2021 avec l’économie mondiale qui repart après la crise de la Covid et qui entraîne une forte demande sur les matières premières qui se négocient à travers le monde, puis une augmentation générale des prix en un effet domino dévastateur.
«Le prix de la poudre de lait est passé de 2600 à 3600 euros la tonne. La crise du fret entraîne une raréfaction du transport et une augmentation des prix. Le coût du fret maritime a plus que triplé et le conteneur qui nous revenait à 1200 dollars nous revient désormais à plus de 8000 dollars.
De plus, tous les intrants des produits laitiers, jusqu’à l’emballage, augmentent», dit encore notre opérateur, qui souligne que les livraisons de septembre, octobre et novembre ont été annulées durant la période la plus cruciale pour les produits laitiers, car à partir du mois de mars commence la période de lactation qui rend le lait plus disponible.
Pour ses besoins de consommation de lait en sachet, subventionné au même titre que les autres produits de base, il faut savoir que l’Algérie est classée comme le 3e plus grand importateur de poudre de lait au monde.
Et à chacune des commandes de l’Office national interprofessionnel du lait (Onil), les prix partent automatiquement à la hausse à la GDT (Global Dairy Trade), la Bourse mondiale du lait, à Auckland, en Nouvelle-Zélande. «Pour la poudre de lait, l’achat groupé, c’est-à-dire quand il y a de grosses commandes, les prix montent automatiquement», dira notre opérateur.
«Nous avons perdu six mois et nous avons épuisé nos stocks. Et il faut renouveler ces stocks, il faut du temps et une trésorerie conséquente à cause des prix. Il est difficile de continuer à travailler de cette façon», soulignent les opérateurs. Pour sa part, la Laiterie Soummam, dont nous avons sollicité le point de vue, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.