Le réalisateur et auteur Ali Ghanem vient de publier, chez Casbah Editions, un ouvrage intitulé Conversations méditerranéennes.
Ali Ghanem, cinéaste, ayant réalisé plusieurs films, dont Mektoub et Une femme pour mon fils, est aussi écrivain ayant écrit le texte éponyme du long métrage Une femme pour mon fils (éditions Syros La Découverte) et Le Serpent à sept têtes (éditions Flammarion) traduits en plusieurs langues.
Il sort un recueil d’interviews chez Casbah Editions sous le titre Conversations méditerranéennes dédié à Mohamed Abdou Benabbou, Françoise, Antoinette, Kemla, Tanissia et Inaya.
Présentant son ouvrage, Ali Ghanem préambulera : «Au fil du temps, ma passion pour les livres et ma curiosité de tout connaître m’ont souvent amené à chercher ce qui pousse à écrire. J’ai interviewé des écrivains et des personnalités déjà célèbres, d’autres moins connues du grand public. Certains ne sont plus aujourd’hui de ce monde, mais restent de grands témoins de leur temps. J’ai choisi de les interviewer parce que je me sentais proche d’eux par leur sensibilité ou leur origine, et parce que je voulais en savoir davantage sur leur vision politique, leur travail littéraire et plus généralement leur regard sur la société.
En adoptant un ton direct et personnel, différent du ton habituel des interviews, ce qui a souvent surpris mes interlocuteurs, je les ai amenés à parler de leur quotidien pour donner aux lecteurs une image différente d’eux-mêmes et de leur œuvre, et j’ai souvent trouvé des réponses à mes propres questions. Ces interviews tissent des liens, permettent un recul, donnent à penser et laissent passer l’émotion. Il m’a semblé que tous ces témoignages présentent un intérêt historique et humain, d’où l’idée de les rassembler.»
«Je me sens très algérienne, j’ai beaucoup de respect»
Au sommaire, figurent des entretiens menés avec Hocine Aït Ahmed, Salim Bachi, Yasmina Khadra, Galeb Bencheikh, Yamina Benguigui, Rachid Boudjedra, Anissa Boumédiène, Hérvé Bourges, Edmonde Charles-Roux, Malek Chebel, Arezki Metref, Boualem Sansal, Edwy Plenel, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Mohamed Harbi , Amin Maalouf, Jacques Berque ou encore Jean Lacouture.
Yamina Benguigui, cinéaste, productrice et ex-ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger et de la francophonie confiera, fièrement, à propos de ses origines algériennes : «C’est peut-être le travail de mon père.
Je me sens très Algérienne, j’ai beaucoup de respect. Je sais que je n’ai pas le vécu d’une Algérienne en Algérie. Je sais aussi que je ne peux pas parler pour eux, mais je viens de cette histoire. L’immigration on en a fait partie. Je suis née en France. Dans tout ce que je fais, je pense aux Algériens et à l’Algérie. Tu sais quand j’ai eu le Sept d’Or, je l’ai su à la dernière minute, je n’avais pas reçu de carton.
En arrivant, je me suis dit, je l’ai, je vais remercier mon père, ma mère et ma famille. Je monte sur scène, je lève le Sept d’Or et je n’avais qu’une image, l’Algérie. J’avais envie de leur dire qu’on ne voit souvent dans les journaux sur l’Algérie que les catastrophes, et moi j’avais ce petit bonheur que je pouvais partager avec l’Algérie, je lui ai dédié mon Sept d’Or. (octobre 2000).»
«Mon nationalisme a toujours été fondé sur la démocratie»
Hocine Aït Ahmed, figure emblématique de la révolution anticoloniale française, un des chefs historiques du FLN (Front de libération nationale), leader du parti d’opposition Front des forces socialistes (FFS), à propos de son combat, sa lutte et son nationalisme : «J’aimerais bien dire enfin que j’ai toujours agi par idéal. Je crois que mon nationalisme, comme j’ai toujours essayé de l’expliquer, n’est pas un nationalisme à l’européenne.
Car ce dernier est un nationalisme fasciste, oppresseur à l’intérieur et expansionniste à l’extérieur. Mon nationalisme a toujours été fondé sur la démocratie, le retour au peuple, le retour à la citoyenneté, l’exercice des libertés publiques. Pour moi, la cité de l’indépendance pour laquelle je me battais, c’était une cité démocratique. Et je suis toujours resté fidèle à cela. J’ai toujours considéré que le peuple algérien est un peuple géant, et l’histoire nous l’enseigne.
