Ce qui frappe le visiteur des cités algériennes, des plus grandes aux plus petites agglomérations, c’est le désordre urbanistique, à la limite du chaos. Hormis les centre-villes, généralement anciens, voire historiques, le bâti est un enchevêtrement sans limite, sans ordre ni esthétisme de constructions de toutes sortes et de tous acabits, séparées inégalement par des routes sinueuses, souvent sans bitume, la plupart du temps crevassées et dangereuses. Dans ce bâti quelconque, ce qui domine ce sont les constructions illicites, des plus finies et cossues aux plus précaires, visibles par la couleur des briques qui les confectionnent, apparentes sans cimentation ni ravalement. Toutes les villes et villages du pays, même les simples hameaux ont vu leur prolifération et cela depuis l’indépendance du pays, lorsque des millions d’Algériens ont quitté les zones rurales par peur de l’insécurité jusqu’à la décennie du terrorisme ou par nécessité économique et sociale. Aucun gouvernement n’a pu y mettre un terme ni par les textes ni par la pédagogie, encore moins par la répression, même si diverses opérations ont éradiqué un bon nombre de bidonvilles dans le pays. Une loi dite de régularisation est intervenue en 2008 sans engouement de la part des habitants fautifs. Elle fut complétée par la suite par diverses mesures mais avec toujours des restrictions sur les conditions de régularisation, là aussi sans grand impact sur le terrain. En 2022, un décret est venu stipuler que les constructions illicites érigées sans permis de construire ne sont plus régularisables. C’est ainsi que des autorités locales ont été conduites à procéder à des démolitions d’immeubles entiers ou de constructions individuelles qui n’ont pu, ou voulu, se conformer à la réglementation.
Tout récemment, le président de la République a évoqué cette question de la démolition des constructions ne disposant pas de permis de construire, en affirmant que les constructions anarchiques devraient faire l’objet d’enquêtes, précisant qu’il y a nécessité «de réviser la loi sur l’urbanisme sur la base d’une véritable planification urbanistique afin d’éradiquer définitivement l’anarchie et pour que toutes les opérations de construction et de réalisation soient soumises, à l’avenir, à un encadrement juridique strictement réglementé, notamment dans les villes». Il a, par ailleurs, enjoint aux ministres de l’Intérieur et de l’Habitat de veiller à la création d’une commission centrale pour étudier les dossiers accompagnée de la mise sur pied d’une police de l’urbanisme dans le cadre du projet de révision de la loi sur l’urbanisme. Il a souligné que «la décision de démolition ne doit pas être prise systématiquement, il faudrait penser à toutes les solutions possibles avant de prendre cette décision». Parmi ces solutions, le président Tebboune a évoqué, à titre d’exemple, «l’évaluation de la valeur du terrain sur lequel la construction a été bâtie, pour proposer au propriétaire d’en payer le prix, comme ce fut le cas avec certaines usines».
Dans cet ordre d’idées, le gouvernement a examiné récemment un texte visant à lutter efficacement contre les constructions illicites, réalisées sur les terres de l’Etat. L’avant-projet consacre un cadre juridique interdisant et sanctionnant sévèrement, par des peines allant jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle et deux millions de dinars d’amende, toute voie de fait ou agissement sur les terres de l’Etat, entraînant la détérioration de leur valeur ou toute modification de leur statut ou vocation.
Pour Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des architectes, l’absence de contrôle couplé aux passe-droits et à la corruption constituent les autres principales causes de ce désastre urbanistique. «Le contrôle se fait sur les plans d’études, mais une fois la réalisation entamée, le suivi pose problème», affirme-t-il. Selon lui, la contrainte réside dans le fait que les maîtres d’ouvrage et les bureaux d’études n’ont pas toutes les prérogatives pour assurer un contrôle rigoureux. Il déplore «le manque de sérieux» de certains bureaux d’études «indélicats» qui ne se déplacent même pas sur les chantiers pour le suivi des travaux.
De son côté, Sadek Belkadi, inspecteur central au ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, a relevé que «la construction illicite a pris de l’ampleur durant la crise sanitaire de Covid-19 mettant en garde sur les normes de construction qu’il faut respecter, prenant à témoin les conséquences du séisme en Turquie. «Si le citoyen construit illicitement, c’est que les plans ne sont pas contrôlés. Qui gérera par la suite la catastrophe de demain ? C’est pour cela qu’il faut sévir et ne pas les laisser pousser», dira-t-il, précisant que les walis ont été saisis pour cesser les démolitions, mais surtout pour renforcer les contrôles sur le terrain. La difficulté reste entière. Certainement que le police de l’urbanisme va régler une partie du problème des constructions illicites, mais il y a tout le reste à prendre en charge dans le domaine du bâti, c’est-à-dire les problématiques liées aux procèdes de construction et aux matériaux, à l’architecture et à l’urbanisme avec son volet historique, culturel et esthétique, et à l’intégration harmonieuse des habitants. S'il est l’œuvre de professionnels de la construction, le bâti est la marque du génie des habitants et l’empreinte de leur civilisation. C’est ce que témoigne la vallée du M'zab, à titre d’exemple.