Débat avec Kaouthar Adimi et Lynda Chouiten au Festival du cinéma et de la littérature de la femme de Saida : La littérature, le beau et «les messages»

04/06/2024 mis à jour: 18:28
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Lynda Chouiten et Kaouther Adimi au Festival de Saïda

Les romancières Lynda Chouiten et Kaouther Adimi ont animé un débat à Saïda lors du 7e Festival national du cinéma et de la littérature de la femme qui s’est déroulé du 23 au 26 mai dernier. Elles ont parlé de leur expérience avec l’écriture.

 

Kaouther Adimi, qui a, à son actif, cinq romans, est revenue sur son dernier-né, Au vent mauvais, paru en 2022 aux éditions Barzakh à Alger et au Seuil à Paris. C’est l’histoire de Leïla, Tarek et Saïd qui vivent dans un village de l’est de l’Algérie, au début des années 1920. «Said devient écrivain, publie le premier roman algérien en langue arabe, après l’indépendance du pays où il aborde l’histoire de Leila et de son village.

 Leila vit cela comme une violence. La violence d’un homme lettrée à l’égard d’une femme qui n’a pas pu faire d’études. Là, je raconte que la littérature peut blesser, peut, par certains moments, devenir une magie noire. Les écrivains ont un impact réel sur les lecteurs. Il est parfois dramatique de fréquenter les écrivains. Dans mes deux derniers livres, Nos richesses et Au vent mauvais, j’ai questionné ce que peut être un écrivain et ce qui peut générer comme émotion», a-t-elle dit. Said a, selon elle, abusé des gens qu’il a côtoyés pour écrire un roman. Elle a confié avoir traversé dans ce roman le dernier siècle algérien en évoquant notamment le film La bataille d’Alger du réalisateur italien Gillo Pontecorvo. «Le tournage de ce film est une véritable épopée avec le coup d’Etat de Boumediène contre Ben Bella le 19 juin 1965. 

Le tournage à Alger a fait revivre la guerre aux Algériens. C’est un long métrage réalisé avec un seul acteur professionnel, tous les autres ont été retenus par le réalisateur dans la rue ou dans les cafés», a souligné la romancière. Sorti en 1966, La bataille d’Alger (La battaglia di Algeri), qui revient sur un épisode douloureux de la Guerre de libération nationale, a obtenu le Lion d’or au festival de Venise, la même année. 
 

«On attend des écrivains ou des artistes d’être des messagers, cela exclut la dimension esthétique et émotionnelle d’une œuvre. Le premier rôle d’un artiste est de créer de la beauté. Cela n’enlève rien à mon engagement dans mes textes. Je ne pense pas qu’il faut créer une œuvre romanesque pour faire passer un message brut et immédiat. Si on ne prend pas plaisir à lire une œuvre, cela n’a aucun intérêt de poursuivre la lecture», a souligné l’auteure de Des pierres dans ma poche.


La valse, une métaphore de la vie

Lynda Chouiten est, elle, revenue sur son dernier roman, Une valse, paru aux éditions Casbah à Alger, et qui a obtenu le prix Assia Djebar en 2019. «C’est l’histoire de Chahira, une jeune couturière, la quarantaine, qui habite dans un village, El Moudja. Elle doit renoncer à ses études alors qu’elle était brillante, abandonne  ses rêves, n’est pas heureuse, ne s’entend pas avec son entourage qui ne la comprend pas. Elle sombre alors dans une sorte de folie. Une folie qui lui fait confondre le réel avec l’imaginaire. Elle invente des personnages, s’imagine une valse. Cela apporte de la douceur à son dur quotidien. Malgré cela, elle se qualifie à la finale d’un concours international de stylisme à Vienne. Elle y va, oublie sa maladie et le conflit qu’elle avait avec tout le monde», a-t-elle détaillé. Selon elle, la valse est une métaphore de la vie avec ses mouvements, vifs ou lents, durs et doux... Lynda Chouiten, qui est enseignante de littérature anglaise à l’université M’hamed Bougara de Boumerdes, a souligné que son deuxième roman, après Le Roman des Pôv’Cheveux, paru en 2017, aborde inévitablement la thématique de «la condition féminine». Une valse évoque l’histoire d’une femme empêchée de briller, de poursuivre ses études. On cherche à l’obliger à entrer dans le moule alors qu’elle refuse.