C’est ce peuple, n’est-ce-pas, qui a résisté pendant cinquante ans, alors que l’État de l’époque, avec toute sa puissance, sa morgue militaire, ses janissaires, qui s’était effondré en moins d’un mois. La souveraineté de l’État s’était réfugiée dans la souveraineté du peuple algérien…»
«Les intégristes ont tout commencé sur une supercherie»
Rachid Mimouni, l’auteur de Le Fleuve détourné (1982), Tombéza (1984), L’Honneur de la tribu (1989), La ceinture de l’ogresse (1990), De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier (1992), La Malédiction (1993), fera le distinguo concernant l’amalgame entre l’Islam et «l’islamisme», l’intégrisme voire armé, mortifère : «Les intégristes ont tout commencé sur une supercherie. Ils se réclament de l’Islam et ils l’interprètent à leur propre manière. Les intégristes disent que la femme ne doit pas travailler. Citez moi un seul verset coranique qui interdit à la femme de travailler…
En Occident, on a naturellement tendance à considérer la civilisation arabo-musulmane comme une civilisation orale. A mon sens, c’est totalement faux. La civilisation arabo-musulmane a écrit ce qu’elle devait écrire. Elle a été, dans son âge d’or en particulier, une civilisation de l’écriture. Elle est née d’un livre, elle est née du Coran. Ce livre qui a incité les fidèles à écrire tout ce qu’ils pouvaient, tout ce qu’ils voulaient. En fait, le retour à la pratique orale a commencé avec le déclin de la civilisation arabo-musulmane, à partir du XIIIe siècle…»
«Jamais dans l’Islam, les fakihs n’ont gouverné»
Jacques Berque, né à Frenda en Algérie, anthropologue et sociologue, titulaire pendant vingt-cinq ans de la chaire d’histoire sociale de l’islam contemporain au Collège de France et membre de l’académie de langue arabe au Caire, a consacré près de quinze ans de sa vie à traduire le Coran, éclaira, quant aux mouvements et mouvances islamistes, dans les pays arabes, aspirant à gouverne : «Le mouvement islamiste est né de l’échec, à savoir des réalisations contestables entreprises depuis les indépendances.
Que la voie choisie ait été celle du libéralisme bourgeois ou celle du socialisme, dans les deux cas, ça n’a répondu que faiblement aux espoirs des gens qui avaient combattu pour l’indépendance. En ce moment, la société recherche en elle-même d’autres solutions ; elle les recherche dans son authenticité.
Au niveau de la culture de la majorité, c’est la religion qui a répondu à l’appel. Religion qui est interprétée par les oulémas qui estiment qu’il leur revient le droit de gouverner. Comme le disait Khomeiny, le gouvernement revient au fakihs. Il oubliait cependant de dire que jamais dans l’Islam, les fakihs n’ont gouverné. Jamais, même du temps du Prophète, car le Prophète n’était pas un fakih. Il se voulait lui-même un oummi».
«Il existe des auteurs écrivant un livre par an, moi, non»
Edmonde Charles-Roux, ex-membre de l’académie Goncourt, auteure d’Oublier Palerme, Elle, Adrienne, L’Irrégulière ou mon itinéraire Chanel, Stèle pour un bâtard,Une enfance Sicilienne, revient sur biographie intitulée Un désir d’Orient, la jeunesse d’Isabelle Eberhardt ayant nécessité… sept ans pour l’écrire : «Vous savez, depuis mon prix Goncourt en 1966, je n’ai jamais fait paraître un livre sans l’avoir travaillé près de cinq ans.
Par exemple, entre Elle, Adrienne et L’Irrégulière cinq ans et demi s’écoulent, et entre L’Irrégulière et celui-ci s’écoulent sept ans. Je n’écris pas les livres par obligation. J’écris des livres de recherche. Ils ont toujours le même thème d’ailleurs… Il existe aussi des gens qui écrivent un livre par an. Ce n’est pas mon tempérament. Mettre six ans pour écrire un livre, je ne dis pas que cela est mieux.
Mais, je ne suis pas pour écrire des livres coup sur coup. Pratiquement, tous mes livres parlent d’étrangers et ont exigé des recherches, même mes romans. Mon prix Goncourt, par exemple, raconte l’histoire d’un Sicilien de la 21e génération. Il se réveille au cours d’un voyage en Sicile alors qu’il se croit Américain. Et ainsi de suite. Tous mes livres partent sur la difficulté d’être un étranger.
Celui-là, il se trouve, n’est pas un cas inventé mais un cas réel. Isabelle illustre, je trouve de façon remarquable, cette pensée : il est difficile d’être étranger dans un pays… Une compilation de témoignages très intéressantes et pas du tout obsolètes car très actuelles.