Contes & histoires : Le livre des Mille et Une nuits

14/03/2024 mis à jour: 07:54
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HISTOIRE DU ROI SCHAHRIAR ET DE SON FRÈRE,  LE ROI SCHAHZAMAN

 

Il mit pied à terre et vint vers l’arbre sur lequel ils étaient et se tint au-dessous. Il enleva alors le couvercle de la caisse et en tira une grande boîte qu’il ouvrit, et aussitôt apparut une jeune fille désirable, éclatante de beauté, lumineuse à l’égal du soleil – comme dit le poète :
 

Flambeau dans les ténèbres, elle apparaît, et c’est le jour ! Elle apparaît et de sa lumière s’illuminent les aurores.
Les soleils s’irradient de sa clarté et les lunes du sourire de ses yeux !

Que les voiles de son mystère se déchirent, et aussitôt les créatures à ses pieds se prosternent ravies :
Et devant les doux éclairs de son regard, l’humidité des larmes passionnées mouille les coins de toute paupière !
 

Lorsque le genni eut bien regardé la belle adolescente, il lui dit : «Ô souveraine des soieries ! ô toi que j’ai ravie le jour même de tes noces ! je voudrais bien dormir un peu.» Et le genni, posant la tête sur les genoux de la jeune fille, s’endormit.

Alors, l’adolescente leva la tête vers le sommet de l’arbre et vit les deux rois cachés dans l’arbre. Aussitôt, elle souleva la tête du genni de dessus ses genoux, la posa par terre et, se tenant debout au-dessous de l’arbre, elle leur dit par signes : «Descendez et n’ayez pas peur de cet éfrit.» Ils lui répondirent par signes : «Oh ! par Allah sur toi ! dispense-nous de cette dangereuse af- faire-là !» Elle leur dit : «Par Allah sur vous deux ! descendez au plus vite, sinon je vais prévenir l’éfrit et il vous fera mourir de la pire mort !» Alors ils eurent peur et descendirent près d’elle ; et elle se leva pour les recevoir et leur dit aussitôt : «Allons ! Percez-moi de la lance un percement violent et dur ! 

Sinon je vais aviser l’éfrit !» La frayeur fit que Schahriar dit à Schahzaman : «Ô mon frère, toi le premier fais ce qu’elle ordonne !» Il répondit : «Oh ! je n’en ferai rien avant que tu ne me donnes l’exemple, toi, mon aîné !» Et tous deux se mirent à s’inviter mutuellement en se faisant avec les yeux des signes de copulation. Alors elle leur dit : «Pourquoi vous vois-je ainsi cligner des yeux ? Si tout de suite vous n’avancez pas et ne me le faites pas, je préviens immédia- tement l’éfrit !» Alors, à cause de leur peur du genni, ils firent d’elle tous deux ce qu’elle leur avait ordonné. Quand ils se furent bien vidés, elle leur dit : «Que vous êtes vraiment experts !» Puis elle sortit de sa poche un petit sac et en tira un collier composé de cinq cent soixante-dix sceaux, et leur dit : «Savez-vous ce que c’est ?» Ils lui dirent : «Nous ne savons pas.» Alors, elle leur dit : «Les propriétaires de ces sceaux tous ont copulé avec moi sur les insensibles cornes de cet éfrit. Ainsi donc, vous les deux frères, donnez-moi les vôtres.» Alors, ils lui donnèrent, les sortant de leurs mains, deux sceaux. 

Elle leur dit alors : «Sachez que cet éfrit m’enleva la nuit de mes noces, me plaça dans une boîte et, mettant la botte dans la caisse, fixa sur la caisse sept cadenas, et me mit alors au fond de la mer mugissante qui se heurte et s’entrechoque avec les vagues. 

Mais il ne savait point que lorsqu’une femme d’entre nous désire quelque chose, rien ne saurait la vaincre. Et le poète dit, d’ailleurs :
Ami ! ne te fie point aux femmes et souris à leurs promesses ! car leur bonne ou mauvaise humeur dépend du caprice de leur porte monnaie !
 

Elles prodiguent l’amour mensonger, alors que la perfidie les emplit et forme la bourre de leurs vêtements.Souviens-toi avec respect des Paroles de Youssouf. Et n’oublie point qu’Eblis fit expulser Adam à cause de la Femme.

Cesse aussi ton blâme, ami. Il ne sert ! car demain, chez celui que tu blâmes, à l’amour simple succédera la passion folle.

Et ne dis point : «Si je suis amoureux, j’éviterai les folies des amoureux !» Ne le dis point. Ce serait un prodige unique, en vérité, de voir un homme se tirer sain et sauf de la séduction des femmes. »
 

A ces paroles, les deux frères s’émerveillèrent à la limite de l’émerveillement, et ils se dirent l’un à l’autre : «Si celui-là est un éfrit, et qu’en dépit de sa puissance, il lui soit arrivé des choses bien plus énormes qu’à nous, c’est là une aventure qui doit nous consoler !»

Alors, ils quittèrent, à l’heure même, la jeune femme et retournèrent chacun vers sa ville.

Traduit par Dr Joseph-charles Mardus
(A suivre)

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