 C’est une réalité qu’ont connue beaucoup de femmes algériennes. Le thème de la condition féminine va de pair avec celui de la folie. Chahira, qui souffre de psychose, est une artiste, écrit des poèmes dans sa jeunesse, est couturière, crée des modèles, crée du beau... «C’est grâce à cela qu’elle peut encore tenir. L’art est salvateur pour elle. J’essaie de pousser le lecteur à réfléchir avec moi à toutes les questions qui me tracassent», a-t-elle dit. Lynda Chouiten a qualifié le roman Une valse de violent mais écrit «dans un style poétique». «J’ai essayé de mettre beaucoup d’esthétisme pour que la violence du roman soit supportable. Dans le roman, vous trouverez de l’arabe algérien et du kabyle. J’ai tendance à dire que ma langue maternelle est un mélange de kabyle et de français. Mes parents me parlaient en ces deux langues lorsque j’étais enfant. Il y a aussi du dialecte égyptien. Chahira aime la chanteuse Ismahane et écoute sa chanson Layli el ouns fi Vienna», a précisé l’écrivaine.


«Le titre donne naissance à une scène, puis à un personnage...»

Écrite par Ahmed Rami, Layli el ouns fi Vienna (les nuits de gaieté à Vienne) est une chanson composée par Farid El Atrach, qui était frère d’Ismahane, en 1944, pour le film Gharam oua intikam (amour et vengeance) de Youssef Wahby. 

Interrogé sur l’élaboration des personnages dans ses romans, Lynda Chouiten a confié qu’elle laisse les choses venir. «Parfois, je commence par un titre. Et je ne démarre de rien. Je prends note et je laisse le texte prendre forme. Le titre donne naissance à une scène, puis à un personnage... Je prends le temps qu’il faut. Je n’écris pas d’une manière méthodique mais je veille à garder une certaine cohérence. Je suis une auteure intuitive et cérébrale en même temps. Je laisse le flou s’effacer petit à petit», a-t-elle dit. Kaouther Adimi a, elle, avoué travailler comme mécanicien dans l’écriture de ses romans. «Je mets les mains dedans, prépare des fiches pour chaque personnage. Après, je trace un plan du roman, élabore le contenu des chapitres et prévoit le nombre de pages. Ensuite, je commence à écrire. 

Souvent, je refais le plan au fur et à mesure de l’évolution de l’écriture. Les personnages féminins sont plus difficiles parce que je leur donne plus d’ambitions. Dans Au vent mauvais, le personnage de Leila parle pendant tout un chapitre à la première personne parce que tout le monde parlait à sa place. Elle a pris le droit de se raconter, dire je», a-t-elle noté. Et d’ajouter  : «Ce qui reste d’un film ou d’un roman sont les images et les émotions, des phrases et des moments.

 Un film réussi est celui dont les images et les scènes vont revenir. On continue à y penser après l’avoir vu. Un mauvais film est vite oublié. Des films et des livres peuvent avoir plus d’impact sur nous que certaines personnes. C’est le grand pouvoir du cinéma et de la littérature. Il existe des livres qui m’ont transformée plus que les rencontres que j’ai pu faire. Quand on part voir un film dans une salle, on est tous ensemble. Lire un livre est, par contre, un acte individuel. Dans le cinéma, le rapport à l’intime est différent du livre. Quand on lit un livre, on se l’approprie. J’ai l’impression que certains lecteurs possèdent mes livres. Ils ont un rapport avec mes livres plus charnels et puissants que moi».


