Une faible coordination entre les différentes institutions chargées de la protection des antiquités et l’absence d’une base de données unifiée ont permis aux contrebandiers de profiter de cette brèche. La légèreté des peines appliquées contre les trafiquants demeure inadmissible face au «crime» commis contre le patrimoine algérien.
Le trafic juteux des antiquités est florissant en Algérie. Il continue de provoquer une véritable hémorragie du patrimoine culturel. Un patrimoine qui révèle, dans toute sa diversité, beaucoup de vérités sur notre histoire antique et sur la mémoire authentique de la nation algérienne. Afin de préserver ces richesses archéologiques, une batterie de mesures, dont de nombreux textes réglementaires, a été mise en place par les décideurs du pays au fil des années. Malheureusement, les différentes failles dans les lois et les champs d’intervention des parties concernées ont créé des brèches pour les réseaux de la contrebande.
Le sujet, tellement épineux, a été débattu lors d’une rencontre organisée par le Musée public national des arts et expressions culturelles traditionnelles, Palais Ahmed Bey de Constantine, en collaboration avec la direction régionale des Douanes, avec pour intitulé : «Le cadre réglementaire et institutionnel pour la protection du patrimoine culturel».
Effectivement, un arsenal de textes existe en Algérie, dont la loi n° 98-04 qui permet de «définir le patrimoine culturel de la nation, d'édicter les règles générales de sa protection, sa sauvegarde et sa mise en valeur, et de fixer les conditions de leur mise en œuvre». Toutefois, souligne Abdelkarim Ghendous, inspecteur principal de la douane, certains articles de cette dernière se contredisent avec la réforme du code des procédures pénales.
Il explique que ces contradictions se perçoivent sur différents volets, à l’instar des procédures de la détention préventive, surtout quand il s’agit d’un étranger, le droit de transport d’une pièce archéologique, et autres. «Nous sommes face aussi à une faible coordination entre les différentes institutions chargées de la protection des antiquités. Chaque corps ou organisme possède ses propres données, en l’absence d’une base de données unifiée pour tout le monde. Les contrebandiers profitent de cette brèche, qui est devenue un moyen pour le blanchiment d’argent, le trafic de drogue et la dissimulation des découvertes archéologiques», a-t-il souligné, déplorant l’important trafic des météorites, qui implique des étudiants, des touristes et des réseaux spécialisés.
Des universitaires parmi les contrebandiers
Concernant toujours le trafic des météorites, le conférencier affirme qu’une seule petite pièce vaut trois fois le prix de 1g d’or. On comprend pourquoi cela a pris de l’ampleur en raison de la marge bénéficiaire octroyée à l’explorateur ou au citoyen ayant découvert ces objets. Il s’agit de 30% de la valeur de la pièce découverte. «Si tu as une autorisation de fouille ou tu découvres dans ta maison ou dans ton terrain un quelconque objet, tu bénéficies d’une somme insignifiante. Surtout que certaines pièces, notamment les statues, coûtent jusqu’à 17 milliards de centimes. Le concerné préfère la vendre illégalement et ne pas la déclarer», a regretté M. Ghendous.
Ce dernier avance que 38% des contrebandiers sont âgés entre 39 et 74 ans et sans aucun niveau d’instruction, 8% sont des universitaires, 7% des agents de sécurité affectés dans les musées ou sur les sites archéologiques, 17% des agriculteurs et 30% des chômeurs. Les wilayas de l’Est algérien, notamment Batna, Souk Ahras, Mila, Khenchela et Constantine, sont les régions les plus touchées par ce trafic, selon les statistiques nationales. Les pertes dues à ce trafic du patrimoine archéologique et culturel algérien sont estimées à 6 milliards de dollars, selon l’inspecteur Ghendous.
Ce qui est sidérant après toutes ces révélations, c’est la légèreté des peines que les trafiquants écopent et qui est inadmissible. La gravité de ce trafic n’est-elle pas bien mesurée par le législateur algérien ? Ce législateur a été qualifié par le conférencier de «clément», où l’accusé risque une peine d’emprisonnement ferme de 2 à 5 ans, assortis d’une amende de 50 000 à 100 000 DA. Pis encore, dans le code pénal algérien, on prévoit une peine de prison de 3 à 5 ans assortie d’une amende de 200 000 jusqu’à 500 000 DA pour toute personne qui diligente des fouilles ou exporte illicitement des biens culturels.
Même l’article 10 de l’ordonnance n°05-06 du 23 août 2005, relative à la lutte contre la contrebande, a classé le trafic du patrimoine archéologique dans la catégorie des combustibles, carburants, denrées alimentaires, produits pharmaceutiques ou autres. Le coupable sera puni d’emprisonnement «d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende égale à cinq fois la valeur de la marchandise confisquée». Lorsque l’acte de contrebande est commis par trois personnes ou plus, «les auteurs sont punis d’une peine d’emprisonnement de deux (2) ans à dix (10) ans, et d’une amende égale à dix (10) fois la valeur de la marchandise confisquée».
Et ainsi de suite, la liste des articles et des lois est longue, mais aucune ne prévoit une lourde peine. «Dans d’autres pays, à l’instar de l’Egypte, les auteurs des fouilles sans autorisation subissent la peine maximale, soit la perpétuité ou la peine capitale», a comparé l’inspecteur Ghendous. Ce qui pousse, selon ses dires, certains pays voisins à spolier et s’approprier notre histoire, tel est le cas du zellige algérien (faïences).
Et d’appeler, entre autres, à renforcer le contrôle, s’orienter vers la numérisation, impliquer la société civile dans la sensibilisation et la création d’une base de données de tout le patrimoine culturel algérien sans exception.
En conclusion, l’intervenant a rappelé le bilan entre 2018 et le premier trimestre de 2023, communiqué récemment par la Direction générale des Douanes. Il s’agit de la récupération de 821 pièces et ustensiles antiques, 63 pièces de mosaïque de l’époque ottomane, 48 pièces archéologiques, 22 pièces de monnaie antique, 14 pièces fossilisées, 12 épées, 6 statues, 5 pistolets de fabrication artisanale, 3 vases, un masque et une pyxide en os de l’époque romaine.