L’histoire des villes de Sidi Bel Abbès et d’Alger a été évoquée lors d’un débat à la bibliothèque de lecture publique Mohamed Kebbati à Sidi Bel Abbès, à l’occasion des premières Rencontres de la Mekerra, clôturées dans la soirée du mardi 4 juin.
Le journaliste et auteur de ces Rencontres, Hmida Ayachi a plaidé, lors de ce débat, pour «une réécriture» de l’histoire de Sidi Bel Abbès. Une histoire qui, selon Karim Ouldennebia, chercheur en histoire et enseignant à l’université Djillali Liabès de Sidi Bel Abbes, est entourée de mythes et de légendes, inventés par la colonisation française.
Il a cité Léon Adoue qui, en 1927, a écrit un ouvrage intitulé La ville de Sidi Bel Abbès, histoires, légendes et anecdotes où il s’est permis des libertés dans son écriture. Les Français ont voulu faire admettre qu’il n’existait rien à leur arrivée à Sidi Bel Abbès. «Les Romains ont construit une cité dans la plaine de la Mekerra (Astacilys). Ibn Khaldoun a évoqué dans ses écrits 24 fois Tessala qui finalement n’était pas une montagne. Pour Ibn Khaldoun, Tessala était une région. Dans cette région, il y avait une ville qui fut détruite par le Mérinide (vers 1331, pendant les guerres entre Zianides et Mérinides).
Il y avait quatre portes à Sidi Bel Abbès, comme à Alger, comme les Portes d’Oran et de Mascara», a expliqué Karim Ouldennebia, auteur de trois ouvrages sur Sidi Bel Abbès. Il a appelé à faire la distinction entre «légende» et «histoire». «Ecrire l’histoire de Sidi Bel Abbès, ce n’est pas facile. Il y a aujourd’hui des ‘‘mythes’’ sur Sidi Bel Abbès repris malheureusement dans des sites officiels. A leur arrivée, les militaires français avaient construit une caserne habitée par la légion étrangère qu’ils l’avaient appelée Sidi Bel Abbès en face de la koubba du marabout en 1843. L’oued Mekerra serpente le terrain entre les deux structures. Les Français disaient qu’ils avaient construit la ville parce qu’il n’y avait rien sur place», a-t-il précisé.
Selon Abdelkader Henni, archiviste et auteur, Sidi Bel Abbès Bouzidi était originaire de Tlemcen, d’où un mausolée construit par la famille du marabout avec des tuiles vernissées, différent des autres mausolée de la région. «Les Français ont installé une caserne à Sidi Bel Abbès pour contrôler les Beni Ameur qui habitaient la région et pour assurer la liaison entre Oran et Dhaya et entre Tlemcen et Mascara.
Des commerçants se sont installés autour de la caserne. Les Français ont vidé le pays en poussant les Beni Ameur à migrer vers le Maroc. Des historiens français ont avancé le chiffre de 23 000 personnes forcées au départ à pied, les Français leur avaient enlevé leurs montures. Le voyage s’est fait en plein hiver de Sidi Bel Abbès à Fes. Le roi de l’époque a massacré ces migrants, perçus comme une menace. Ceux restés vivants avaient été obligés de retourner.
A leur retour, les Beni Ameur n’avaient rien, avaient tout perdu. Ils s’étaient installés dans des grabas aux frontières de la ville dont la construction avait commencé vers 1848. Ce quartier des Grabas existe toujours à Sidi Bel Abbès», a précisé Abdelkader Henni. Il a rappelé que dans ses mémoires, Tewfik El Madani avait qualifié Sidi Bel Abbès de la ville de la métamorphose, critiquant son contenu trop franco-espagnol. Abdelkader Henni a souligné que quatre films ont été tournés à Sidi Bel Abbès durant l’occupation française sans que l’Algérien n’apparaisse. «On cherchait à consacrer l’idée que Sidi Bel Abbès était une ville française. Albert Camus, qui voulait venir enseigner à Sidi Bel Abbès en 1937 a dû fuir la ville après avoir vu des affiches sur les murs appelant à la mort aux communistes. La municipalité était tenue à l’époque par des nationalistes.
Aujourd’hui, il est de notre devoir de faire revivre les endroits visités par l’Emir Abdelkader à Sidi Bel Abbès. Au niveau du jardin public, il existait un arbre que les Français appelaient Le peuplier d’Abdelkader. Cet arbre n’existe plus. La fondation de l’Emir Abdelkader a construit une stèle au niveau de cet endroit où le fondateur de l’Etat algérien moderne rassemblait les Beni Ameur pour les sensibiliser. En septembre 1962, la légion étrangère a quitté Sidi Bel Abbès la tête baissée sous couvert de la nuit. En voyant les soldats quitter la ville, les femmes lançaient des youyous en signe de victoire», a rappelé Abdelkader Henni. Il a plaidé pour une meilleure exploitation des archives, «’riches en informations», sur l’histoire de la région.
