Les incidents de Ghariane, à 100 km au sud-ouest de Tripoli, ont montré que c’est par les armes lourdes que les milices résolvent leurs différends en Libye, même si les belligérants se prévalent tous de l’obédience à Abdelhamid Dbeiba, le chef du gouvernement de l’unité nationale.
Ainsi, le récent différend portait sur l’opposition de la milice plutôt tripolitaine de «renforcement de la stabilité» au retour à Ghariane de l’enfant prodigue de la ville Adel Daâb, celui qui a facilité le passage des forces de Haftar en 2019 et qui a fui vers l’Est avec le recul de ces forces en 2020. Des pourparlers entre les notables de Ghariane ont abouti à la réconciliation avec Daâb et lui ont accordé l’immunité.
Toutefois, les forces de «renforcement de la stabilité», plutôt tripolitaines, s’y sont opposées. Il a donc fallu que, sur la base de cette réconciliation, Adel Daâb et ses frères d’armes reviennent de l’Est, chassent en quelques heures la milice de Ghniwa de Ghariane et remettent la ville au bataillon 111, dirigé par Abdessalem Zoubi, favorable à cette réconciliation. Daâb et son groupe ont juste assuré la passation de pouvoir et quitté la ville pour éviter la poursuite du conflit, puisque des bruits ont couru que des forces militaires, proches de Ghniwa, ont déjà pris la route de Ghariane.
Le plus paradoxal dans ce qui s’est passé à Ghariane, c’est que Abdessalem Zoubi, le commandant du régiment 111, la nouvelle force contrôlant la ville, et Abdelghani Kekli, le commandant de la force «renforcement de stabilité», chassée de la ville, ont assisté, tous les deux, à la réunion de crise, à laquelle a appelé Abdelhamid Dbeiba, pour faire face aux incidents. La réunion a décidé de bombarder la ville par des drones, avant de l’attaquer au sol pour chasser Daâb. Toutefois, ce dernier et ses troupes se sont déjà retirés et ont remis la ville à la force mixte dirigée par Abdelkhalek Dayekh, soutenu par le régiment 111.
Le conflit oppose donc maintenant des forces du même camp mais ayant des positions antagoniques. Pour commenter cette situation complexe, El Watan a contacté le général Brahim Chakaf, notable de Ghariane et ex-président du service de la Sécurité intérieure. Chakaf a appelé le Conseil présidentiel, notamment son président Mohammed El Menfi, à «parrainer une réconciliation à Ghariane, puisqu’il est clair que les habitants de la ville sont favorables à un tel processus». Chakaf considère que «ce qui s’est passé à Ghariane est normal puisqu’un fils de la ville ne saurait rester éternellement écarté de sa famille, surtout avec les multiples tentatives de réconciliation».
Le général à la retraite conclut en espérant d’exploiter ce moment pour «mettre fin au cycle de violences et de vengeances».
Confusion et guerre d’influence
Alors que la Libye ne cesse de parler d’unité et d’«élections» depuis un accord intervenu en 2015, les observateurs locaux et internationaux trouvent «difficile»la tenue d’élections, alors que l’autorité (si autorité il y a) chargée de sécuriser l’opération électorale est divisée entre deux, voire même plusieurs centres de décision. «La tenue d’élections pourrait engendrer plus de confusion, comme ce fut le cas après les élections de juin 2014, tenues pourtant sous un pouvoir politique unifié», relève le juge libyen Jamel Bennour, sceptique quant à la crédibilité d’un processus électoral dans pareil environnement sécuritaire.
Jamel Bennour rappelle que les récents incidents de Ghariane renvoient aux affrontements de juillet à Tripoli entre cette même force de «renforcement de la stabilité» et le bataillon 444, après l’arrestation du commandant de cette dernière force, Mahmoud Hamza, à l’aéroport de Myitiga, tout comme les incidents d’Ezzaouia, fin mai dernier, lorsque Dbeiba a ordonné des frappes de drones contre ses adversaires politiques. Il a fallu la menace d’arrêter l’approvisionnement de Tripoli en carburant pour arrêter ces frappes.
Le juge rappelle également des incidents de Benghazi et ce qui est arrivé à Barghathi, l’ex-ministre de la Défense, qui s’est aventuré à rentrer chez lui. «Le minimum requis de sécurité n’est, semble-t-il, pas garanti en Libye, de façon à assurer un minimum de crédibilité du processus électoral», assure le juge, en attirant l’attention sur la présence de forces sécuritaires étrangères, comme les Turcs, les Russes, les Soudanais, les Nigériens. «C’est encore trop tôt pour des élections fiables», selon Jamel Bennour.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami