L’ONU s’inquiète du fait que le trafic de carburant commence à prendre des proportions importantes au Sahel. Ce qui est le plus inquiétant est que ce trafic profite aux groupes terroristes.
Un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), intitulé Fuel Trafficking in the Sahel (le trafic de carburant au Sahel), rendu public le 3 juin, révèle que cette activité illégale finance des groupes armés illégaux non étatiques, des groupes terroristes, des institutions financières, des fonctionnaires corrompus chargés de l’application de la loi et des groupes ayant des liens avec des personnalités ayant des intérêts dans des sociétés de vente au détail de carburants.
«Le trafic de carburant sape l’Etat de droit et alimente la corruption», déclare François Patuel, chef de l’unité de recherche et de sensibilisation de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). «Il favorise également d’autres formes de criminalité. C’est pourquoi il faut s’y attaquer», ajoute-t-il.
L’ONU explique que «les prix bas et fortement subventionnés de l’essence dans certains pays, comme en Libye et au Nigeria, sont les principaux catalyseurs de ce phénomène». Selon l’ONUDC, les stations-service en Libye facturent 11 cents le litre, mais les prix à la pompe de l’autre côté de la frontière, au Mali, s’élèvent en moyenne à 1,94 dollar. «Le simple fait de traverser la frontière leur permet de réaliser un bénéfice de 90 centimes par litre», explique M. Patuel. «C’est un revenu facile pour les groupes criminels.»
Selon lui, les trafiquants vendent ensuite à la population, qui dépend du carburant bon marché pour mener à bien ses activités et sa vie quotidienne, qu’il s’agisse d’alimenter les générateurs pour produire de l’électricité ou de remplir les réservoirs d’essence pour transporter les marchandises au marché. «Ils exploitent réellement ces besoins pour vendre leurs produits criminels, y compris le carburant de contrebande», ajoute l’expert.
Le rapport de l’ONUDC couvre les activités au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger. Le document en question indique que le long des itinéraires les plus empruntés, les chauffeurs transportent chaque année des millions de litres de carburant de contrebande, ajoutant que des itinéraires établis existent. L’un relie, par exemple, la Libye au Niger et au Tchad. Un autre part du Nigeria pour passer par le Bénin et le Burkina Faso, puis par le Niger et le Mali.
L’Algérie, où le carburant est relativement peu coûteux et qui a également des frontières avec le Mali et le Niger, a, pour sa part, déclaré une guerre sans merci aux contrebandiers. Les autorités algériennes ont pratiquement verrouillé les frontières algéro-malienne et algéro-nigérienne. Ces deux frontières sont extrêmement surveillées. Le représentant régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, Amado Philip de Andrés, a révélé, dans une déclaration au site internet de l’ONU, que le manque à gagner pour les pays du Sahel est énorme. «Le commerce illicite coûte près de 8 millions de dollars par an en recettes fiscales au Niger», selon la Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. «Des trafiquants qui échappent aux taxes en achetant du carburant destiné à l’exportation à moindre coût et en détournant les livraisons à l’intérieur du pays ou à travers les frontières», expliquent les autorités nigériennes.
Les contrebandiers paient cependant des «taxes» à des groupes terroristes, notamment autour de Kourou/Koualou, où des entrepôts illégaux stockent des réservoirs de carburant de contrebande pendant le transit, indique l’ONUDC, ajoutant que des groupes affiliés à Al Qaïda exploitent certaines des mines riches en or de la zone et prélèvent régulièrement des taxes sur la contrebande.
L’ONUDC explique que le carburant de contrebande n’est souvent qu’un élément à la surface d’un trafic plus profond, reflétant un ensemble d’activités criminelles, allant de la drogue aux migrants, précise M. Patuel, citant en exemple une saisie de 17 tonnes de résine de cannabis effectuée par la police nigériane en 2021, impliquant un trafiquant de carburant connu qui possédait des stations-service. Le suspect aurait utilisé les revenus du trafic de drogue pour acheter du carburant de contrebande vendu dans ses stations-service. Il est à rappeler que l’essentiel de la résine de cannabis saisie au Sahel est produite au Maroc. Ce pays est le plus grand producteur au monde de résine de cannabis.
Comment mettre fin à ce trafic ? L’ONUDC reconnaît que mettre fin à la contrebande de carburant est une entreprise complexe aux conséquences potentiellement mortelles dans une région où les taux d’emploi informel sont très élevés, allant de 78,2% au Niger à 96,9% au Tchad.
L’ONUDC craint que l’endiguement des flux de carburants illicites n’entraîne une hausse des prix des transports et de l’énergie, ainsi que des coûts de la plupart des biens et services commerciaux. L’Office suggère néanmoins aux pays du Sahel et aux pays voisins d’identifier et de poursuivre les cas de contrebande de carburant ayant des liens directs avec le crime organisé, les groupes armés et la corruption.