Un débat sur «le livre papier et le livre numérique et leur circulation en Afrique» a été organisé, lundi 30 octobre, à la faveur du 26e Salon international du livre d›Alger (SILA), qui se poursuit jusqu’au 4 novembre. L’écrivain sénégalais Mamadou Samb, qui a modéré le débat à l’Espace Afrique au niveau du pavillon central du Palais des expositions, a estimé que les éditeurs et libraires s’accordent à exprimer leur frustration sur le manque de circulation du livre africain en Afrique. «Nous devons aborder cette question essentielle et régler les problèmes technologiques et économiques qui se posent à certains pays africains», a-t-il dit.
Sansy Kaba Diakité, vice-président de l’Association nationale des éditeurs de Guinée, a parlé de la chaîne du livre qui comprend l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur, le diffuseur et le lecteur. «Les pouvoirs publics ne jouent pas leur rôle dans cette chaîne. La plupart de nos pays n’ont pas ratifié les instruments internationaux, l’Accord de Florence et le Protocole de Nairobi. Les politiques publiques du livre ne sont pas élaborées et celles existantes sont anciennes pour certains pays. Les députés au niveau des assemblées ne font pas d’effort pour que le livre circule en Afrique et les éditeurs se font auteurs et les auteurs se font éditeurs. Il y a donc une confusion. Il faut passer à l’action», a-t-il constaté.
L’Accord de Florence et le Protocole de Nairobi sont des instruments élaborés par l’Unesco pour faciliter l’importation d’objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel. «Ils réduisent les obstacles en matière de tarifs, de taxes, de devises et d’échanges que rencontre la libre circulation de ces objets, permettant ainsi aux organisations et aux individus de les obtenir à l’étranger avec moins de difficultés et à meilleur prix», précise l’organisation onusienne.
Surmonter les problèmes de transport et de douanes
«Aux éditions L’Harmattan Guinée, nous avons essayé de créer l’imprimerie pour tous. Nous concevons les livres à Conakry et nous les envoyons pour impression à Bamako ou à Dakar parce qu’il n’existe pas d’imprimerie de qualité en Guinée. Pour acheminer les livres vers Conakry, il faut surmonter les problèmes de transport et de douanes. Comment pouvons-nous continuer ? Nous devons nous mettre ensemble et comprendre que le livre est d’abord une industrie, une chaîne pour qu’on puisse régler les problèmes, pousser les Etats à jouer leurs rôles et à mettre les politiques publiques en place», a estimé Sansy Kaba Diakité
Les professionnels du livre doivent, selon lui, créer le marché en Afrique. «Les gens vont à Francfort, à Londres ou à Boulogne pour la cession des droits. Existe-t-il un endroit en Afrique pour pouvoir échanger entre nous, discuter des textes à traduire ? Nous devons rapidement mettre en place un marché pour qu’on puisse se retrouver chaque année ou chaque deux ans, échanger des textes et les faire tourner en Afrique», a-t-il proposé.
Sansy Kaba Diakité, qui est directeur de la manifestation les 72 heures du livre, a rappelé que Conakry a été déclarée Capitale mondiale du livre entre 2017 et 2018 par l’Unesco. «Lors de cet événement, nous avons fait une étude pour créer une biennale, créer le marché du livre africain et mesurer la capacité de lancer une véritable industrie du livre dans le continent. Pour moi, l’action doit suivre la pensée», a-t-il tranché.
Sansy Kaba Diakité a regretté que les grands auteurs guinéens ne soient pas connus en Algérie, mis à part Thierno Monénembo. Les Algériens devraient connaître, selon lui, les romanciers Williams Sassine et Camara Laye.
Il y a une grande créativité en Afrique de l’Ouest
Fatoumata Keita, écrivaine et éditrice, a qualifié de catastrophique l’état de la circulation du livre au Mali. «Ce constat amer est le même que dans les pays qui sont autour de nous. De plus en plus de jeunes maliens écrivent et de plus de maisons d’édition sont créées. Mais, le livre ne circule pas au Mali. Il existe vingt régions dans le pays et le livre est essentiellement vendu à Bamako. Le livre arrive difficilement dans les régions à part les fois où nous-mêmes envoyons nos livres aux académies d’enseignement», a-t-elle constaté.
Elle a évoqué le lancement de la politique nationale du livre et de la lecture au Mali. «Plusieurs axes ont été dégagés. Si ces axes deviennent des acquis, cela va aider la filière du livre. Il s’agit de créer un Salon de livre et de journées d’écrivains, de constituer des fonds de financement. Nous nous battons toujours pour la création de ce fonds au Mali pour soutenir les éditeurs et les auteurs qui n’ont pas les moyens d’être édités, pour lancer des événements et pour créer un réseau de distribution. Ce n’est pas encore une réalité. Le projet n’a pas encore été voté par l’assemblée», a précisé Fatoumata Keïta.
«Tout n’est pas perdu dans la mesure où il y a une grande créativité en Afrique de l’Ouest, surtout chez les jeunes et les femmes. Il y a aussi des événements importants, comme le Festival de la poésie au Sénégal et les 72 heures du livre en Guinée. Nous sommes en train de redynamiser plusieurs réseaux et des associations d’éditeurs qui sont de nature à changer la donne. Des associations qui peuvent être porteurs de projets à même d’être soutenus par l’Etat», a ajouté l’auteur de A toutes les muses.
