Lorsque, ô puissant genni, continua le cheikh, j’entendis les paroles de ce berger, je sortis à la hâte avec lui, et je me sentais ivre sans vin, par la quantité de joie et de félicité qui m’advenaient de revoir mon fils. Quand donc j’arrivais à la maison du berger, la jeune fille me souhaita la bienvenue et me baisa la main. Puis le veau vint à moi et se roula à mes pieds. Alors, je dis à la fille du berger : «Est-ce vrai, ce que tu racontes sur ce veau ?»
Elle dit : «Oui, certes, mon maître ! C’est ton fils, la flamme de ton cœur!» Je lui dis: «Ô gentille et secourable adolescente, si tu délivres mon fils, je te donnerai tout ce que j’ai de bétail et de propriétés sous la main de ton père !»
Elle sourit à mes paroles et me dit : «Ô mon maître, je ne veux accepter la richesse qu’à deux condi- tions ; la première est que je me marierai avec ton fils et la seconde est que tu me laisseras ensorceler et emprisonner qui je veux ! Sans quoi, je ne réponds pas de l’efficacité de mon intervention contre les perfidies de ta femme.»
Lorsque j’entendis, ô puissant genni, les paroles de la fille du berger, je lui dis : «Soit ! et par-dessus le marché, tu auras les richesses qui se trouvent sous la main de ton père ! Pour ce qui est de la fille de mon oncle, je te permets de disposer de son sang !»
Lorsqu’elle eut entendu mes paroles, elle prit un petit bassin en cuivre, le remplit d’eau et prononça sur l’eau des conjurations magiques ; puis elle en aspergea le veau, et lui dit : «Si Allah t’a créé veau, reste veau sans changer de forme ! Mais si tu es enchanté, reviens à ta première forme créée, et cela avec la permission d’Allah Très-Haut !»
Elle dit. Et aussitôt le veau se mit à s’agiter en se secouant et redevint un être humain. Alors, je me jetais sur lui en l’embrassant. Puis je lui dis : «Par Allah sur toi ! raconte- moi ce que la fille de mon oncle fit de toi et de ta mère !» Et il me raconta tout ce qui leur était arrivé. Je dis alors : «Ô mon enfant, Allah, Maître des Destinées, te réservait quelqu’un pour te sauver et sauver tes droits ! »
Après quoi, ô bon genni, je mariais mon fils avec la fille du berger. Et elle, par sa science de la sorcellerie, ensorcela la fille de mon oncle et la métamorphosa en cette gazelle-ci que tu vois ! Et moi, comme je passais par cet endroit-ci, je vis ces bonnes personnes assemblées, je leur demandai ce qu’elles faisaient, et j’appris d’elles ce qui était arrivé à ce marchand-ci, et je m’assis pour voir ce qui pouvait survenir. – Et telle est mon histoire !»
Alors le genni s’écria : «Cette histoire est assez étonnante : aussi je t’accorde en grâce le tiers du sang demandé.»
À ce moment s’avança le deuxième cheikh, le maître des deux chiens lévriers, et dit :
CONTE DU DEUXIÈME CHEIKH
«Sache, ô seigneur des rois des genn, que ces deux chiens-ci sont mes frères, et moi je suis le troisième. Or, lorsque mourut notre père, il nous laissa en héritage trois mille dinars. Et moi, avec ma part, j’ouvris une boutique où je me mis à vendre et à acheter. Et l’un de mes frères se mit à voyager pour faire le commerce, et s’absenta loin de nous la longueur d’une année, avec les caravanes.
Quand il revint, il n’avait plus rien. Alors je lui dis : «Ô mon frère, Allah, qui est puissant et grand, a permis que cela m’arrivât. Aussi tes paroles maintenant ne peuvent plus m’être profitables, car je ne possède plus rien.» Alors je l’emmenais avec moi à la boutique, puis je le conduisis au hammam, et lui donnais une robe magnifique de première qualité.
Ensuite nous nous assîmes ensemble pour manger ; puis je lui dis : «Ô mon frère, je vais faire le compte du gain de ma boutique d’une année à l’autre ; et, sans toucher au capital, je diviserai ce gain par moitié entre moi et toi !» Et, en effet, je fis le compte du gain rapporté par l’argent de la boutique, et je trouvais pour cette année-là un bénéfice de mille dinars. Alors je remerciais Allah, qui est puissant et grand, et je me réjouis de la plus intense joie. Puis je divisais le gain en deux parties égales entre mon frère et moi. Et nous demeurâmes ensemble des jours et des jours.
Traduit par Dr Joseph-charles Mardus