«Refaire la ville à leur façon»
«Alger-Mezghena et Sidi Bel Abbès-Mekerra sont liées par une relation immatérielle, à travers la poésie melhoun. A une certaine époque, cette poésie était considérée comme incitative. El Anka et les autres interprètes étaient des passeurs de mémoire. Ils ouvraient les yeux de la population grâce à leurs qacidates. Le colonialisme français a œuvré durant les années 1950 pour faire disparaître tous les medah et goual de l’espace public», a souligné, de son côté, Réda Doumaz, auteur, compositeur et interprète du chaâbi.
Il a expliqué comment il avait découvert le tebrah dans un mariage à Saïda durant les années 1970. «Pour moi, le tebrah est un art majeur. A chaque fois, que je venais à Sidi Bel Abbès ou Saïda, en missions professionnelles, je cherchais à rencontrer les machaykh de la guesba et du qalouz. Je me suis nourri de cet art. Le trait d’union entre Alger et Sidi Bel Abbès, c’est cette poésie d’expression populaire le melhoun», a-t-il insisté.
Mehdi Berrached, journaliste et chercheur en patrimoine populaire, a relevé, pour sa part, que le parler algérois est plus proche du dialecte de l’ouest de l’Algérie que de celui de l’est du pays. «Cela est lié à la poésie melhoun présente dans les chants d’Alger, le medh, l’andalou et le chaâbi. Dans le chaâbi, il y a une chanson qui évoque la ville de Sidi Bel Abbès. Alger, qui suscite parfois autant l’amour que la haine, a connu plusieurs mouvements d’arrivée, surtout entre les deux grandes guerres. Ces flux venus de l’Ouest, de la Kabylie et du Sud ont nourri une certaine diversité dans la ville autant pour le dialecte que pour l’habit et la cuisine», a-t-il analysé.
Il a cité l’exemple de la colonisation française qui, dès 1830, a entamé des opérations d’effacement des repères de la ville, à commencer par «El wt’aa» de la Casbah d’Alger (la partie basse). «L’ancienne ville a été détruite. Il ne reste que El Djam’a el kebir, construit à l’époque des Almoravides, et Al djemaa el jdid, bâti à l’époque Ottomane (sous le règne du Dey Mustapha Pacha). Les mosquées Ketchoua et Ali Betchine ont été transformées en église. Il était prévu que le Mausolée de Sidi Abderrhamane disparaisse, même situé en extra muros. Toutes les villes algériennes sont liées à des Awliya salihine comme des saints-patrons à l’image de Sidi Bel Abbès ou Sidi Abderrahmane», a-t-il dit.
Alger a connu, selon lui, plusieurs traumas, comme l’entrée des l’armée des frontières, en 1962, les émeutes d’octobre 1988 et le terrorisme des années 1990. Des traumas qui ont porté une atteinte physique à la ville (destruction de statues, dégradation de lieux culturels, etc). Abdelkrim Tazaroute, auteur et journaliste, a souligné qu’Alger et Sidi Bel Abbès ont célébré par la chanson et par le cinéma. Il a cité le film de Gillo Pontecorvo, La bataille d’Alger. «L’introduction du film a été faite par une musique châabie, exécutée par El Hadj M’Hamed El Anka.» Tahya ya Didou de Mohamed Zinet était une ode à La Casbah et, donc, à Alger.
«Ahmed Wahbi a interprété une belle chanson sur Alger (Ya dzair zinek khtef akli). Il y a aussi la chanson Wahdani gharib, interprétée par El Hachemi Guerrouabi. Et Réda Doumaz a chanté El Ain zerka», a-t-il souligné. Lors du débat avec le public, l’idée d’écrire la grande histoire culturelle de l’Algérie a été évoquée. Mehdi Berrached a souligné qu’Abou Kacem Saadallah dans son ouvrage majeur Tarikh el djazair el thakafi (Histoire culturelle de l’Algérie) n’a pas évoqué toute l’histoire.
«Il a entamé son ouvrage par l’avènement de l’Islam en Algérie, en mettant de côté les périodes antérieures. Il s’est intéressé à la culture officielle, n’a pas évoqué la poésie melhoun. Le melhoun, selon lui, n’avait pas la même valeur que la poésie écrite en langue arabe classique. Plus tard, Saadallah a été forcé à étudier les poèmes melhoun pour reconstituer les faits liés à la résistance populaire lors des premières années de l’occupation française», a-t-il souligné.
Il a évoqué le désintérêt des pouvoirs publics à l’égard des études anthropologiques lors des premières années de l’indépendance de l’Algérie. «Nous avons un sérieux problème de mémoire et d’accès aux archives. Si je dois faire un travail sur la danse alaouie à Sidi Bel Abbès, je dois théoriquement trouver des documents dans les institutions culturelles de la ville et au niveau national», a noté Abdelkrim Tazaroute.
«Il existe beaucoup d’écrits sur la culture à Sidi Bel Abbès, mais ils ne sont pas accessibles au public où les trouver ? Ils ne sont pas collectés au niveau des bibliothèques, pas disponibles au niveau des archives. Il n’existe aucun livre sur Djillali Liabès au niveau de la bibliothèque de l’université qui porte son nom à Sidi Bel Abbès ! Les archives de Kateb Yacine, qui est passé ici, sont en France. Il faut aller à Paris pour faire un travail sur la littérature de Kateb Yacine», a regretté Abdelkader Henni.
Sidi Bel Abbès
De notre Envoyé spécial Fayçal Métaoui