Si je dois raconter le monde, autant le faire à partir de l’Afrique
Ibrahima Aya, écrivain, éditeur et directeur de la Rentrée littéraire du Mali, publie ses livres aux éditions APIC à Alger. «Parce que je ne voulais pas éditer mes propres livres. Je pouvais donner mes manuscrits à des éditeurs d’autres continents, mais j’ai préféré APIC. Si je dois raconter le monde, autant le faire à partir de l’Afrique. Nous avons établi un partenariat avec APIC qui fait que nos livres sont conçus à Bamako mais imprimés à Alger. APIC suit l’impression et le transport des ouvrages. Nous pouvons produire de la qualité en Afrique et nous n’avons pas besoin de chercher ailleurs. Nous essayons de mettre en commun nos ressources en tant qu’éditeurs africains pour proposer des titres qui parlent à nos lecteurs», a-t-il détaillé.
Ibrahima Aya est directeur de la Rentrée littéraire du Mali, une manifestation lancée en 2008. «Cette année là, les éditeurs maliens n’avaient produit que quatre titres de fiction. Il était honteux pour un pays se revendiquant de cultures de n’avoir pas capacité de produire des livres. On s’est dit que nous ne pouvions faire mieux et plus», a-t-il rappelé.
Le comité d’organisation de la Rentrée littéraire du Mali comprend des acteurs du livre africains, dont les Algériens, Samia Zennadi, Karim Cheikh et Hadjer Bali. «Nous essayons aussi d’ouvrir donc vers des acteurs du livre d’autres continents. Il est possible pour les Africains en tant que porteurs de récits de raconter leurs pays et l’Afrique (...) Nous commençons à connaître des écrivains algériens à travers cet événement, l’un d’eux, Mohamed Abdallah, a décroché le prix continental Ahmed Baba 2023 (pour son roman Le vent a dit son nom). Auparavant, Djawad Rostom Touati, auteur algérien, a obtenu aussi un prix. Il s’agit de récompenses très compétitives», a indiqué Ibrahima Aya.
Début 2023, la Rentrée littéraire du Mali a rassemblé, selon lui, des responsables d’événements littéraires en Afrique «pour essayer de mettre en place un réseau afin de travailler à l’amélioration de la circulation du livre entre les pays africains, faire que chaque événement en Afrique intègre l’idée qu’il faut inviter vivant sur le continent pour les promouvoir, mieux les faire connaître».
Nous avons besoin de stars littéraires
Pour Mohamed Lamine Camara, directeur délégué des 72 heures du livre de Guinée, il est nécessaire d’améliorer certains maillons de la chaîne du livre. «Il existe peu de maisons de diffusion, et il n’y a pas beaucoup d’infrastructures d’accueil de livres chez nous. C’est un frein au développement du livre. Il faudrait qu’il y ait de véritables maisons de distribution et de diffusion et de véritables infrastructures de transport pour faciliter la circulation des livres au niveau local et entre nos pays. Nos pays ne sont pas suffisamment connectés. Nous devons travailler sur la circulation des œuvres et des auteurs.
Il faut aussi qu’il ait un marché des droits», a-t-il proposé.
Il a salué l’initiative des éditions algériennes APIC à racheter les droits de maisons d’édition occidentales pour reproduire les œuvres en Algérie. Les éditions africaines doivent, d’après lui, développer la même politique.
Karim Chikh, directeur éditions APIC, a rappelé que la création de l’Espace Panaf au SILA avait pour objectif de faire connaître les éditeurs et les auteurs africains. «Et comme tous les salons du monde, il fallait inviter une icône littéraire africaine qui fait le buzz en Europe ou en Amérique du Nord pour apporter plus de rayonnement à l’événement. Nous avons donc besoin de stars littéraires que l’Occident a produites. En 2009, lors du Festival panafricain à Alger, nous avons organisé une résidence d’écriture avec ces stars. Un recueil de nouvelles a été publié après cette résidence, Ancrages africains», a-t-il rappelé.
Il a parlé du lancement en 2017 de la collection Résonance aux éditions APIC pour mettre en valeur et faire connaître mieux la littérature et la pensée africaines. «Le livre n’a pas sa place dans l’Union africaine contrairement à l’Union européenne. Et, il n’a pas sa place dans les politiques publiques, d’où la nécessité d’avoir une volonté politique réelle. Nous avons besoin de financements pour organiser des événements», a-t-il dit.
Les éditions font partie de l’Alliance des éditeurs indépendants. «Cela nous a permis de faire des coéditions dans la collection Terres solidaires. Les mêmes textes d’auteurs africains sont édités dans plusieurs pays africains. Donc, nous publions des éditeurs africains qui publient en Afrique dans la même collection et imprimés à Alger. Les livres sont acheminés à Bamako. Bamako devient une plaque tournante de la circulation de livres (...)Nous venons d’envoyer 107 cartons de livres. Il faut de la volonté et de l’action personnelle pour pouvoir faire des choses. Nous n’allons pas attendre les pouvoirs publics à faire des choses à notre place», a conclu Karim Chikh.