Le prolifique pianiste américain Ahmad Jamal, connu pour sa reprise du titre Poinciana et son art du trio, est décédé dimanche à l’âge de 92 ans.
La veuve de l’artiste, Laura Hess-Hey, a confirmé son décès, a rapporté le Washington Post. Selon des déclarations de sa fille au New York Times, il souffrait d’un cancer de la prostate. Immense figure du jazz, il a traversé la scène artistique musicale pendant sept décennies et sorti au moins 80 albums.
Ahmad Jamal a aussi influencé le travail de musiciens tels que le trompettiste Miles Davis et le pianiste McCoy Tyner. Né Frederick Russell Jones à Pittsburgh, en Pennsylvanie, il grandit dans une famille afro-américaine très modeste. Enfant, sa mère lui offre un piano sur lequel il fera ses débuts : la légende est née.
L’album Ahmad Jamal at the Pershing : But Not for Me, sorti en 1958, marque le début de son succès. Il reste plus de 100 semaines au palmarès du Billboard, le classement américain des titres les plus populaires. Selon le New York Times, c’est devenu l’un des disques instrumentaux les plus vendus de l’époque.
Un fait rare pour les jazzmen, peu habitués à côtoyer le sommet des charts. Il se convertit à l’Islam en 1950. En plein mouvement pour les droits civiques et alors que de nombreux jazzmen prennent publiquement position, Ahmad Jamal ne se place sous aucune bannière et reste à l’écart du «Black Power».
L’album The Awakening (1970) reflète cette position en rejetant les slogans politiques de l’époque. C’est surtout la sophistication des arrangements pour le trio qui confère à l’ensemble une sonorité très particulière et deviendra sa «signature». Son style est décrit comme fondé sur la surprise, les ruptures, l’utilisation des silences, aux accents romantiques, avec un phrasé à la fois dynamique et léger.
Au milieu des années 90, Ahmad Jamal donne à son trio une énergie et des couleurs nouvelles en intégrant Manolo Badrena, un percussionniste brillant et explosif, parfait contrepoint à son jeu sophistiqué. Son secret ? «Je vis une vie passionnante et, lorsque vous vivez une vie intéressante, vous continuez à découvrir», avait-il confié à l’AFP en 2012.
Défricheur, il n’a jamais cessé de se réinventer. «Les musiciens s’épanouissent, se construisent. Certaines choses de base sont toujours là dans ma musique, le sens mélodique par exemple, mais la densité du son a changé avec l’âge, et la partie rythmique devient plus élaborée», avait-il poursuivi. En 2017, il recevait un Grammy Award pour l’ensemble de sa carrière.
Dix ans plus tôt, il était fait chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de France où le jazz a encore ses aficionados. Au mot jazz, le pianiste a toujours préféré celui de «musique classique américaine». «La musique classique européenne est représentée par Bach, Brahms, Ravel, Debussy, Beethoven, Chopin... la musique classique américaine l’est par Duke Ellington, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Sidney Bechet», disait-il à Telerama en 2017.
A cette même date et alors qu’il est âgé de 86 ans, il signe une ode à Marseille, sa «deuxième maison». Le pianiste est tombé amoureux de la ville en 1989, lors de son premier concert dans la cité phocéenne.
Malgré l’âge, l’enfant de Pittsburgh n’a jamais renoncé à la musique. Dans une interview accordée au Times fin 2022, Ahmad Jamal déclarait : «J’évolue toujours, chaque fois que je m’assois au piano». «J’ai toujours des idées nouvelles».