Contes & histoires : Le livre des Mille et Une nuits

17/03/2024 mis à jour: 11:30
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HISTOIRE DU ROI SCHAHRIAR ET DE SON FRÈRE, LE ROI SCHAHZAMAN

Le lendemain, le semeur vint et prit l’âne et le fit labourer jusqu’à la fin du jour. Et l’âne ne retourna que le cou écorché et exténué de fatigue. Et le bœuf, l’ayant vu dans cet état, se mit à le remercier avec effusion et à le glorifier de louanges. Alors l’âne lui dit : «J’étais bien tranquille auparavant : or, rien ne me nuisit que mes bienfaits.» 

Puis il ajouta : «Pourtant, il faut que tu saches que je vais te donner un bon conseil ; j’ai entendu notre maître qui disait : «Si le bœuf ne se lève pas de sa place, il faut le donner à l’égorgeur pour qu’il l’immole et qu’il fasse de sa peau un cuir pour la table !» Et moi j’ai bien peur pour toi, et je t’avise du salut !»

Lorsque le bœuf entendit les paroles de l’âne, il le remercia et dit : «Demain j’irai librement avec eux vaquer à mes occupa- tions.» Là-dessus, il se mit à manger et avala tout le fourrage et même il lécha le boisseau avec la langue.
Tout cela ! et leur maître écoutait leurs paroles.

Lorsque parut le jour, le commerçant sortit avec son épouse vers l’habitation des bœufs et des vaches et tous deux s’assirent. Alors,  le conducteur vint et prit le bœuf et sortit. A la vue de son maître, le bœuf se mit à agiter la queue, à péter avec bruit et à galoper follement en tous sens. Alors, le commerçant fut pris d’un tel rire qu’il se renversa sur le derrière. 

Alors, son épouse lui dit : «De quelle chose ris-tu ?» Il lui dit : «D’une chose que j’ai vue et entendue, et que je ne puis divulguer sans mourir.» Elle lui dit : «Il faut absolument que tu me la racontes et que tu me dises la raison de ton rire, même si tu devais en mourir !» Il lui dit : «Je ne puis te divulguer cela à cause de ma peur de la mort.» 

Elle lui dit : «Mais alors tu ne ris que de moi !» Puis elle ne cessa de se quereller avec lui et de le harceler de paroles avec opiniâtreté, tant, qu’à la fin il fut dans une grande perplexité. Alors, il fit venir ses enfants en sa présence et envoya mander le kadi et les témoins. Puis il voulut faire son testament avant de révéler le secret à sa femme et de mourir : car il aimait sa femme d’un amour considérable, vu qu’elle était la fille de son oncle paternel et la mère des enfants, et qu’il avait déjà vécu avec elle cent vingt années de son âge. 

De plus, il envoya quérir tous les parents de sa femme et les habitants du quartier, et il raconta à tous son histoire, et qu’à l’instant même où il dirait son secret il mourrait ! Alors tous les gens qui étaient là dirent à la femme : «Par Allah sur toi ! laisse de côté cette affaire de peur que ne meure ton mari, le père de tes enfants !» Mais elle leur dit : «Je ne lui laisserai la paix qu’il ne m’ait dit son secret, même dût-il en mourir !» Alors, ils cessèrent de lui parler. Et le marchand se leva de près d’eux et se dirigea du côté de l’étable, dans le jardin, pour faire d’abord ses ablutions et retourner ensuite dire son secret et mourir.

Or, il avait un vaillant coq capable de satisfaire cinquante poules, et il avait aussi un chien ; et il entendit le chien qui appelait le coq et l’injuriait et lui disait : « N’as-tu pas honte d’être joyeux alors que notre maître va mourir !» Alors le coq dit au chien : «Mais comment cela ?» Alors le chien répéta l’histoire, et le coq lui dit: «Par Allah! notre maître est bien pauvre d’intelligence ! Moi, j’ai cinquante épouses, et je sais me tirer d’affaire en contentant l’une et en grondant l’autre ! Et lui n’a qu’une seule épouse et il ne sait ni le bon moyen ni la façon dont il faut la prendre ! Or, c’est bien simple ! il n’a qu’à couper à son intention quelques bonnes tiges de mûrier et entrer brusquement dans son appartement réservé et la frapper jusqu’à ce qu’elle meure ou se repente : et elle ne recommencera plus à l’importuner de questions sur quoi que ce soit !» Il dit. Lorsque le commerçant eut entendu les paroles du coq discourant avec le chien, la lumière revint à sa raison et il résolut de battre sa femme.» 

Ici, le vizir s’arrêta dans son récit et dit à sa fille Schahrazade : «Il est possible que le Roi fasse de toi comme a fait le commerçant de son épouse !» Elle lui dit : «Et que fit-il ?» Le vizir continua : «Le commerçant entra dans la chambre réservée de sa femme, après avoir coupé à son intention les tiges de mûrier et les avoir cachées, et il lui dit en l’appelant : «Viens dans la chambre réservée pour que je te dise mon secret et que personne ne puisse me voir ; et puis je mourrai !» 

Alors elle entra avec lui, et il ferma la porte de la chambre réservée sur eux deux, et il lui tomba dessus à coups redoublés jusqu’à la faire s’évanouir. Alors elle lui dit : «Je me repens ! je me repens !» Puis elle se mit à embrasser les deux mains et les deux pieds de son mari et elle se repentit vraiment. Et alors, elle sortit avec lui. Aussi, toute l’assistance se réjouit, et se réjouirent aussi tous les parents. Et tout le monde fut dans l’état le plus heureux et le plus fortuné jusqu’à la mort.»

Traduit par Dr  Joseph-charles Mardus 

(A suivre)

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