En quatre jours de raids aériens et d’affrontements, ni l’armée ni les paramilitaires n’ont la haute main. A Khartoum, impossible de savoir qui contrôle quoi, tant la confusion est totale et la désinformation en ligne galopante.
Des milliers de civils fuient Khartoum sous les bombes hier, alors que les combats entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et l’armée régulière ont fait près de 200 morts au Soudan en quatre jours. A pied ou en voiture, sur des routes jonchées de cadavres et de blindés calcinés, des milliers de Soudanais tentent de passer sous les tirs croisés des FSR du général Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», et de l’armée que dirige le général Abdel Fattah Al Burhane, aux commandes depuis leur putsch conjoint de 2021.
Les deux hommes, lancés dans une lutte désormais «existentielle» selon les experts, restent sourds aux appels incessants à un cessez-le-feu même temporaire pour évacuer les civils. Malgré tout, des grappes de familles ont pu fuir depuis le début des hostilités samedi, profitant de brèves accalmies, le plus souvent le temps pour les combattants de recharger des munitions ou de se déplacer de quelques rues.
Car dans la capitale de plus de cinq millions d’habitants, la vie n’est plus tenable : l’électricité et l’eau courante ont disparu, et ne reviennent en certains endroits que quelques heures à peine, et les balles perdues transpercent régulièrement un mur ou une fenêtre. Pire, parfois une bombe venue du ciel réduit un immeuble ou un hôpital à un tas de gravats.
Déjà lundi soir, l’ONU recensait près de 200 morts, plus de 1800 blessés, et tous les médecins le répètent, aucun bilan n’est fiable tant le champ de bataille est dangereux : de nombreux morts et blessés n’ont pas encore été trouvés. L’armée de l’air et l’artillerie des deux camps ont bombardé neuf hôpitaux de Khartoum.
En tout, 39 des 59 hôpitaux des zones touchées par les combats ont été mis hors d’usage ou forcés de fermer, rapportent des médecins : parce qu’ils n’avaient plus de matériel, parce que des combattants les occupaient ou parce que les soignants, pris sous les tirs, n’avaient pas pu prendre leur poste.
Quant aux stocks de nourriture, déjà limités dans un pays avec une inflation à trois chiffres, ils ne font que fondre et plus aucun camion d’approvisionnement n’est entré à Khartoum depuis samedi. Dans un pays de 45 millions d’habitants où la faim touche plus d’un tiers de la population, humanitaires et diplomates disent ne plus pouvoir travailler : trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour (uest) et l’ONU dénonce «des pillages, des attaques et des violences sexuelles contre des humanitaires».
Les habitants vivent dans l’angoisse d’une attaque sur leur maison ou leur famille : ils n’ont pas oublié les batailles, razzias et autres atrocités qui ont valu au dictateur Omar El Béchir (déchu en 2019) deux mandats d’arrêt pour «crimes de guerre», «crimes contre l’humanité» et «génocide» au Darfour. A l’époque, il avait délégué la politique de la terre brûlée à un homme : Hemedti.
Bilan catastrophique
Alors hier, ce sont par milliers que des femmes et des enfants ont pris la route vers les provinces qui bordent Khartoum, progressant au milieu de cadavres dont commençaient à se dégager des odeurs pestilentielles, rapportent des témoins.
Pour les chancelleries sur place, la tâche est compliquée par des attaques : un convoi diplomatique américain a essuyé lundi des tirs, l’ambassadeur de l’Union européenne a été «agressé dans sa résidence» à Khartoum et le patron belge de la mission humanitaire de l’UE a été «hospitalisé» après avoir été touché par balle. Mais elles assurent tenter d’organiser des transports pour leurs ressortissants, même si la perspective d’évacuations pourrait encore être lointaine, l’aéroport de Khartoum étant hors service.
En quatre jours de raids aériens et d’affrontements, ni l’armée ni les paramilitaires n’ont la haute main. A Khartoum, impossible de savoir qui contrôle quoi, tant la confusion est totale et la désinformation en ligne galopante.
Les images satellitaires dessinent toutefois l’étendue des dégâts, visibles notamment à l’intérieur du très bunkerisé QG de l’état-major protégé par de hauts murs. Une dizaine d’avions gisent en cendres sur le tarmac de l’aéroport, le siège des renseignements généraux apparaît ravagé, ce qui était un dépôt de camion-citernes d’essence n’est plus qu’une immense tache noire...
«Aucun camp ne semble l’emporter pour le moment et vu l’intensité des combats (...), les choses peuvent encore empirer avant que les deux généraux ne s’assoient à la table des négociations», prévient Clément Deshayes, enseignant à l’université Paris 1.
Pour cela, «il faudrait que leurs partenaires régionaux fassent pression et pour l’instant, les déclarations ne vont pas dans ce sens», affirme encore à l’AFP ce spécialiste du Soudan. Les puissances agissantes tentent de ménager les deux généraux, car ils ne veulent pas insulter l’avenir, toujours très incertain assurent les experts.