«Quand on écrit un scénario, on n’est jamais seul»

Kaouther Adimi a abordé ensuite son expérience avec Rachid Bouchareb dans l’écriture du scénario du film Nos frangins, coécrit avec le réalisateur Rachid Bouchareb. Sorti en 2022, ce film revient sur la mort en 1986 de Malik Oussekine, étudiant français d’origine algérienne, tué par des policiers à Paris.  


«J’ai travaillé avec Rachid Bouchareb sans connaissance du scénario. Je me suis documenté avant l’écriture, lu des scénarios. Avec Rachid, j’ai travaillé sur la conception des personnages. J’écris, il corrige, me propose d’autres idées. Quand on écrit un scénario, on n’est jamais seul. Il y a toujours quelqu’un de plus obsédé que vous !  Je ne connaissais pas cette non solitude dans l’écriture du scénario. La recherche stylistique n’est pas la même dans le scénario que dans le roman», a-t-elle expliqué. La thématique du film Nos frangins, fraîchement accueilli à sa sortie en France en 2022, est, selon elle, toujours actuelle :  «Je suis atterrée par les violences policières actuelles. Il y a des enfants et des adolescents qui se font tabasser ou tuer par des policières loin des caméras. Aujourd’hui, il est très dangereux d’être arabe en France. Ce que nous vivons dans ce pays est scandaleux. 

On est complètement dans la réalité coloniale».Elle a qualifié la situation actuelle en France de très difficile avec «une islamophobie forte et une extrême-droite puissante qui n’est pas uniquement représentée par le Rassemblement national (RN)». «L’extrême-droite est présente dans le discours de certains ministres actuels. On a même mesuré la longueur des robes et des jupes des jeunes femmes à l’entrée des lycées. Des jeunes femmes considérées comme des musulmanes d’origine étrangère. La mesure a été appliquée sans grand débat, sans grand engagement des classes politiques. On a trouvé normal de venir contrôler le corps des musulmanes», s’est indigné Kaouther Adimi.
 

«La France, tu l’aimes mais tu la quittes» !


En France, l’abaya (robe longue) est interdite dans les écoles car considérée comme «un vêtement religieux». «Je suis très inquiète aujourd’hui de ce qui se passe en France, de la place qu’on donne à l’extrême-droite et de l’absence de nuances dans les débats. Avec une vision coloniale, on veut contrôler les musulmans. Tout est difficile pour les Français d’origine étrangère : l’accès à l’emploi et au soin. Les études l’ont montré. Il y a un racisme latent. C’est assez effrayant», s’est alarmée la romancière algérienne, actuellement établie en France. Elle a rappelé que le journal Le Monde a publié dernièrement un dossier sur «les musulmans qui quittent la France», à cause de l’islamophobie. Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin, trois chercheurs et universitaires français, ont publié récemment une enquête sur le départ des musulmans de France, «La France, tu l’aimes mais tu la quittes». «Discriminés sur le marché de l’emploi et stigmatisés pour leur religion, leurs noms ou leurs origines, ces français de culture ou de confession musulmane trouvent à l’étranger l’ascension sociale qui leur était refusée en France», ont-ils constaté. 


«En France, la colonisation demeure un sujet difficile à porter. Les essais nucléaires dans le Sahara algérien (dans les années 1960), est toujours classé comme un sujet secret. Les archives demeurent inaccessibles. Mais, je pense que les français sont prêts à discuter sur ces questions là. C’est un sujet important pour eux. Pendant longtemps, un silence a été imposé sur la colonisation. La guerre de la France en Algérie a concerné beaucoup de Français comme les anciens Appelés. J’en ai rencontré certains lors des séances de vente-dédicaces qui m’ont confié qu’ils n’ont jamais parlé de leur durée de service en Algérie», a déclaré Kaouther Adimi. 

Saida 
De notre envoyé spécial  Fayçal Métaoui

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